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Eté ou pas été : les ravitaillements du facteur

Ce que l’on a coutume d’appeler les grandes vacances offrait l’opportunité à partir de quatorze ans de se trouver ce que la modernité à baptiser des « jobs d’été » alors que nous nous contentions de petits boulots. La plupart du temps non déclarés ces séquences de travail permettaient de trouver quelques subsides pour des achats ou des dépenses que les revenus de la famille rendaient impossibles. Un coup de main pour rentrer les foins ou pour récolter les pieds de tabac ne procuraient que des dédommagements mineurs. Un billet dit « Pasteur » de cinq francs suffisait cependant à notre bonheur résidant dans la capacité qu’il offrait à être libre d’acheter une ligne avec un bouchon fuselé pour la pêche ou s’offrir une glace deux boules lors d’un passage à Créon. C’était le début de l’autonomie.

La première mission de confiance qui me fut confiée fut celle de remplacer les facteurs durant leurs congés. A seize ans, la tache n’avait rien d’une sinécure compte tenu de la vaste étendue de la commune de Sadirac. Le recrutement s’effectuait en effet sur la capacité à effectuer quotidiennement (sauf le dimanche) l’une des deux tournées d’une dizaine de kilomètres à vélo. Ayant été depuis la classe de sixième habitué à rejoindre le collège avec une bicyclette achetée d’occasion au garde-champêtre parti en retraite, j’avais les mollets adaptés aux nécessités du service.

Les horaires de travail dépendaient essentiellement de ma capacité à pédaler par monts et par vaux car la topographie sadiracaise n’était pas des plus aisées. Le circuit était tous les jours le même bien que le courrier ne concerne pas toutes les habitations. Bien évidemment le contrôle reposait sur le passage imposé aux boites aux lettres publiques jalonnant le parcours. Il fallait l’ouvrir avec une clé attachée au bout d’une chaînette reliée au porte-feuille en cuir dans lequel était rangés les fonds pour le paiement des mandats à domicile. Un tampon encreur rond permettait d’humecter le sceau intérieur et de le recueillir sur une feuille à mettre au receveur. Un rituel dont j’appris à m’acquitter scrupuleusement.

La matinée débutait à 7 h 30 par le tri du courrier répandu hors du sac postal sur une grande table. Le duo des facteurs le répartissait dans leurs casiers respectifs avant de les classer dans son énorme gibecière en cuir épais dans l’ordre de passage. C’était la surprise agréable ou désagréable. Sur l’une des tournées il y avait un abonné à l’Équipe qu’il fallait desservir tous les jours. Je retirais avec délicatesse la bande portant l’adresse pour lire le journal dont je rêvais depuis toujours. Rien à voir avec le Sud-Ouest que nous parcourions collectivement au bureau des PTT. Le quotidien sportif respirait l’exploit, la sueur et les larmes. Cette année là Jacques Anquetil eut pas mal de difficultés à l’emporter face à Frederico Bahamontés et Raymond Poulidor.

Chaque cote sur le circuit de distribution du courrier (et il y en avait quelques-unes!) se transformait en un col des Alpes où mon idole (oui j’étais un inconditionnel d’Anquetil) avait distancé ses rivaux. Je fonçais sur mon vieux clou dans les parties plates et je tentais de battre le record de vitesse global sur la tournée. Les paiements de mandat ralentissaient quelque peu ma progression mais je ne les dédaignais pas car ils me valaient une « prime » composée de la monnaie offerte par le destinataire d’une somme liée à un remboursement de la sécurité sociale.

Comme les coureurs de la Grande Boucle je bénéficiais de points de ravitaillement parfaitement identifiés. Le facteur que je remplaçais avait ses habitudes. Si les occupants étaient là il donnait tout son sens au mot tournée pour un facteur. Il effectuait aussi dans le cas contraire, des haltes solitaires rafraîchissantes au vin rouge. Il savait où se trouvaient les clés. Sous une pierre. Dans un pot de fleurs. Sous les tuiles ou dans une cache spécialement aménagée. Il posait le courrier sur la table et il y retrouvait « son » verre avec la bouteille mise à sa disposition. 

C’était la solution qu’il préférait car le ravitaillement était libre ! J’eus droit à des reproches étonnés car ma consommation inexistante constituait un signe évident de faiblesse. Jamais la définition du « pour boire » avait été aussi évidente. J’eus la certitude que la distance que j’effectuais était bien plus courte que la sienne sur le chemin du retour ;

Mon Petit Travail Tranquille (c’est ainsi que gamin nous définissions le sigle PTT) m’offrit des « voyages » et des rencontres inattendus, des tranches de vie réelle et me permit de comprendre et apprécier le film d’un certain Jacques Tati. Chaque jour fut en effet un vrai jour de fête et j’ai bien regretté que les congés estivaux des facteurs ne soient pas plus longs en ces temps lointains.

Cet article a 7 commentaires

  1. J.J.

    Les jobs d’été n’existaient pas, du moins sous ce nom.
    J’avais trouvé un petit boulot, ou plutôt j’avais été invité par une amie de la famille à aller travailler dans une exploitation maraîchère. On m’avait confié, ayant je ne sais pourquoi, la réputation d’être méticuleux et minutieux, la mission de confiance de repiquer les semis de fraisiers de « tous les mois » dont la récolte future était destinée à alimenter des pâtissiers de la ville. Évidemment mes activités ne se bornaient pas à cette délicate besogne qui me plaisait cependant beaucoup. Les rémunérations elles étaient aléatoires, parfois en espèces (ni sonnantes ni trébuchantes), parfois en nature, et les légumes que je rapportais à la maison ne garnissaient guère mon escarcelle. Je devais avoir treize ou quatorze ans quand j’ai débuté ces activités.
    Dés que j’ai été un peu plus vieux, j’ai cherché, en vain, d’autres emplois. Avec un camarade de classe nous avons visité nombre de magasins, services, industries, entreprises, mais personne n’a voulu de notre bonne volonté ni de nos aléatoires compétences.
    Je me suis résigné à aller m’embaucher (pour le temps des vacances et préparer la rentrée), dans une librairie dont la patronne avait la réputation(un peu exagérée) de pingrerie avec son personnel. Mais je n’ai pas été déçu, les revenus (qu’il fallait réclamer à la fin du mois) étaient bien minces, mais je me trouvais en ville, je voyais du monde, j’avais des camarades de travail, avec certains je me suis lié d’amitié (je rencontre encore parfois, et avec plaisir le « grand Pierrot » au supermarché). Et au milieu des clients, des livres(nous avions le droit d’emporter pour les lire les ouvrages qui n’avaient pas besoin d’être « coupés », à condition bien sûr de les rapporter intacts) j’avais au moins autant de satisfaction dans ce milieu enrichissant, qu’à repiquer des fraisiers au fond d’une ‘combe » dépeuplée.
    Devenu moi même client du magasin, les années suivantes , au moment des fêtes, en particulier de Noël, et au moment des rentrées, j’ai été sollicité de nombreuses fois pour venir donner un coup de main au personnel permanent.

  2. christian grené

    Jean-Marie n’étant pas aussi « poupoulaire » qu’aujourd’hui, les Sadiracais l’auraient appelé le facteur X.

  3. christian grené

    Qui a dit, dans la salle, le facteur Cheval?

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      Moi… monsieur, je ne dénonce pas Ferdinand… !

  4. Laure Garralaga Lataste

    Dans les années 50, à 5 h du matin, j’étais  » sur le carreau des Capus… » où je vendais du poisson. J’étais payée… avec des produis de la marée: poisson, coquillages… J’y ai reçu de belles leçons de vie…

  5. Alain.e

    Très bon post sur les Facteurs , j’ en ai connu qui étaient bien timbrés avant d’ être oblitérés ….
    Le fameux petit travail tranquille , mais pour moi , c’ était  » sur neuf ,cinq fainéants  » ou « sans nous , c’ était foutu  » au choix , la SNCF..
    Cordialement .

  6. facon jf

    Bonjour,
    has been le facteur ! Voici venir la start-up Boks … Qui réinvente l’eau tiède et nous annonce fièrement  » L’universalité,pour toutes vos livraisons
    Peu importe votre transporteur, votre usage (personnel ou professionnel) ou votre typologie d’habitat : les boîtes à colis Boks assurent la réception et l’envoi de tous vos colis. »
    Et attention les yeux des bijoux de technologie à votre service:  » L’ouverture de chaque boîte à colis et consigne Boks est contrôlée via une application mobile (protocole Bluetooth sécurisé) et des codes clavier à usage unique. Maîtrisez et suivez tous vos colis. Garantissez leur sécurité et votre sérénité. »

    Ben mon colon !! presque 3 siècles de progrès pour remplacer le facteur* par une machine à protocole bluetooth sécurisé.

    On vit une époque formidable, bonne journée à vous

    * L’origine du mot : FACTEUR
    Sa première utilisation remonterait au 21 mai 1638. Le mot facteur vient du vieux français « faiseur » qui désigne celui qui fabrique par extension, il désigne aussi celui qui assure la représentation commerciale de ses clients.
    Le porteur de courrier étant en quelque sorte le délégué et le représentant de ses clients, il prit tout simplement le nom de facteur.
    origine de la poste:
    C’est en 1760 que la ville de Paris s’enrichit d’une nouvelle corporation : celle des facteurs.
    En effet depuis le 9 juin, Paris possède sa « petite poste ». 144 employés dont 117 facteurs urbains qui assurent le transport des lettres et des plis privés et commerciaux dans toute la capitale.

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