Bernard Barthes, le gabier devenu quartier-maître repose anonymement dans le cimetière de Créon. Il fut un grand aventurier participant (voir les 6 épisodes antérieurs) à une expédition célèbre entre 1819 et 1821 autour du monde. Après de nombreuses péripéties il quitte l’île où la Corvette sur laquelle il a servi a fait naufrage… Un retour toujours compliqué. Le Castrais Bordes appartenait à la caste des gabiers sur lequel s’appuyait de commandant de bord en toutes circonstances pour les manœuvres du navire. Sur le Mercury qui les avaient pris en charge à prix d’or pour se rendre d’abord à Rio de Janeiro puis à la suite d’une situation compliquée du bateau américain vers Montevideo, la bande de ces marins casse-cou participa à sa prise de contrôle le . L’équipage français nettement plus nombreux que son homologue enregistra la décision de de Freycinet d’acheter la goélette qu’ils aveint aider à remettre à flots.
Barthes avait un collègue girondin Rives très penché sur les dives bouteilles de tous les genres. Les autres n’étaient guère plus nets. En voici le portrait dressé de deux d’entre eux, Petit et Marchais. « Figurez-vous deux loups de mer, le cuir tanné, la main dure comme du fer, le cheveu rare, l’œil creux, le ventre aussi, l’estomac brillé, mais l’âme tendre et le cœur honnête; Marchais, véritable bandit dur à cuire, toujours le poignet au bout du bras, toujours le pied levé et la dent prête à mordre, battu, battant, terrible, furieux, ivrogne, et, quand on sait le prendre, un agneau. Petit, au contraire, malin, flâneur, railleur, bel-esprit, ami de Marchais autant que Marchais est l’ami de Petit. Barthes est considéré comme courageux, dur au mal, fidèle, agile et efficace. » Tous avaient en commun leur capacité à agir en toutes circonstances et sans jamais penser aux conséquences pour leur propre vie. Alors qu’ils s’attendaient à un retour paisible vers leur douce France, de nouvelles épreuves leur furent imposées par l’océan.
Lors de l’escale à Montevideo, tous les marins de l’ex-Mercury furent débarqués. On resta quelques jours pour tenter de redonner une apparence un peu meilleure au nouveau navire de la Marine royale. Il fallut soigner une bonne part de l’équipage qui souffrit d’une indigestion … de pain ! Le 6 juin 1820 il leva l’ancre pour rallier Rio de Janeiro. Les gabiers eurent vite du travail et Bordes et son équipe retrouvèrent les mauvais moments. Le 10 juin le vent devint en effet très violent et la mer très grosse. Le mât de beaupré se rompit au ras du bord. Tout l’équipage tâcha d’en sauver le gréement, mais le temps fut si mauvais qu’il fut forcé de tout laisser aller à la mer, encore heureux
qu’en passant le long du bord il ne causa pas d’avaries.
Madame Rose de Freycinet première femme à avoir effectué un tour du monde raconte cet épisode dans son journal : « je suis dans des transes affreuses en apprenant celle nouvelle, car je sais qu’à ce mât de beaupré sont attachés tous les autres et que sa perte peut occasionner leur rupture. En effet, quelques instants après, la mer étant toujours furieuse, on vint me dire que le mât de misaine venait de se rompre. Je recommandai mon âme à Dieu. Cette dernière alerte était heureusement fausse : le mât avait en effet éprouvé de fortes secousses et quelques avaries, mais il ne s’était point brisé et fut remis en ordre. »
Après de longues journées à naviguer de manière erratique, La Physicienne en piteux état fit une entrée remarquée dans le port de Rio de Janeiro le 20 juin 1820. La frégate fut prise pour un bateau de commerce et les douaniers se précipitèrent pour le fouiller. Un affront qui mit le capitaine hors de lui et il les fit chasser manu-militari. Tout le monde fut débarqué pour mettre le navire en cale sèche et entièrement le rénover avant la grande traversée vers la France. La corvette quitta le Brésil le 18 septembre pour cette fois une traversée transatlantique de 55 jours qui ne réserva aucune mauvaise surprise.
Impatients de toucher le sol de son pays natal, Barthes et ses amis scrutèrent l’horizon en vain. Le mauvais temps contraint La Physicienne à se dérouter pour rejoindre le port de Cherbourg. Elle y relâcha le 10 novembre en attendant que la brume soit levée. Le Tour du monde s’acheva officiellement au Havre le 13 novembre 1820 après selon les estimations 18 862 lieues marines ou 23 577 lieues moyennes parcourues soit . Le Tour du monde avait duré trois ans et deux mois ! Bernard Barthes regagna sa Gironde natale où l’attendait une promise. Il épousa en effet le 17 juillet 1821 Marguerite Renom qui avec la solde de son marin de mari s’installa comme marchande. Il avait navigué 29 mois et 15 jours sur l’Uranie et la Physicienne. Sa carrière porte un service total dans la Marine Royale de 57 mois !
Il fut promu officier et de Freycinet lui fit attribuer la légion d’honneur pour son courage, ses exploits au service de l’équipage, sa fidélité et l’ensemble de son parcours le 28 avril 1821 ! Sa décoration lui fut remise le 25 août 1821 par le Préfet de la Gironde lors de la grande manifestation organisée pour la pose de la « dernière » pierre du Pont Louis XVIII à Bordeaux valant inauguration de l’ouvrage ! Bernard Barthes est décédé à Castres (33) le 21 juin 1856. Depuis quand est-il dans le cimetière de Créon ? Qui a dévidé de le transporter ici ? Pourquoi ? Secret de famille !
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Cher Jean-Marie,
merci de nous avoir conté par le menu les aventures de ce B.B. que nous n’aurions jamais connu sans le secours de cette « Roue Libre » que tant de followers nous envient. Je t’ai envoyé par ailleurs un petit texte qui raconte ma pêche à l’anagramme, un poisson subtil que j’ai pris dans mes filets en remontant l’estuaire de la Gironde à bord du « Chrisal », un voilier construit de ses mains par mon frère Alain.
Tenus en haleine jusqu’au bout de l’aventure. Un beau récit.