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Le jour où se décide une relation humaine plus ou moins durable

La rentrée reste un jour magique. Ce jour là est toujours une aube prometteuse sur l’avenir que l’on espère radieux. Certes parfois les lendemains déchantent, mais il y a toujours quelque part, dans le cœur de la majorité de celles et ceux qui prennent le chemin de ce qui devrait être la plus belle bâtisse du village ou le plus attractif des immeubles de la ville, une petite flamme d’espoir ! Les bonnes résolutions pavent le parcours qui conduit à une école. En effet, il en va très différemment des autoroutes menant vers les collèges et les lycées qu’empruntent des jeunes, souvent privés de leurs illusions. Elles ont été tuées par un système reposant sur le filtre de l’échec, alors qu’il ne devrait être basé que sur celui de la réussite.

Ce matin là n’est jamais comme les autres puisqu’il est le prélude à une rencontre, celle que vivra un(e) adulte un peu particulier(e) et un groupe dont il devra conquérir l’estime et pas nécessairement obtenir l’amour. Il n’a aucune certitude sur le résultat, et c’est là la glorieuse incertitude du métier d’enseignant. Sauf à conserver durant plusieurs années (ce que personnellement je préférais) les mêmes ouailles, chaque arrivée face à une classe constitue une véritable épreuve.

En effet, ces instants ne pardonnent pas la moindre erreur, car ils confirment que les premières impressions sont toujours les bonnes. Plus l’assistance est âgée et plus le jugement sera impitoyable. Les secret d’une carrière réussie réside dans sa capacité à gérer chaque minute de cette première journée. Enfants ou adolescents appréhendent intuitivement les personnalités des gens que leur propose le système éducatif. Ses faiblesses transparaissent très vite et, exactement comme le font les fauves avec le dompteur : un instant suffit à faire basculer une relation vers une durabilité incertaine.

Une pensée structurée, une gestuelle précise, une méthode calculée, une intensité maîtrisée constituent dans toutes les situations les ingrédients de cette savante « alchimie » qui détermine la réussite d’une relation équilibrée. Dans le fond, les « apprenants » (c’est ainsi qu’il faut désormais qualifier les « élèves ») n’aiment pas sentir qu’on les sous- estime. De la maternelle à la terminale, ils ont besoin de trouver, en bien ou en mal, un repère permettant d’aimer ou de haïr, mais de ne jamais se sentir dans le vide. Ce matin là le courant doit passer… faute de quoi plus rien ne passera !

De longues années plus tard, il reste en effet dans les mémoires, un visage, des mots, des attitudes ayant permis de se construire. Le jour de la rentrée, on entame justement la construction du fragile édifice de la confiance à établir entre le « sachant » et « l’apprenant ». Il conditionnera toute la suite de cette relation basée sur la passion déployée par l’un(e) et sur la motivation qui en découle chez les autres. Le secret n’est pas ailleurs et tout se joue souvent en une fraction de seconde.

Les ratés dans cette symbiose sont irrémédiables. Le matin de la rentrée, les impatiences de la découverte sont telles que si elles ne sont pas satisfaites, le risque est grand de voir des dégâts se perpétuer sur tous les autres rendez-vous initiaux avec l’éducation. Les « petits » vivent cette rupture avec une vie familiale aux horizons parfois très limités sans angoisse préalable, mais avec douleur quand elle vient. La qualité du lieu d’accueil prend alors toute sa valeur.

Il y avait dans les salles de classe d’antan des odeurs spécifiques qui accentuaient la notion de découverte. Celles de la craie, de l’encre, ont été remplacées par celles des stylos feutres destinés aux tableaux blancs aseptisés ayant succédé aux « noirs » ou aux « vert sombre » ayant les mêmes vertus que les bleus de travail des artisans. Quel plaisir il y avait à être le premier désigné pour emplir méticuleusement les réservoirs des plumes sergent major ! Quelle récompense que d’être appelé (e) à effacer avec application les écrits du jour ! Quelle fierté à devenir estafette, porteuse du nombre de repas à la cantine pas encore devenue restaurant scolaire aux normes vétérinaires !

Un jour de rentrée, c’étaient des petites satisfactions qui vous ouvraient la voie vers le plaisir de grandir chaque année d’un cran supplémentaire… Lentement fondait la méfiance et la peur, mais il subsistait dans les écrits une envie éphémère d’être parfait. La première page d’un cahier ou d’un classeur traduisait cette farouche volonté de bien faire. Il n’y avait que de rares réfractaires qui ne succombaient pas peu ou prou au charme d’une page immaculée avec un quadrillage rassurant pour les malhabiles.

La première récréation devient ce jour là radieuse, tant elle permet de se situer dans cette société reflétant celle de l’extérieur, avec ses querelles virulentes, ses amitiés plus ou moins durables, ses comparaisons douloureuses ou mesquines, ses jeux puérils ou pervers. Aucune des suivantes n’aura le même parfum de liberté que celle du jour de rentrée. Comme le son de la cloche ou celui de la sonnerie en fin de journée ne sera plus le même.

Il n’y aura en effet jamais autant de choses à raconter en rentrant le soir, si par bonheur, des parents ou des grands parents ont des oreilles attentives. Ne pas pouvoir narrer cette rencontre dans une maison close où l’on fait ses premières armes éducatives constitue en effet une punition terrible… et une frustration insupportable. Je les ai tant aimées mes rentrées. Si je les ai oubliées je n’ai jamais chassé de ma mémoire ceux avec qui je les ai partagées.

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Cet article a 3 commentaires

  1. christian grené

    « Les bonnes résolutions pavent le parcours qui conduit à une école… »
    Amarcord, comme dirait Fellini, on parlait autrement en 1968. Slogan au hasard: « Les bonnes révolutions dépavent le parcours qui conduit à la Sorbonne.
    S’cusez moi M’sieur, faut que je finisse « Jour de rentrée » paru aux bien nommées éditions des « Vents salés ».

  2. J.J.

     » les « apprenants » (c’est ainsi qu’il faut désormais qualifier les « élèves ») », expression à mon avis parfaitement ridicule et prétentieuse.

    Extrait de mes souvenirs : première rentrée dans un établissement public après quelques années dans une institution confessionnelle.

    « Le jour de la rentrée, je reçus ma première leçon de tolérance et de laïcité.
    Notre maitre venait de nous distribuer des cahiers, il nous demanda d’écrire notre nom sur la première ligne de la première page. Je fis comme il était de coutume dans le précédent établissement, écrire mon nom sur la deuxième ligne et les lettres JMJ sur la première. Le maître, circulant dans la clase en surveillant notre travail me demanda :
    -Pourquoi as-tu écris JMJ, ce ne sont pas tes initiales ?
    Je lui expliquais (à ce grand ignorant !) que ça signifiait : Jésus Marie Joseph. Il m’expliqua alors très gentiment que dans cette école, tout le monde n’était pas forcément catholique et qu’il pourrait y avoir des élèves ayant une autre religion, ou pas de religion du tout ; je pourrais être choqué moi même que quelqu’un affichât des signes d’une religion ou d’une croyance qui n’était pas la mienne.
    Je pris en même temps conscience que si des païens se trouvaient éventuellement parmi nous, ils ne m’avaient pas encore sauvagement agressé, le couteau entre les dents… »
    Parmi ces « païens », un bon camarade, toujours discret et au sourire triste. J’ai découvert plus tard qu’un de ses parents avait été déporté à l’occasion de le terrible « Rafle de la Salle Philarmonique », qui fut l’équivalant provincial de celle du Vel d’hiv’ .

  3. Philippe CONCHOU

    « Élèves  » devenus « apprenants » amusant ou plutôt triste, on dirait que le monde de l’enseignement veut exorciser les reproches qui lui sont faits de ne plus faire « apprendre  » comme avant.

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