Pâques reste pour moi la résurrection des souvenirs d’enfance. Tous plus heureux les uns que les autres et tous liés au partage familiaux. En Italie ce rendez-vous religieux revêt une importance particulière. Il ne saurait être question de ne pas se rassembler aussi largement que possible pour effacer dans les esprits la fin du carême prononcé le jeudi avant ces retrouvailles. Je n’ai jamais vu autre chose dans ce dimanche particulier autre chose que le bonheur de passer une journée chez mes grands-parents italiens. Privé d’eux pour des querelles comme seules les ritals savent en entretenir, je n’avais qu’une hâte, renouer avec ce repas exceptionnel concocté par la nonna Pasqua (1) selon la tradition.
Les agapes pascales ruisselaient à son image de tendresse et de simplicité. Elle le préparait tel un général planchant sur une bataille à livrer durant toute la semaine. La poule pour le bouillon support de toutes les préparation avait été choisie comme victime expiatoire de notre péché de gourmandise. Les petits-enfants présents appelés à l’assister pour tenir le volatile peu consentant apprenaient que la vie nécessitait des sacrifices. Issue d’une famille pauvre et très nombreuse, Pasqua avait conservé ce sentiment obsédant qu’il puisse manquer un jour, de nourriture sur la table. Cette crainte des plats vides s’est probablement transmise de génération en génération car j’éprouve cette peur chaque fois que je suis à mon tour confronté à l’organisation d’un repas.
Le moment de la « tuerie » organisée constituait le signe de l’importance de la tablée. J’espérais être sélectionné que ce soit à la villa Félix, propriété sadiracaise de Silvio et Pasqua, ou chez mes autres grands-parents pour recueillir dans une assiette creuse le sang des victimes. Il fallait vite le battre avec un filet de vinaigre comme pour une omelette, et le mettre au frais dans le chai. A midi ou le soir j’aurais droit à une sanguette, plat de gala car assez rare pour lequel la lutte serait féroce pour en bénéficier. Avec de l’échalote, de l’ail, du persil et une belle tranche de pain de quatre, cette galette noire bien poivrée annonçait le festin ultérieur. J’en rêve encore mais les marchands actuels n’ont plus le droit de vendre le sang des poulets pour des raisons sanitaires. La standardisation des goûts et des produits a tué en partie le plaisir de la découverte.
Pasqua avait gardé depuis plusieurs jours tous les œufs que les poules s’ingéniaient à planquer lors de leur passage dans un lieu de vie perché pour éviter que maître renard, par la bonne chère alléché, vienne y faire ses emplettes de printemps. Elle les stockait dans un panier en osier et les faisait bouillir à la chaîne puisqu’ils constitueraient l’essentiel du menu. Nonna en réservait trois douzaines pour confectionner le plat historique de Pâques : les œufs mimosa ! Impossible d’imaginer un repas de Pâques sans un grand réceptacle couvert de petites graines jaunes. Je ne pense pas, aussi longtemps que je me souvienne, que ce mets ait été absent de la table pascale chez mes grands-parents et mes parents. Les autres œufs durs seraient cachés dans la nature pour une chasse bien moins chocolatée que celle de notre époque mais bien plus passionnante.
La confection de la mayonnaise restait le point critique. Il fallait là encore une aide pondérée, fiable et ferme pour verser l’huile dans le bol où les jaunes attendaient une main experte pour leur donner du volume. Là encore le secret résidait dans le filet de vinaigre maison incorporé dès le début. La croyance dans un tour de main accordé aux uns et pas aux autres existait. Ma grand-mère l’avait c’est certain. Mon père aussi et sa gloire résidait souvent dans les compliments que les convives lui adressaient sur ses œufs mimosa. Leur mayonnaise jaune d’or solide et parfumée relevait de la prouesse gastronomique.
La confection des tagliatelles avait aussi quelque chose de magique. Là encore Pasqua possédait la recette de la pâte qu’elle élaborait elle-même. La farine de blé tendre et les œufs dans des proportions qu’elle seule connaissait, finissaient en boule soigneusement pétrie sur la solide table de la cuisine. Conservée au frais elle était étalée avec une sorte de manche à balai plus épais et plus lourd, jusqu’à ce que la finesse de la pâte soit satisfaisante. Elle découpait alors de fines lanières avec un couteau pointu et kes rangeaient au fur et à mesure dans un torchon après les avoir légèremeent farinées. Jamais je n’ai retrouvé le goût de ses tagliatelles cuites dans le bouillon de poule. Et jamais je n’ai essayé de me lancer dans ma propre production. Trop risqué. J’aurais tué le souvenir que j’en ai.
Pasqua la bien-nommée discrète, ingénieuse, pudique, infatigable pratiquait les circuits courts et durant toute sa vie elle a vécu avec le souci de ne pas être dépendante de l’argent. J’éprouve l’étrange sensation de ne pas l’avoir suffisamment connue. Des regrets ? Oui. Encore maintenant je recherche sa présence dans le rendez-vous de Pâques. Il ne me reste d’elle que la sensation de ne jamais égaler ce qu’elle m’a donné. Je ne connaissais pas les maadeleines…
(1) Pasqua c’est Pâques een italien
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M’sieur, j’aima pas le curé Trécy et j’veux pas rentrer dans le moule de la Carême!
« les marchands actuels n’ont plus le droit de vendre le sang des poulets pour des raisons sanitaires. » Les VRAIS marchands de poulet, et souvent de VRAIS éleveurs n’ont plus droit à grand chose, juste tolérés par les grands manitous des services d’hygiène.
Comment confectionner un VRAI et authentique civet si l’on ne dispose pas du sang de la bête, pour faire une belle sauce « rouillouse », le nec plus ultra de la préparation ?
Mayonnaise… j’en ai rarement raté. À la place du filet de vinaigre, j’utilisais une toute petite dose de moutarde. Mais depuis que ma vésicule biliaire a décidé de me fausser compagnie, la mayonnaise, comme la Chantilly ne m’aiment plus du tout. Frustrant et dommage car « mon » marchand de volailles propose des œufs magnifiques, hors normes commerciales et produits par des bêtes vivant en plein air.
Bonjour @J.J. !
Comment réussir la mayonnaise ? Non, pas celle de nos gouvernants ! Nous savons tous qu’ en cuistots de gargotte politicienne, ils la ratent toujours ! ! !
Non, celle qui accompagne nos bons plats de la cuisine des grand-mères … et grands-pères ! ! !
Un truc appliqué par un VRAI cuisinier des cuisines du 34 RG (1967): chauffer moyennement la première huile ( 1/2 verre pour un bol, un demi-litre pour 30 œufs ), ça démarre de suite ! On peut alors verser le reste de l’huile direct de la bouteille ( à l’Armée, le bidon de 20 l ! ) en surveillant la prise … qu’en même ! ! ! Avec cette astuce, j’ai vu reprendre 2 x30 œufs … loupés ! ! !
Bon appétit !
Amicalement