Chaque fois que monte la température, me revient en mémoire l’imagination permanente dont faisait preuve mon grand-père maternel Abel pour lequel je conserve une tendresse infinie. Certes il m’a souvent menacé au cœur de la période estivale, lorsqu’avec mon frère nous expérimentions la liberté non surveillé de m’attacher avec des chaînes au tronc boursouflé du tilleul situé en bordure du talus donnant sur la voie ferrée reliant Bordeaux à Eymet. Une sanction qu’il n’a bien entendu, jamais mise à exécution. Tout comme celle de me frotter la partie arrière pas très charnue de mon anatomie avec des orties lors des situations jugées les plus conflictuelles. Je n’en suis pas certain, mais mon frère Alain méritait plus souvent que moi cette promesse de châtiment douloureux. Le doute persiste. De toutes manières il y a prescription !
Abel dont l’enfance avait été terriblement malheureuse (il avait été placé à onze ans chez un vétérinaire pour s’occuper du cheval) appréciait la vie humble mais tellement riche qu’il avait su se créer. Elle fourmillait d’émerveillements pour les gamins curieux que nous étions. Lui qui avait connu les mines de sel de Silésie en étant fait prisonnier sur le front en 1917 à 20 ans s’était constitué un « confort » reposant sur des rites immuables. En été, par exemple il avait ses repères en matière de boissons qui revenaient aux premières chaleurs.
Le réfrigérateur n’existant que pour les « bourgeois » Abel inventait ses solutions de lutte contre la canicule. La boisson constituait une préoccupation estivale constante. Grand-père pour vendre le maximum de sa maigre récolte viticole, fabriquait de la piquette obtenue en arrosant le marc desséché avec de l’eau. Les derniers litres de ce breuvage désormais interdit un brin pétillants atteignaient le mois de juillet. Il bouchait pourtant méticuleusement des bouteilles de récupération et les descendait attachées une ficelle dans le puits pour qu’elles restent fraîches pour le repas. Si nous étions persuasifs nous parvenions à obtenir le droit de déguster un verre d’eau rougie pour, au fil des années, prendre une bonne piquette !
Tant qu’il le put « papi » se rendait avec son solex et une panière rectangulaire en osier au marché du mercredi avec en tête des achats bien précis. Il adorait les « royans », ces grosses sardines en provenance de la célèbre cité balnéaire dont il pouvait lever les filets. Elles constituaient une fois grillées sur des sarments avec quelques pommes de terre bouillies écrasées, son menu de gala de l’été. Selon les instructions de ma grand-père les poissons attendaient le vendredi pour respecter la norme religieuse. Selon la limpidité de l’œil des « royans », l’incroyant qu’il était s’en affranchissait sans vergogne ! Je crois avoir gardé de cette addiction aux sardines grillées.
Quand la saison était terminée, il passait ses commandes. Comme j’avais entamé mes périples vélocipédiques quotidiens vers le cours complémentaire, il me chargeait d’aller effectuer les courses essentielles. Elles me conduisait à périodes régulières chez Jean Castaing le pharmacien de la place de la Prévôté. La mission comportait plusieurs volets. Sa belle-mère Anita, mon arrière-grand-mère, souffrait de la chaleur.
Victime d’un AVC qui la privait d’une part de sa mobilité elle avait des poussées de tension artérielle que l’on qualifierait maintenant d’exceptionnelles. Veuve de la Grande guerre elle avait besoin de sangsues que de récupérais dans une petite boîte en bois blanc à la pharmacie. En même temps je sollicitais une boite de notre régal estival : les sels de Lithinés du Docteur Gustin !
Mon grand-père toujours avec l’eau précieuse du puits fabriquait cette boisson aux vertus digestives supposées dans une bouteille avec une fermeture doté d’un cabochon en porcelaine et d’un caoutchouc rouge. Je soupçonne ce mélange de sel de lithium (généralement du carbonate ou de l’oxyde de lithium), d’acide tartrique, du carbonate acide sodium et quelques autres composants aussi artificiels, dont il consomma des litres, de lui avoir détraqué le foie mais je n’en aurai jamais la preuve.
Comme pour le « solucamphre » dont il définissait lui-même le nombre de gouttes sa médication n’a guère profité à sa santé. Les étés suivants il adopta donc un nouveau breuvage : l’Antésite ! Elle suppléa les Lithinés et le Docteur Gustin perdit l’un de ses plus fidèles patients. Nous approchions sans le savoir un instant du Coca-Cola par le goût et la couleur. Les petites fioles rectangulaires ne sont plus à la mode l’âme si elles existent encore. Cette boisson accompagna grand-père jusqu’à sa mort il y a quarante ans. Je n’en ai jamais bu… depuis.
Abel qui se prénommait officiellement Antoine était maçon. Il n’a pas bâti que des murs mais au creux de cet été je veux me souvenir qu’il m’a laissé des briques essentielles pour ma vie : sa tendresse bourrue, sa simplicité rafraîchissante et ses convictions solides.
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L’Antésite existe toujours. c’est même très vintage et tendance ! Comble de la modernité, il existe des versions « sans sucre ajouté », sans édulcorants et d’ autres simplement sans sucre, mais avec différents parfums : thé noir, pèche, agrumes etc.
Mais comme la boisson est à base de réglisse elle est particulièrement déconseillée aux personnes souffrant d’affections cardiaques.
Nous avions trouvé un succédané aux lithinés du Dr Gustin : une « limonade » fabriquée avec de l’eau, bien sur, un cuillerée de bicarbonate de soude, une goutte d’essence de citron et enfin une cuillérée d’acide citrique. Il fallait alors prestement mettre en place le « cabochon en porcelaine et le caoutchouc rouge » et attendre un peu que « ça se calme » avant d’ouvrir le flacon et de pouvoir déguster le liquide devenu « amabile ».
Cher Jean-Marie, le prénom de ton papy me fait irrésistiblement penser au nom de mon toubib et néanmoins ami qui se prénommait Nils. Quand j’allais Caïn-caha, c’est lui qui m’a soigné jusqu’à sa mort intervenue huit mois après celle de son « frère » et rival au sein du Conseil municipal, Jackie Coldeboeuf. Avec eux, j’appartenais au bien nommé Club des Ripailleurs. Ce qui me dispense de tout autre commentaire.
Que ta prose est rafraichissante Jean-Marie!
Elle m’inspire deux commentaires: le premier concerne la boisson rafraichissante de mon enfance, différente de la tienne. C’était tout simplement les mêmes bouteilles au capuchon en porcelaine et au caoutchouc rouge, mais la boisson que préparait ma mère pour mon père était tout simplement du café et de l’eau avec un tout petit peu de sucre, le tout descendu dans le puits pour être toujours fraîche…
Le second commentaire concerne ton grand-père Antoine dit Abel.
Autrefois, du temps de ton grand-père et bien avant encore, de nombreuses personnes avaient un prénom d’usage bien différent de celui de l’état civil. Ce qui complique la tâche de ceux qui, comme moi, font de la généalogie, une passion pacifique…
Allez bonne journée au frais si possible, avec un petit clairet de Quinsac! (j’ai reçu hier mes cubis que je commande à la « Cave »).
« Autrefois, du temps de ton grand-père et bien avant encore, de nombreuses personnes avaient un prénom d’usage bien différent de celui de l’état civil. »
On trouve ça partout : mon grand père dont le prénom était banalement Jean, était connu sous celui d’Émile, quand à son frère qui lui portait le prénom de Jacques, il était connu sous celui d’Adrien …
On pourrait en citer à la pelle, et pour les généalogistes ça n’est pas un cadeau.
@ à mon ami Gilles…
Merci pour avoir rappelé à ma mémoire ce « puit-glacière »… !