Aujourd’hui se dérouleront les manifestation commémoratives du massacre de Tulle et Oradour sur Glane. «Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre», (Winston Churchill). Le reste c’est de la communication !
Une famille de rouge-queue batifole d’une embrasure de fenêtre à l’autre. Les poursuites et les voltes se succèdent. Tant le merle furtif que le corvidé qui croasse sur un arbre perché arborent une tenue de deuil d’un noir profond. Ces quelques oiseaux sont les seuls êtres vivants en ce dimanche matin dans le village martyr d’Oradour sur Glane. Ils ignorent tout de l’Histoire contrairement aux tilleuls et aux chênes centenaires qui ont été les témoins du massacre vieux d’un peu plus de 78 ans. Ils sont les seuls qui ont grandi et prospéré dans ce bourg figé par le feu. Impossible de ne pas imaginer qu’ils ne souffrent pas de ce qu’ils ont vu et ressenti.
On les prétend sensibles et réactifs aux contexte dans lequel ils vivent. Ont-ils dans le ventre de leur tronc volumineux, les cris d’horreur, les pleurs déchirants, les claquements secs des rafales d’armes automatiques, les hurlements des centaines d’habitants enfermés dans l’église, les vociférations des bourreaux, les vrombissements des moteurs ? Ils conservent leurs secrets mais veillent en sentinelles immobiles sur ce qui fut une bourgade joyeuse du temps où ils étaient jeunes. Il n’y a que pour eux que le temps ne s’est pas figé.
Déchiquetés ou mutilées, n’exhibant que des moignons de pierres aux teintes diverses, laissant sortir de leurs entrailles vides des lambeaux de briques rouges les maisons de la plus humble à la plus vaste sont restées blotties les unes contre les autres. Le vide et le silence meublent ce qui furent des intérieurs cossus ou d’une grande simplicité. Tout était pourtant généralement humble ou utilitaire dans cette bourgade devenue le symbole de la cruauté de porteurs d’uniformes préposés à la création de l’enfer sur terre.
La longue rue principale emprisonnée dans la toile d’araignée rectiligne du tram et quelques portées de fils pour hirondelles n’osant plus venir n’a plus que l’animation des passants presque tous silencieux qui l’arpentent lentement. Ils se penchent par une fenêtre béante ouverte sur le ciel. Ils s’arrêtent devant ces panneaux les invitant à se recueillir devant un site où un massacre d’innocents a eu lieu. En couple, en famille, en groupe avec un guide ces visiteurs murmurent leurs remarques sous un ciel d’encre d’un dimanche matin où sonnent les cloches d’une église tentant de faire oublier celle, muette, tétanisée et dénudée après avoir connu les déflagrations, les tirs, les flammes et l’effondrement du cataclysme de l’horreur
Une nef ouverte sur le ciel, un autel livide et porteur de blessures profondes, une chapelle encore dotée de quelques ex-voto probablement rénovés et dont la bouche béante du tabernacle émet un appel silencieux au secours. La mort rode. Elle s’entend dans ce silence qui pèse sur le lieu d’un massacre collectif de femmes et d’enfants. Comme un symbole supplémentaire de sa présence deux plaques de marbre intactes portent les noms d’une centaine d’hommes fauchés par la Guerre 14-18. Seul le clocher et un christ rongé par la rouille du temps ont tenu bon dans ce tsunami de rage et de fureur.
La vie était là. On imagine les fleurs des tilleuls séchant sur un drap acheté chez Emma la marchande de tissu, les chevaux attachés devant la forge de Fernand maréchal-ferrant, les pochtrons sortant de la demi-douzaine de cafés ou de l’estaminet de Thomas, les odeurs du pain frais venant de chez le boulanger René, les moteurs Renault du garage moderne ou les cris de la récréation à l’école de filles de Denise Bardet. Quincaillier, cordonnier, charron, courtier, assureur, puisatier, épicier, pharmacien, restaurateur, boucher, garagiste, hôtelier, lainière, médecin… les acteurs ne manquaient pas en ce mois de juin 1944 et tout le monde pensait qu’en vivant cachée la ville vivrait la moins malheureuse possible.
Tout a été enseveli après la fureur dans le monde du silence. Partout des « cadavres » calcinés jonchent le sol des demeures, des bureaux, des ateliers ou des magasins désormais peuplés de fantômes. Tous les objets du quotidien jonchent le sol parfaitement entretenu. Une dizaine de machines à coudre rappelle le rôle des femmes comme les symboles de leur part prise à la vie sociale.
Des enchevêtrements de cercles de tonneaux ou de roues, des marmites ou des poêles démantibulés ou des squelettes de bicyclettes ou de lits gisent comme témoins d’une existence simple. Des faucheuses pour cheval prêtes au départ, des pompes mutilées ou des auges taillées dans le granit manquant d’eau fraîche attendent la fin de l’inactivité éternelle à laquelle elles sont condamnées.
Oradour : Oradour outragée ! Oradour brisée ! Oradour martyrisée mais Oradour qui n’a jamais été libérée car écrasée, éventrée, assassinée, brûlée par une horde barbare enivrée de haine. Les dizaines d’enfants innocents dont les portraits meublent une fresque du centre de la mémoire interpellent sur notre passivité ou notre indifférence. Qu’avaient-ils faits pour entrer dans l’éternité silencieuse ?
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Constat d’autant plus navrant, désespérant, dans les circonstances actuelles que la France, comme bien d’aitres nations, par l’intermédiaire de ses soudarts, en a commis, d’autres Oradour.
Quel pays peut se vanter de ne pas avoir semblable forfait sur la conscience ?
Homo homini lupus est (Plaute)
soudards et non soudarts ! L’émotion me fait orthographiquement bégayer.
Le mal absolu se situe au delà des mots;entrevoir le plus profond des malheurs conduit au silence,à la nuit de l’au delà de de la peur et du désespoir. Ces mots de la mémoire sont pourtant comme des signes sur le chemin de l’existence:il faut s’arrêter un moment,dans la dimension du silence qui enveloppe Oradour. Seulement ensuite,des signes peuvent ils prendre du sens.
Le texte de Jean Marie Darmian prend place à côté du témoignage de Robert Hèbras,rescapé de la grange Laudy,qui a écrit « 10 juin 1944 – Oradour sur Glane – le drame heure par heure-« . Il faut lire aussi ,du même auteur, »Avant que ma voix ne s’éteigne » . Porter témoignage signifie que la vie est plus forte que la mort.