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La potion amère des pénuries organisées

Il existe un nouveau stress qui aggrave la situation des malades chroniques : la course aux médicaments essentiels au maintien de la lutte contre ce qui les ronge ou les préoccupe. Désormais il n’y a plus aucune certitude sur les approvisionnements quand le patient (il mérite vraiment ce nom) se présente au comptoir d’une pharmacie. Il faut de plus en plus souvent s’offrir un tour des officines pour dénicher la boîte indispensable à la maintien de son niveau de santé. Il existe même des méthodes pour connaître celles qui ont en stock le précieux auxiliaire : les réseaux donnent instantanément aux pharmaciens qui y sont rattachés les réserves des collègues du département.

Les raisons en de ces pénuries sont multiples mais essentiellement basées sur le profit potentiel des laboratoires. Après quarante ans de délocalisation, la part des médicaments produits sur le territoire français ne dépasse pas aujourd’hui un tiers de la consommation. De premier producteur européen, la France est tombée à la cinquième place. La plupart des principes actifs sont produits hors d’Europe, surtout en Asie, entraînant une dépendance forte pour la production de médicaments matures ou génériques, essentiels à notre système de santé. Les pays qui produisent ne font aucun sentiment et vendent au plus offrant.

La France n’attire pas non plus la production de médicaments innovants, onéreux. Vecteurs importants de progrès thérapeutique, ceux-ci représentent une part croissante de la dépense de santé. Les industriels pharmaceutiques implantés en France s’orientent de plus en plus vers l’export (1/2 du chiffre d’affaires contre 1/5e en 1990), plus rémunérateur, à la faveur de la financiarisation du secteur qui exige une rentabilité croissante. Cette réalité pèse désormais sur le marché hexagonal. Comme pour les alcools, les cigarettes ou les carburants il est devenu fréquent que les frontaliers se rendent à l’étranger pour se procurer cachets ou autres potions essentielles.

Dans un rapport d’information du Sénat les prévisions s’annoncent sombres. Le recours croissant à la sous-traitance augmente en effet les risques de rupture d’approvisionnement et limite la visibilité sur les différents maillons de la chaîne. La gestion des flux est parfois imprévisible. La concentration de la production, notamment de principes actifs, autour de quelques fournisseurs asiatiques dont dépendent les laboratoires et façonniers du monde entier, rend difficile la substitution en cas de rupture. Il n’y a plus de prévisions possibles.

Les arrêts fréquents de production, en raison des exigences de la réglementation sanitaire et environnementale aggravent les défaillances en approvisionnement. Un phénomène renforcé par deux paramètres : un meilleur accès aux soins au niveau mondial et le vieillissement des populations qui accentuent la demande. Dans quelques années la tension sera très forte et la pénurie n’est pas prête de s’arrêter. Les laboratoires distributeurs n’effectuent aucun effort réel sauf sur des maladies de plus en plus courantes et en augmentation constante.

Toujours selon les sénateurs « un laboratoire qui développe un médicament en monopole dispose, de fait, d’un droit de vie ou de mort sur les patientes et les patients ». Plus il est efficace et plus il peut menacer d’arrêter de le commercialiser, de refuser son remboursement par la sécurité sociale ou… diminuer les délais d’accès précoce Les traitements innovants voient leurs prix flamber car il sont imposés par la raréfaction des autres remèdes plus anciens.

«  Jusqu’à 70 % des déclarations de rupture concernent des médicaments dont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été octroyée il y a plus de dix ans. Les industriels pharmaceutiques français envisagent d’abandonner la production de près de 700 médicaments » constatent les doctes pensionnaires du Palais du Luxembourg. En 2022, il y a eu 1 602 ruptures de stock de médicaments et 2 159 déclarations de risques de ruptures. Jusqu’en 2017, on comptait moins de 500 ruptures de stocks par an et moins de 150 risques de rupture par an. En 2023, 37 % de nos concitoyens déclarent avoir été confrontés à des pénuries de médicaments. Le mal progresse.

Encore une fois la fameuse théorie voulant que pour ne pas mesurer la fièvre la meilleure solution soit de casser le thermomètre, grâce au 49-3 a été adopté sans débat un article du budget de la sécurité sociale sur la pénurie. Pour masquer la réalité des difficultés croissantes d’accès aux médicaments auxquelles sont confrontés les usagers une disposition donne la possibilité de définir par décret la durée d’indisponibilité d’un médicament constituant « une rupture d’approvisionnement ». Or celle-ci est de 72 heures dans le Code de la Santé publique. Il suffira donc d’allonger cette durée par décret, pour classer moins de médicaments en rupture d’approvisionnement ! Le tour est joué ! A votre santé.

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    Pourquoi le monde médical, qui se voulait exemplaire, humaniste et philanthropique aurait échappé à la fièvre du pognon facile et à la magouille organisée ?
    Oubliés les serments d’Hippocrate, Gallien et autres exemples de sollicitude envers les patients..

    1. facon jf

      dans le « Quotidien du médecin » du 8/12/2023 on peut lire : En passant de la 3 e à la 20 e place en Europe pour ce qui est de la mortalité néonatale, la France se déclasse. En cause, une offre inadaptée dans le bas risque et des manques de moyens en réanimation néonatale.
      Des soins et suivis prescrits ne peuvent être réalisés faute d’infirmiers
      La situation périnatale ne s’est guère améliorée en France : elle a même continué à se dégrader par rapport à l’an dernier, ce qui place la France dans une mauvaise direction par rapport au reste de l’Europe – notamment de l’Europe du Nord –, où la mortalité infantile continue à baisser.

      Il est urgent de revoir nos priorités. Les JO 2030 ne sont absolument pas une priorité.

  2. Alain.e

    La génération des yéyés est aujourd’hui au pillul yé yé yé ……
    Quand je vois le nombre de cachets nécessaires à la confection de la boite plastique pour ma mère , je m’ étonnes pas de la pénurie .
    hier , j’ ai ramené un plein sac de médicaments périmés à la pharmacie qui est tenue de les reprendre , mais qui interpelle sur le gaspillage évidemment.
    Plus de docteurs , plus de profs , plus de médicaments , plus de justice , plus de rendez vous faciles à obtenir , l’ époque est morose et nécessite un gros mental c’ est sur .
    Cordialement .

    1. facon jf

      @ Alain.e pillul yé yé yé c’est bien trouvé. De nombreuses études ont clairement mis en évidence cette surmédicalisation. Dans nos maisons de retraite , par exemple, la moyenne des médicaments consommés par les résidents est de 8 pilules par jour, et ce chiffre s’élève dans certains cas jusqu’à 20 ! « Au lieu de manger des fruits et des légumes, ils mangent des pilules », conclut humoristiquement l’une de ces études. Dans ce tableau de la surmédicalisation, il ne faut pas oublier la répétition souvent abusive des IRM, des scanners, des bilans et contrôles, des chirurgies inutiles. Au-delà de 4 médicaments par jour, les effets secondaires débouchent toujours sur des complications. Et c’est sans compter les prescriptions de médicaments incompatibles entre eux, qui entraînent 20 % des hospitalisations des plus de 75 ans. Il faut enfin évoquer ce qu’on appelle « l’effet iatrogène » de certains médicaments, lorsque l’accumulation des pilules finit par provoquer une nouvelle maladie chez le patient. De tout cela il découle, selon des recherches récentes, qu’un grand nombre de décès chez les vieillards sont dus à la surmédicalisation et à l’addition des effets secondaires. Cette surmédicalisation de la vieillesse est rarement évoquée, presque jamais remise en question. Nous vivons dans une attente magique de la pilule miracle, dans une confiance presque aveugle dans les pouvoirs de la médecine et des médicaments ; et tout ce qui nous amènerait à douter de la puissance médicale, à nous méfier des « hosties pharmaceutiques » qu’on nous prescrit à tour de bras, passerait pour sacrilège, crime de lèse-majesté. Et je ne crois pas que ce tabou soit prêt de tomber.
      Il est d’ailleurs curieux de constater, en passant, que ce sont les deux extrêmes de l’âge, l’enfance et la vieillesse, qui sont particulièrement touchés par cette surmédicalisation ; pensons à tous les enfants que l’on place aujourd’hui sous ritaline ou autres…
      M’enfin! remettre en cause Bigpharma est-ce bien raisonnable ? vite une pilule …

  3. facon jf

    Bonjour,
    la pénurie de médicaments c’est l’une des conséquences de l’effondrement bien palpable dans notre beau pays. Un effondrement que nos grands mamamouchis nous cachent méthodiquement. L’origine de notre effondrement c’est la perte de notre souveraineté économique , la souveraineté n’est pas un gros mot de complotiste !
    La souveraineté économique désigne l’état d’un système économique qui bénéficie d’un contrôle sur ses approvisionnements principaux. Contrairement à l’autarcie, la souveraineté économique permet un recours au libre-échange, encadré, dès lors qu’il n’affaiblit pas les capacités de l’État. L’article L 151-3 du Code monétaire et financier crée le principe d’un contrôle de l’État des « activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ». Il est complété par un décret de 2005, dit décret de Villepin, qui met en place une liste d’activités stratégiques d’un point de vue économique.
    C’est en fait la résilience économique d’un pays face à toutes les hypothèses catastrophiques qui peuvent advenir.
    Quel constat pouvons nous faire de cette capacité en regard de notre histoire récente ? La crise du Covid est riche en enseignements sanitaires. Elle a parfaitement fait la preuve de notre incapacité à fournir le minimum minimorum du commencement du début de fournitures des produits sanitaires indispensables !!
    Une note du Conseil d’analyse économique définit une stratégie de souveraineté économique afin de rendre le pays plus résilient au sein de la mondialisation. Il recommande que le pays établisse une liste des produits clefs les plus vulnérables à des ruptures d’approvisionnement, c’est-à-dire aux produits qui sont produits par un faible nombre de producteurs, et ce en-dehors de l’Union européenne.
    Qu’ont fait les mamamouchis de ce constat ?? RIEN ! Si ce n’est des déclarations politiques qui n’ont fait que ventiler les palais de la Ripoublique.
    Mais alors pourquoi la Bulgarie n’a pas connu de pénurie de médocs ? Parce qu’elle a accepté de payer à bigpharma le prix de sa dépendance.
    Que va-t-il advenir si l’ empire US coupe les routes d’approvisionnement commerciales entre la Chine et l’UE ? Des milliers ( centaines de milliers ??) de personnes souffrant de maladies vont mourir faute de traitement!! Nos grands mamamouchis diront alors  » le sacrifice des français est nécessaire au maintien des valeurs de liberté universelle, nos morts sont des héros de la noble cause « . Je caricature à peine.
    Nous touchons le fond, et les prochaines élections de l’UE (rss) vont résonner du vide abyssal des dirigeants politiques que nous méritons.
    Qui aura le courage de remettre en cause les dogmes ultralibéraux de l’UE (rss ) qui nous sacrifient pieds et poings liés sur l’autel du libre échange. Le renard libre dans le poulailler libre ça suffit!

    Bonne journée

  4. Laure Garralaga Lataste

    Quand le renard est libre, la volaille a du mauvais sang à se faire…!

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