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Navalny et Manouchian, jusqu’au bout de leur engagement

Alexei Navalny attend dans le tiroir d’une morgue probablement naturellement réfrigérée de la Sibérie, que l’on efface les causes réelles de son décès. Quels que soient ses jugements ou ses accusations portées sur l’Ukraine et qui ont été évidemment ressorties des placards à archives, il a eu un parcours de résistant irréductible. Le jour où le couple Manouchian intègre le Panthéon, le parallèle sur la capacité de ces êtres à aller jusqu’au bout de leur idéal ou des valeurs essentielles auxquelles ils sont attachés, devient inévitable. Ce que l’on appelle couramment le courage prend la forme d’un héroïsme mystique dans les deux esprits. 

Bien de commentateurs se vautrent dans les mots et la surenchère sans se poser la seule question qui compte : aurais-je été capable de réaliser une simple parcelle de leur sincérité dans l’action ? Lorsque des personnes aussi solides dans leur engagement, aussi robustes dans leur comportement politique, aussi peu soucieux de leur propre existence pour l’exposer aux pires tortures, aussi solidaires dans la défense de l’avenir des autres, se dressent sur le chemin des dictatures, ce que le reste de la population appelle la « contestation » se dégonfle brutalement. Quand la fuite ou l’exil constituent les solutions pour continuer les combats, tous deux avaient opté pour la confrontation directe dangereuse, maximale comme si la mort ne les arrêterait jamais.

Navalny en revenant en Russie espérait qu’un brin d’humanité venant du pouvoir « poutinesque », lui permettrait de poursuivre sa quête d’un fonctionnement étatique plus respectueux des principes essentiels des Droits de l’Homme. Un pari insensé qu’il aura payé de sa vie. Un communiqué a scellé son sort. Et même sa disparition perturbe ses tortionnaires. Il faut que son silence éternel ne constitue pas une arme contre eux.  Broyé par l’indifférence dans un pays sous propagande intensive, héros d’une cause que l’opinion dominante considère comme perdue, l’opposant a joué à la roulette russe avec un revolver charge de six balles. Terrible fin dans un goulag mortifère.

Alors que Alexeï Anatolievitch Navalny, avocat aux mains blanches façonnait des idées (d’ailleurs à une époque pas toujours très conformes aux idéaux qu’il a défendus), se débattait dans la toile d’araignée de la justice aux ordres, Missak Manouchian le menuisier arménien devenu poète, œuvrait dans l’ombre à lutter contre les nazis et leurs affidés. Ayant échappé au génocide dans son pays natal, il ne tolérait pas que dans celui qui l’avait accueilli les mêmes comportements abjects provoquent le même désastre humain. Tous deux sont réunis par cette lumière crue et puissante qui émane de leur exemple. Ils illuminent des consciences… 

Manouchian et ses 22 camarades au sens vrai de ce statut seront fusillés un 21 février. Navalny a été « exécuté » le 16 février, quatre-vingts ans plus tard. Étrange coïncidence. Ils sont réunis dans la mort. Le premier bénéficiera des honneurs que l’ont aura trop tardé à lui rendre et le second n’aura peut-être comme linceul qu’une terre durcie par la froid polaire et couverte de neige. Tous deux serviront après leur disparition à alimenter la désinformation des régimes qui les auront assassinés. Ils seront même loués par des représentants de régimes guère plus indulgents avec ceux qui leur résistent que l’ont été ceux qui les ont assassinés. C’est la loi du genre. 

Dans sa dernière lettre en français à son épouse le matin même de son exécution Missak Manouchian délivre un message d’une profonde humanité, gage de son humanité profonde : « (…) Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus (…) » Navalny n’aura probablement pas pu exprimer ses sentiments profonds.

Mélissée Manouchian ayant toujours soutenu l’action de son mari, protégée et cachée par la famille Aznavourian portera toute sa vie le souvenir de l’action de son mari ayant claqué cette phrase défiant le tribunal servile qui le jugeait : « Vous avez hérité la nationalité française, nous l’avons méritée ». Ioulia Navalnaïa l’épouse de Navalny a relevé le flambeau clamant elle-aussi sa volonté de poursuivre la lutte : «Poutine a tué le père de mes enfants. (…) Et, avec lui, Poutine a voulu tuer notre espoir, notre liberté, notre futur (…)  Je vais poursuivre le travail d’Alexeï Navalny, je vais continuer à me battre pour notre pays ». Et ce ne sont pas des mots ! Respect. Immense respect. Résister n’est pas donné à tout le monde. 

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Cet article a 6 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Magnifique engagement !

  2. J.J.

    « Navalny a été « exécuté » le 16 février, …. » Affirmation hasardeuse qu’il reste à prouver !
    De plus, je ne vois vraiment aucun lien entre un sous marin inconséquent, manipulé et tapageur, et un résistant M.O.I. dans une action de résistance qui le condamnait à mort « de facto ».

    Tant qu’à célébrer des résistants victimes, il serait bienséant de ne pas omettre le cas de Julien Assange, poursuivi et quasi condamné d’avance (175 ans de prison ! Quand les étasuniens sombrent dans le sinistre ridicule, ils font fort !) pour avoir dénoncé des crimes de guerre parfaitement documentés ( et c’est là que ça coince !)
    Et là, les ambassadeurs des États Unis et de Grande Bretagne n’ont pas été convoqués pour fournir des explications, même pas par l’état australien dont Julien Assange est citoyen..
    Conclusion ?

    1. facon jf

      @JJ complètement d’accord avec vous, je m’apprêtais à formuler le même télescopage d’évènements.

      Je vous laisse juges des propos du vice-président de la Chambre du Parlement slovaque, Ľuboš Blaha, à propos de la mort de #Navalny :

      « C’est triste, bien sûr, que l’homme soit décédé, mais il est étrange que tout l’Occident promeuve maintenant joyeusement des théories du complot ici, alors que sa mort n’a même pas été enquêtée.

      Poutine n’avait certainement pas besoin de sa mort, Navalny aurait dû passer les prochaines décennies en prison et il ne menaçait personne politiquement.

      Selon les autorités, la cause de sa mort était un caillot sanguin. Nous n’en savons pas plus, l’affaire est en cours d’enquête, tout le reste sont des conspirations.

      Je ne vais pas prétendre que je vais pleurer toute la nuit à cause de Navalny maintenant – des milliers d’enfants meurent à Gaza et tous les médias les ignorent, ils ne parleront à l’antenne que de cet agent américain pendant une semaine.

      Ils feraient mieux de regarder ce que les Britanniques et les Américains font à Julian Assange, qui est en détention au bord de la mort dans ce glorieux Occident, qui se vante de la liberté d’expression et de la protection des journalistes.

      Qu’ils se souviennent comment ils sont restés silencieux lorsque le journaliste américain Gonzalo Lira, qui critiquait Zelensky, est récemment décédé en détention en Ukraine. Ils n’en ont même pas parlé. Et aujourd’hui, ils vont moraliser sur la mort de Navalny.

      Encore une fois, c’est toujours triste quand une personne décède, mais c’est de la pure hypocrisie. »

  3. facon jf

    « Si tu trembles d’indignation à chaque injustice, alors tu es un de mes camarades. »

    Ernesto Che Guevara
    http://www.communcommune.com/2024/01/ukraine-mort-en-prison-a-kiev-du-journaliste-americain-gonzalo-lira.html

    La France n’a de leçon de morale à formuler à personne. Maurice Audin assistant à la Faculté des Sciences d’Alger, père de trois enfants en bas âge, membre du Parti Communiste Algérien, militant anticolonialiste a disparu, à Alger, dans des conditions mystérieuses, en pleine Bataille d’Alger. Maurice Audin a été arrêté par les parachutistes français, le 11 juin 1957 pour avoir aidé les indépendantistes du Front de Libération Nationale (FLN). Dix jours plus tard, le 21 juin 1957, son épouse, Josette, apprend qu’il « s’est évadé » lors de son transfert d’un lieu de détention à un autre. La France avait maintenu la fable de l’évasion de Maurice Audin jusqu’en 2014, année lors de laquelle François Hollande admet que Maurice Audin était mort durant sa détention : « Les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui été avancée à l’époque. Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention ».
    Bonne journée

    1. facon jf

      une partie de la déclaration de Mollande a disparu dans mon post ci-dessus la voici en entier désolé.
      « Les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention ».
      Message de M. François Hollande, Président de la République, sur la disparition en 1957 de Maurice Audin, jeune professeur et militant de l’Algérie indépendante, le 18 juin 2014 .

  4. Gilles Jeanneau

    Effectivemnt, je trouve que le cas de Julien ASSANGE est honteusement tu par les merdias et la France n’a pas de leçon à donner aux autres.

    En dehors de ça, je pense que les services spéciaux seraient bien inspirés de dezinguer ce taré de Poutine!

    Allez, bonne journée quand même.

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