Samedi soir mon petit-fils Julien a fêté ses 18 ans… Voici le texte (un peu long j’en conviens) que j’avais écrit dans mon premier blog (L’AUTRE QUOTIDIEN) il y a 18 ans jour pour jour après sa naissance… Je ne change rien !
« Il y a 130 ans, Victor Hugo écrivait » l’art d’être grand-père « , une œuvre dans laquelle il parlait de Jeanne, sa petite fille. Cette approche de la » grand parentalité » étonna, car rares, à l’époque, étaient ceux qui pouvaient avoir conscience de ce statut, beaucoup plus aléatoire que maintenant. On mourait, en effet, avant d’avoir la certitude qu’une continuité familiale était assurée. Même si les femmes enfantaient plus tôt, il fallait avoir une santé solide pour espérer un jour croiser le regard d’un petit-fils et encore plus d’un arrière petit-fils. Désormais, ce plaisir devient heureusement courant, mais il demeure néanmoins moralement véritablement exceptionnel. Il y a de la jubilation à voir arriver sur cette terre un petit » vermisseau » dont on imagine les sensations. C’est un enchantement que de partager ces moments porteurs d’un avenir réputé heureux. Je l’avoue, L’arrivée de mon second « petit enfant » m’a redonné un brin d’espoir oublié, un rai de lumière, pour éclairer la route du quotidien, un motif de me battre contre ce en quoi je ne crois plus.
Julien me permet d’aimer différemment la vie, car même si je n’ai pu le voir que 4 jours après sa venue au monde, en raison d’un emploi du temps très chargé au service des autres, j’ai eu les larmes aux yeux en mesurant ce dont je lui suis maintenant redevable. En le regardant, si fragile dans son berceau de verre, dans une maternité du CHU de Bordeaux Pellegrin en pleins travaux, j’ai pourtant éprouvé un étrange mélange de plaisir et d’inquiétude. Il ne me semble pas l’avoir ressenti ainsi lors de la naissance de mes propres enfants, car je ne savais pas, alors, quelles étaient les exigences de la paternité.
J’ignorais combien il était difficile de mener vers l’âge adulte un enfant. Le moindre accroc, la moindre faiblesse, la plus petite erreur peuvent avoir des effets désastreux. Et ceci, on le sait… quand on est devenu grand-père, grâce au recul de l’expérience. Avoir un enfant, à l’époque actuelle, c’est s’engager courageusement dans une lourde responsabilité. Il faut savoir que l’on devra se contenter de tenter de boucher des » trous d’air « , d’essayer d’accompagner une évolution délicate, de tenter de conjuguer tendresse et rigueur, de vivre encore plus dans l’inquiétude de l’avenir.
En tant que » Papidou » comme m’appelle Léa, ma petite-fille, je n’ai aucun état d’âme de ce genre : je ne me sens responsable que du supplément de bonheur que je peux donner à ce petit bout d’homme. Mon statut a évolué de celui du » père fouettard » à celui de » papi gâteau « , et inutile de vous dire qu’il s’est amélioré, et qu’il est devenu plus agréable. N’empêche que j’éprouve, malgré moi, une étrange angoisse, car j’imagine (mais c’est mon caractère réel) toutes les épreuves qui attendent Julien sur ce qui ne sera, quoi qu’il fasse, qu’un sentier escarpé vers d’éventuels sommets.
Tout concourt à mon inquiétude. Elle est renforcée par le manque total de lisibilité de l’avenir. Quel monde l’attend ? Quelle sera sa vie sur cette planète en voie d’auto destruction ? Quelle place y trouvera-t-il ? Mon incapacité totale à répondre à ces interrogations, absurdes car démesurées, me rend pessimiste. Ma douleur vient de ce mélange paradoxal entre mon bonheur de le serrer contre moi et ce besoin de lui garantir des lendemains qui, faute de chanter, se contenteraient de murmurer paisiblement.
L’éclatement géographique ou social de la famille prive les enfants de cette relation inter générationnelle dont ils ont grand besoin pour leur équilibre affectif. Dans ma vie personnelle, mes grands-pères ont eu une influence décisive sur mon évolution. Quand je doute, quand je patine, c’est à eux que je pense, car ils avaient une stature morale rassurante, un parcours tellement difficile que le mien ne pouvait être que meilleur, un savoir vivre qui m’impressionnait par sa vraie simplicité. Ils m’ont apporté le propre déroulé de leurs existences, qui ont constitué les références dont j’ai eu besoin pour me construire. Je crois que ce contact entre un » être en devenir » et un autre « en voie de disparition » constitue la plus enrichissante des expériences. Le » contact » demeure irremplaçable.
Seulement, je me rends compte que Julien aura tout juste dépassé ce moment où l’on n’a pas tous les jours 20 ans, quand moi, j’approcherai de celui où l’on a chaque jour quatre-vingts ans ! Et je ne suis pas certain que j’aurai eu le temps de l’imprégner, comme l’ont fait mes aïeux, des valeurs auxquelles je tiens. Il me tarde de pouvoir dialoguer avec lui, lui donner modestement du grain à moudre pour sa conscience en devenir. Rien de sentencieux ou de formel, mais plus efficacement, en étant tel que je suis, sans fard et sans contorsions, car on ne se construit que dans la confrontation, jamais dans le mimétisme.
J’ai envie déjà de le lui écrire, sans forfanterie aucune, non pas une pseudo lettre poétique à Elise, mais un billet à Julien. Il y découvrirait un jour qu’il est arrivé au beau milieu de l’affrontement royal au sein du PS, moment que tout le monde feint de considérer comme décisif pour son avenir. » Te rends-tu compte, mon petit-fils, que tu seras arrivé l’année du lancement de la démocratie participative, de la fin de la carte scolaire, de l’ordre juste et du jury citoyen ? Autant de concepts qui marqueront toute ta génération, et dont tu seras forcément l’héritier. Te rends tu compte, Julien, que tu as pointé ton petit museau entre deux débats télévisés, sur LCP, qui ont mis en émoi la bulle médiatique, boursouflée de s’être emparée du pouvoir de décision ? Te rends-tu compte mon petit-fils que, chaque année, tu pourras désormais fêter l’anniversaire de la révolte des banlieues françaises ? Te rends-tu compte gamin que la semaine où tu es revenu à Sadirac, où je suis né, le Président de ce qui fut la République, arpentait la Chine, réveillée depuis belle lurette, pour vendre nos réalisations industrielles ?… » Ces faits-là seront les tiens, ceux auxquels, les uns et les autres, nous accordons une importance particulière. Quand on débute avec une telle » intensité » dans la vie, on ne peut que se retrouver un jour ou l’autre sur le devant de la scène.
Hier, lorsque je suis allé te chercher à la maternité, et que je t’ai fait franchir la porte d’entrée, j’ai brutalement pris la mesure de l’enjeu. Nous avancions dans le bruit d’un chantier, sur un parking pavé, vers l’habitacle d’une automobile dont on sait que c’est le lieu le plus pollué dans lequel nous pouvons survivre, sous un soleil voilé, et je songeais à ce que tu pourras éprouver, dans des circonstance similaires, dans un demi-siècle. Que restera-t-il de cet environnement tellement différent de celui, que l’on prétend merveilleux, du placenta ? Tout laisse à croire que ton petit-fils, Julien, aura dès ses premiers jours un masque à particule, qu’il sera placé dans un milieu purifié par des filtres et qu’il ne connaîtra pas un hôpital public ! Il faudra que tu lui expliques que, de ton temps, on discutait de l’accord de Kyoto, et qu’un certain Georges Bush gouvernait le monde, que le réchauffement climatique perceptible la semaine de ton arrivée n’inquiétait que des Nostradamus sans crédibilité selon Claude Allègre. Tu porteras probablement le bien le plus précieux qui existe : un nouveau petit d’homme, dont l’arrivée sera due simplement à l’amour, mais pas à la science, ce qui fera de lui un être à part dans un monde standardisé. Impossible, dans le fond, d’avoir des certitudes sur ce que tu ressentiras en franchissant le seuil d’un lieu de naissance dont je ne peux même pas imaginer un instant les contours… Et dans le fond, je ne sais absolument rien de ce qui t’attend.
Je ne pourrai, Julien, te raconter que des histoires de mon passé, comme ces vieux que j’ai connus, qui radotaient sur un banc devant une porte. Je suis condamné à te parler de ce qui a été, car je suis incapable de savoir ce qui sera. L’absence de certitudes à très court terme, sur l’évolution probable de ce monde où tu es désormais, me culpabilise, car elle va te condamner à vivre à tâtons. Et je ne sais pas, face à ce que je vois chaque jour, si dans le fond, égoïstement, je ne suis pas heureux que tu sois là, car je pressens que j’aurai peut-être davantage besoin de toi que l’inverse. En m’apportant l’espoir, tu as rouvert la fenêtre de ma maison sur l’avenir. Rien que pour ceci, je suis le plus gâté des papis gâteux. »
27 octobre 2006
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Incapable de faire le moindre commentaire…Texte si émouvant…que je vais faire lire à mes deux fils qui m’ont fait le cadeau de quatre petits enfants.
Merci pour cette nouvelle « Roue libre ».
A bientôt pour la suivante…
Avec toute notre amitié.