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L’exclusion dans la campagne par l’immobilité

Oubliée dans tous les critères de l’exclusion qui frappe les catégories sociales les plus précarisées, la mobilité en milieu rural revêt pourtant une importance capitale. En ayant favorisé l’étalement urbain par la mode «pavillon, gazon, télévision »  renforcée par la politique d’urbanisme des métropoles ayant préféré durant des années les aménagements à vocation économique à ceux de l’habitat, le système social a créé une situation toujours proche de la crise. Dans une enquête le Secours Catholique (1) a tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences de « l’isolement géographique ». En effet le constat est implacable : les distances à parcourir pour des motifs « contraints » (travail, études, santé, achats alimentaires…) ne cessent de s’allonger.

Ainsi selon ce rapport en 2019 chaque habitant d’un territoire qualifié de « rural » par l’INSEE a parcouru en moyenne la bagatelle de 33 % de kilométrages supplémentaires par rapport à la moyenne des Français. Or comme ces déplacements s’effectue très majoritairement en automobile faute de transports collectifs performants et surtout bien répartis sur le territoire, ils représentent près de la moitié des « émissions de gaz de serre pour les trajets du quotidien ». La disparition des services publics a aggravé la situation car ils sont certes toujours présents sur les territoires mais à des distances qui se sont accrues.

Dans un tel contexte ne pas avoir de voiture ou se retrouver dans l’impossibilité d’en utiliser une (pas de permis, coût de fonctionnement trop élevés…) condamne 10 % de la population rurale à une exclusion de fait. Si l’on ajoute que les foyers ou les individus seuls qui possèdent un véhicule sont très mal en point face aux augmentations du prix du carburant. Le rapport note que « leur budget transport devient intenable.

Ainsi en 2017, avant même la récente hausse du prix du carburant (+46 % entre 2017 et 2023), les 10% de ménages français les plus modestes consacraient 21% de leur revenu disponible aux transports, contre 11% pour les 10% les plus aisés. Cette inégalité est renforcée par le fait que les ménages aux faibles revenus étant non-imposables ne peuvent pas déduire les frais de déplacement de leur feuille d’impôts.

Premier poste de dépenses des ménages ruraux, la mobilité représentait 21% de leur budget en 2017. « Le coût est tel pour certains ménages, contraints à des privations, que l’on peut parler d’une véritable ‘précarité mobilité' », estiment les auteurs du rapport. Cette forme de précarité, qui aurait concerné 13,3 millions de personnes en France en 2021 (28% de la population adulte) « peut se traduire, dans les cas les plus graves, par une forme d’assignation à résidence pour les personnes contraintes de renoncer à des déplacements pour des aspects essentiels de leur vie ».

Avec une population qui se paupérise et vieillit – en 2018, en moyenne, près d’un habitant sur trois avait plus de 60 ans dans les communes rurales à habitat dispersé – ceux qui n’ont pas de véhicule sont les plus durement affectés (jeunes, personnes âgées, personnes porteuses de handicap, personnes sans emploi ou avec peu de ressources).

Le transport ferroviaire est ainsi passé de presque 60% du transport de voyageurs en 1950 à seulement 9,2% en 2016 tandis que le vélo et la mobylette, qui étaient encore massivement utilisés par les ouvriers et les travailleurs jusqu’aux années 1960 ont été éclipsés par la voiture individuelle – en 2017, 94% des ménages habitant les zones rurales possédaient une voiture. Le transport ferroviaire est ainsi passé de presque 60% du transport de voyageurs en 1950 à seulement 9,2% en 2016 tandis que le vélo et la mobylette, qui étaient encore massivement utilisés par les ouvriers et les travailleurs jusqu’aux années 1960 ont été éclipsés par la voiture individuelle – en 2017, 94% des ménages habitant les zones rurales possédaient une voiture.

Les choix d’aménagement du territoire faits après la Seconde Guerre mondiale ont indubitablement favorisé l’hégémonie de l’automobile. De multiples constructions ont été réparties dans des villages qui désormais n’offrent absolument aucun service de proximité. Le refus de la densification des centres de ressources existant vécu comme une atteinte à leur tranquillité par les premiers arrivants a constitué un désastre économique et écologique.

Les choix d’aménagement ont mené à la concentration des emplois, activités et services dans les grandes agglomérations et au développement de zones commerciales périphériques au détriment des services publics et petits commerces de proximité. » En 2021, selon l’Insee, plus de 21.000 communes ne disposaient plus d’aucun commerce, soit 62 % d’entre elles, contre 25% en 1980. Une profonde désillusion atteint les habitants de ces zones. Il se retrouvera dans les urnes le 9 juin et dans les autres scrutins. Bien des décisions actuelles renforcent ce constat lucide et vraiment passionnant. Le vrai problème c’est que rares sont les élus et les services de l’État qui prennent en compte cette exclusion dont les effets sont dévastateurs. On est en…campagne mais pas la vraie !

(1) https://www.secours-catholique.org/m-informer/nos-positions/mobilite-les-ruraux-se-pauperisent-cause-de-la-dependance-la-voiture

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    J’ai longtemps travaillé dans la campagne, la vraie. Si un village était dépourvu de commerce, il y avait les commerçants ambulants et le village voisin mieux pourvu à portée de vélo ou de mobylette.
    Dans la dernière commune de campagne où j’ai sévi, on trouvait deux épiceries, dont l’une « faisait » primeurs, un peu de poisson, de viande (frais)mais également articles de ménage, vaisselle etc. L’autre proposait « en plus » de la quincaillerie élémentaire le moyen d’acquitter des taxes : acquis pour le transport de vin, par exemple. On y trouvait aussi un café-station service, la Poste, un garagiste. Un boulanger passait chaque jour ouvrable et un commerçant proposait des graines en gros ou au détail. On pouvait aussi se fournir en lait ou en œufs dans les fermes voisines. Moins indispensable à la vie quotidienne : un forgeron-maréchal, un ébéniste et un charpentier-menuisier.
    J’y suis passé il y a quelques années : un désert, le super U le plus proche est à plus de 8 kilomètre, et les habitants « historiques « ont fui. Et inutile d’ajouter que l’école est fermée depuis une jolie lurette. Reste l’église monolithique que l’on n’a pas pu déplacer et qui attire encore quelques touristes.

    1. François

      Bonsoir @J.J. !
      Entièrement d’accord avec votre énumération qui colle aussi à mon village ! J’y ajouterai un boucher, deux boulangers, deux coiffeurs et une coiffeuse, deux cordonniers et trois cafés dont un restaurant. Tout ce petit monde vivant a disparu avec … le curé ! ! Cahotants, ne subsistent qu’un cabinet médical, une pharmacie, un café de pays et une école en regroupement (à 3), le tout en sursis économique ou social, ce avec une population qui a changée sans trop augmentée (600 →730 avec un rattachement).
      Concernant les déplacements, feus Le Petit Bleu toussotant et La Citram nous rapprochaient quotidiennement de Bordeaux (45 km), soulageant les vélos, solex et mobylettes : Disparus ! ! ! Il nous faut parcourir 20 km pour rejoindre un copieux réseau installé par un certain Darmian (Google nous dit ancien maire et conseiller général … pardon … départemental de Créon ! ) avec le soutien d’un président rural (Merci Monsieur le Capsylvain et FélicitationS pour votre présence quand la forêt brûle !).
      Quant au métro ou tram, malgré mon caractère lève-tôt, voilà plus de soixante ans que … je le rate ! ! ! !
      Amicalement.

  2. facon jf

    Bonjour,
    À l’heure actuelle, deux mondes cohabitent effectivement de loin en loin du fait de modes de vie radicalement différents. Les défaillances de l’État, dans de nombreux domaines, expliquent en partie cette situation.
    Pour l’essentiel, les uns sont effectivement hyper connectés tandis que les autres sont à peine raccordés. Les soins sont aisément accessibles aux premiers alors que les seconds sont confrontés à de véritables déserts médicaux. Enfin, les petits écoliers des grandes villes ne risquent pas de trouver des écoles fermées à la rentrée des classes comme cela devient si fréquent dans de nombreux villages. L’isolement, l’éloignement des services publics, la dévitalisation des centres-bourgs ou encore le vieillissement de la population sont, en effet, autant de difficultés spécifiques qui caractérisent les zones rurales et provoquent une fracture territoriale manifeste.
    Le seul moyen pour les ruraux d’accéder à la civilisation de proximité reste la voiture avec toutes les contraintes qui s’y rattachent. On peut aussi regarder l’impact des ZFE voulue par les bobos ecrologistes rejetant en périphérie des grandes villes les gueux qui polluent les ghettos de riches.
    Le vote des Français reflète les fractures territoriales, dans les grandes villes la Mac-Ronnie, dans les banlieues le duel « gauche »/ extrême droite , dans les campagnes le duel droite extrême/ extrême droite. Je caricature évidemment.
    Le récent débat sur le permis de conduire à vie éclaire par le prisme ville/campagne le clivage entre les urbains ( ayant tout à porté de transports en commun largement subventionné aussi par les ruraux) et les habitants âgés des espaces abandonnés par la ripoublique.
    Si rien ne vient contrarier la politique du « haro sur la bagnole qui pue et qui pollue », nous verrons le désert s’installer dans nos campagnes. Personne n’empruntera les petites routes qui ne seront alors plus entretenues et plus personne ne pourra accéder aux hameaux désertés pour y vivre . Puis ce sera le tour des petits villages et enfin des petites villes…
    Aucune solution économiquement viable, au regard de la loi du marché, ne peut résoudre ce problème. Seule une volonté politique coûteuse peut empêcher le déclin des campagnes, et cela en période de vaches maigres c’est inenvisageable. Pas grave, je vais acheter une « roulez bourré » électrique ( voiture sans permis) avec le contrôle technique obligatoire ça va sans dire.
    Bon repos de fin de semaine

  3. Alain.e

    Effectivement , la fracture territoriale , ça donne une belle facture pour les habitants des campagnes isolées .
    Voiture obligatoire et vu les couts du carburant , ça grève le budget.
    Le village ou je suis né possédait , trois boulangers ,une poste , trois épiceries , un poissonnier , un sabotier , un tabac presse , un cordonnier , une boucherie , un maréchal Ferrand , un bar auberge , école primaire et une église et des marchands de vêtements ambulants , plusieurs docteurs et pharmacie à 5 kilomètres .
    Aujourd’hui , il reste l’ hôtel bar restaurant , un point poste , une boulangerie et un mini épicerie , l’ école survit , l’ église aussi et c’ est un peu mort dans les rues .
    un village à coté , comme plusieurs isolés sont maintenant équipés de magasin sans gérant sur place , un début de solution
    https://www.hautesaintonge.fr/actualite-18064-le-fouilloux-une-superette-a-vu-le-jour
    Cordialement.

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