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L’impossible évaluation des coûts de production agricole

Il y a fort à parier que bien des annonces effectuées par le gouvernement en direction du monde agricole pris dans sa globalité et pas dans sa diversité, se heurteront au mur de la réalité. La France est un château de cartes qui risque à tout moment de s’effondrer sous le poids de sa dette colossale. Toutes les revendications formulées par les manifestants tournent autour d’une juste rémunération des productions alimentaires. Une exigence que lors de sondages débiles tout le monde approuve très majoritairement jusqu’au moment où devant se nourrir il compare ce qu’il a dans son porte-monnaie et ce qu’il trouve sur les têtes de gondole des supermarchés. Il s’agit de sauver les apparences mais en aucune façon de résoudre une crise profonde ! 

Il reste que les vrais problèmes de fond ne sont jamais abordés. Et à ce jour, il n’y a aucune solution avancée car ce sont des difficultés structurelles ou de fond ayant des conséquences durables qui ne cesseront de s’aggraver. L’expression le plus utilisée depuis des semaines est celle des fameux « coûts de production » qui devrait être garantis sans que personne n’évoque ce que sera l’évaluation d’un « coût de production.» Le « jouteur de salon » a annoncé la fixation de « prix plancher » fondés sur l’indicateur sur lequel chaque filière agricole (volailles, lait, viande bovine…) a dû se mettre d’accord pour objectiver les coûts de production des agriculteurs. Un casse-tête très discuté et discutable.

Ce prix d’achat et de vente n’engage en effet personne à effectuer les transactions sur leurs bases.  Dans le cadre des accords de libre-échange en vigueur les courtiers, les grossistes, les négociants, les centrales d’achat peuvent fort bien ne plus acheter en France ou ne plus acheter du tout. La demande de verrouillage des frontières avec des ajustements de prix (taxes compensatoires sociales, environnementales) basés sur des contrôles tous azimuts (impossible à l’étranger) sont simples à proposer mais impossibles à mettre en œuvre dans l’espace européen. Le traité de Lisbonne a été conçu pour ça et la concurrence libre et non-faussée (mais jamais contrôlée) s’applique toujours à plein régime. 

Un viticulteur pourra par exemple attendre qu’on lui achète sa production de Bordeaux au moment on apprend que la consommation de vin connaît une baisse sans précédent. Pourquoi acheter des milliesr d’hectolitres qui ne se vendent pas ? Un  prix plancher au tonneau ne changera pas la donne. En revanche ceux qui actuellement vendent plus cher car leur production est de qualité, risquent de voir les offres ramenées au prix plancher censé couvrir les coûts à l’hectare de vigne. Comment croire que cette mesure ne sera pas considérée comme une cotation officielle évitant d’effectuer des efforts supplémentaires. L’effet pourrait être dévastateur pour les producteurs n’ayant eux-mêmes aucune structure autoinome de commercialisation. 

Imagine-t-on que l’État achèterait toutes les productions agricoles invendues ou invendables pour assurer… un « revenu universel » qui ne dirait pas son nom ? Qu’en sera-t-il en période de surproduction ? Comment régulera-t-on un marché basé sur l’offre et la demande en période de baisse de la consommation liée à celle du pouvoir d’achat ? A quelles productions s’appliquera ce plancher ? Les céréales ? Le lait ? Certainement. Le vin ? Peut-être. Selon quels critères régionaux ? Les fruits ? Les légumes ? Le piel ? La betterave  ? Les viandes ? Les produits de la mer ?..

Tout le monde passe pudiquement sous silence l’influence très largement supérieure à celle des intrants dont l’utilisation est réclamée comme moyen de retrouver un niveau concurrentiel sur le marché national, de l’endettement. Selon les résultats publiés par le Crédit Agricole depuis dix ans, le niveau annuel de prêts au secteur agricole dépasse les 7 milliards d’euros. En 2022, il a atteint 9,3 milliards d’euros soit une augmentation de 13% par rapport à 2021 qui concerne plus particulièrement la viticulture et les céréales. Le matériel agricole est bien le premier poste qui augmente surtout en fonction du coût de ces équipements. Les gigantesques tracteurs des manigestants appartiennent souvent aux organismes de prêt.

En fait là encore c’est le secteur de la finance via les banques qui a pris indirectement le contrôle de la filière agricole. ils se tait. Cette crise pèse sur son avenir.  Bien des producteurs ne travaillent en effet que comme « salariés » indirects des banques. Parfois dans leur coût de production le poids de la dette intervient pour des pourcentages élevés. Les annonces d’avances de « trésorerie » ne leur serviront que pour payer en priorité les annuités de leur dette en retard et repousser les difficultés car le principe d’une ligne de trésorerie c’est qu’elle doit être remboursée tôt ou tard ! 

Le volet social n’est jamais apparu sur le devant des revendications ? Quid des retraites d’exploitants réels et plus encore de celle des leurs épouses ou leurs compagnes ? Quid de la couverture sociale proposée par la MSA ? Quid des successions ? Quid du foncier ? Le temps presse et donc la pression pour obtenir des réponses immédiates s’accentue. Elle masque des problèmes de choix politiques de fond que le RN ne résoudra pas. Bien au contraire. Les visites du salon de l’Agriculture en deviennent indécentes. Le libéralisme tant défendu par le milieu agricole (« moi je veux pouvoir m’en sortir seul ») pète à la gueule de ceux qui l’ont défendu en pensant qu’il les sauverait. Et le paradoxe c’est qu’ils y croient encore !

Cet article a 5 commentaires

  1. Gilles Jeanneau

    Bonjour Jean-Marie,
    Oh, quelle fine et subtile analyse!
    Je te suis à 100% et surtout les deux derniers paragraphes.
    Et dire qu’il y a des jeunes qui osent encore s’y coller; la passion est aveugle, c’est vrai!
    Bonne journée quand même

  2. J.J.

    « Les annonces d’avances de « trésorerie » ne leur serviront que pour payer en priorité les annuités de leur dette en retard et repousser les difficultés car le principe d’une ligne de trésorerie c’est qu’elle doit être remboursée tôt ou tard !  »
    Ne serait ce pas une sorte de variante plus ou moins légale de la traite de cavalerie ? Ça m’évoque aussi subliminalement et irrésistiblement la Pyramide de Ponzi, bref, des choses très honnêtes.

    Entièrement d’accord avec ces observations qui révèlent une situation inextricable à laquelle le bricoleur des pendules, malgré ses effets de manche est absolument incapable d’apporter une solution.
    D’ailleurs au point où nous en sommes y en a -t-il une ?

  3. François

    Bonjour J-M !
    Excellent descriptif d’une situation agricole ( … et autres car ce calque te servira bientot pour d’autres secteurs économiques ou sociaux !) catastrophique mais, comme toujours, sans la moindre étincelle de solution « non Rigollot ».
    Aussi, afin de ne point sacrifier notre Amitié sur l’autel des constats improductifs, je ne pousserai pas plus loin mon commentaire.
    Je te rappelerai juste une réflexion d’un ancien (†) du BTP (de Postua !) du Cadillacais qui disait à ses employés: « Arrétez de travailler de cette façon, vous allez me mettre sur la pente qui gliche (glisse) » Il constaterait que l’on a fait un grand pas en avant ! !
    Si, surpris par mes dires, tu cherches une raison, tu peux « retourner » ton logiciel. Tu trouveras alors dans les commentaires « François », des solutions en filigrane, solutions évoquées par « un qui ne comprend rien à la Politique », n’est-ce pas J-M, Toi qui as voté deux fois pour le beau gosse ?
    Sur ce, je m’en vais au bois … en souriant ! !
    Amicalement

  4. facon jf

    Bonjour,
    d’une situation particulièrement tendue nous sommes passés à une situation intenable. La crise Ukrainienne est la dernière pelle qui a fait s’écrouler l’édifice vermoulu de la construction économique de l’Europe.
    Pour se centrer sur l’agriculture, l’état des lieux est le suivant : le nombre d’exploitations poursuit son effondrement à la faveur d’une concentration de la propriété agricole. Il n’est que de 400 000 en 2024 contre 800 000 en 1988, un tiers des exploitants ayant plus de 60 ans. Le revenu moyen des exploitants est inférieur au SMIC selon l’INSEE : 1475 € brut en tenant compte toutefois de profondes inégalités. 18% vivent sous le seuil de pauvreté et beaucoup d’entre eux, notamment les petits éleveurs, vivent en marge de la société, privés de vacances et de week-ends, et cumulant les contraintes de la vie rurale pour l’accès aux soins ou la scolarisation de leurs enfants. Accusés d’être des pollueurs par certains mouvements écologistes, ils ne se sentent pas reconnus dans leur mission d’entretien de la campagne et de ses paysages. Le nombre de suicides d’agriculteurs ruinés par les crédits bancaires atteste de la profondeur du drame.
    La colère agricole se focalise sur l’ état qui lui même est corseté par l’Europe. Les grands sujets de l’avenir qui préoccupent la profession se décident au niveau européen, dans un contexte où les décisions essentielles échappent à la souveraineté nationale : l’ouverture du marché européen à l’Ukraine, les négociations de libre-échange avec le Mercosur (« marché commun de l’Amérique du Sud »), le « pacte vert » réputé comme imposant, à terme, des contraintes environnementales supplémentaires aux agriculteurs. En fait la politique de l’Europe se (re) structure autour des impératifs économiques découlant des décisions imposées par l’Oncle Sam dans ses guerres pour maintenir son hégémonie. L’ industrie Allemande très énergivore est frappée de plein fouet par l’embargo sur les produits pétroliers Russes. La récession et son cortège de fermetures d’usines menace la première économie de l’UE ! Le Mercosur permet l’échange produits industriels contre produits agricoles, allons y et tant pis pour les agriculteurs. L’Ukraine a besoin de fonds pour financer sa guerre sans fin ? Ouvrons les frontières aux produits agricoles Ukrainiens et tant pis pour les agriculteurs. La tragédie du monde agricole qui s’exprime dans toute l’Europe sous forme de manifestations et de votes vers l’extrême droite ne semble pas faire dévier la servitude de l’UE face aux USA!

    Dès lors, le premier devoir de tout responsable politique (actuel ou futur) n’est-il pas de commencer par dire la vérité au monde agricole (sur le possible et ce qui ne l’est plus), Force est de constater que ce n’est pas le cas l’objectif est de sauver le passage du Méprisant au salon de l’agriculture 2024 – une vitrine qui contraste avec la réalité d’une profession – et désamorcer la colère qui pourrait s’y exprimer, les dirigeants au pouvoir prennent des initiatives exprimant une intention de dépasser le stade d’annonces ponctuelles, et, désormais, de se préoccuper en profondeur de l’avenir du métier d’agriculteur. Ils parlent de restaurer « la souveraineté agricole » et le Méprisant organise un débat improvisé sur son mode préféré  » je suis venu pour vous écouter m’entendre parler  » . Son magnifique plan d’ un grand débat, sur le modèle de celui qui avait accompagné la sortie de crise des Gilets Jaunes, ayant lamentablement foiré.
    Cette nouvelle crise est loin du point final, les élections européennes vont catalyser le rejet sous la forme d’une poussée vers l’extrême droite. Situation dont il faudra bien s’accommoder tout comme le retour de Trump, peut être alors un nouveau cap Européen pourrait se dessiner…
    Bonne journée

  5. François

    Bonjour @ facon jf !
    « Cette nouvelle crise est loin du point final …. peut être alors un nouveau cap Européen pourrait se dessiner… »
    Même si le spectre de l’Extrême Droite apeure beaucoup d’entre-nous, reconnaissons que les pays qui ont tenté la bascule s’en accommodent plutot bien !
    Reconnaissons aussi ce que tout diététicien vous dira: » Quand la soupe n’est pas bonne ou pire ne nourrit pas, il faut changer la recette. Sinon, c’est la mort assurée ! »
    Les PolitiqueS, qui hantent notre pays depuis des décennies ont besoin d’une vraie leçon …pour ne pas dire d »un coup de pied au c…! Et ce, même si fidèles à leur image, chassé(e)s par la porte, ils (elles) reviendront par la fenêtre ! !
    Cordialement

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