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La réhabilitation du partage collectif devient essentielle

La notion de réussite individuelle a progressé au cours des cinquante dernières années marquées par la montée en puissance du rêve libéral. Tout le monde a entendu raconter l’histoire de Rockefeller et du début de sa fortune reposant sur la vente d’une pomme qu’il a lustrée et qui lui donnera la possibilité d’en acheter deux autres. Le mythe d’une ascension sociale et financière reposant sur l’esprit d’entreprise a conduit à négliger voire à dénoncer toute action collective. La satisfaction naît de l’accumulation de biens individuels reconnus comme des repères de « SA » progression sur l’échelle des valeurs au sens matériel du mot.

Tous les gouvernements qui se sont succédés ont détruit les moments de vie dans lesquels se forgeaient l’appartenance à un groupe, à une collectivité, à une nation. Toute la période d’après la dernière guerre mondiale avait servi à bâtir un système reposant sur la solidarité et la reconnaissance du principe voulant que l’on donne au moins autant que l’on recevait. Les partis politiques, les syndicats, les organismes sociaux cogérés, les actions coordonnées offraient des possibilités de se retrouver malgré les différences pour agir. La Résistance ayant permis à des personnalités ou des gens simples de sceller un pacte contre l’oppresseur inspirait cette réussite du lien social.

Le premier accroc aura été donné avec la suppression pure et simple du service « militaire » devenu « national ». J’ai approuvé cette décision. Il n’en demeure pas moins que le creuset, même très imparfait,  permettait au minimum de réunir des jeunes d’horizons différents sur des bases égalitaires durant quelques mois. Ces strates ne se rencontrent plus hormis théoriquement sur les bancs publics des écoles, des collèges ou des lycées de plus en plus fracturés puisque la fameuse mixité sociale n’est qu’une illusion qu’aucun ministre de l’Éducation est parvenu à vraiment installer. La sélection par l’échec ajoute à ce phénomène de disparition d’appartenance à une identité commune cohérente. Il fallait substituer au « militarisme » imposé la notion de « service civique » obligatoire avec une déconnexion totale de l’Armée.

Le concept édulcoré, réservé aux jeunes volontaires ne trouvera jamais ses marques car toujours en demi-teinte et ambigu. Un programme tournant autour des responsabilités essentielles de l’État et d’actions d’intérêt général décidées avec les jeunes mais déconnectées de la notion de vie militaire n’a jamais été construit car trop onéreux. Cette participation à une séquence de vie collective en plusieurs modules équivalent à un trimestre, serait reconnue comme l’a été le service militaire ou national dans la carrière et pourrait permettre d’accéder plus facilement à la fonction publique. Rien de bien nouveau direz vous car c’est l’objectif du Service National Universel qui a l’inconvénient de ne toucher qu’une catégorie sociale volontaire déjà convaincue de la nécessité d’apprendre le « collectif ».

Inutile de préciser que j’assume cette proposition de « facho » pour certains et de « rêveur » pour d’autres. Durant de longues années les enseignants sur leurs vacances assumaient des directions de colonies de vacances, de séjours organisées par des patronages laïques, des associations spécialisées ou par des municipalités convaincus de l’utilité d’offrir des opportunités de vie sociale délocalisée. Inexorablement l’offre a diminué pour des problèmes d’image et surtout en raison d’incidents graves ayant entaché les encadrements. Les mouvements des Éclaireurs laïques ou de Scouts ont bien du mal à tenir face à la montée des communautarismes et de la pénurie de bénévoles actifs. On vit replié sur son quartier, son lotissement, sa communauté sans ouverture sur le monde dès son plus jeune âge. 

Le choix de déplacer quotidiennement des millions d’élèves plutôt que de renouer avec des internats supprimés pour des raisons financières et d’impossibilité de mettre en place le personnel par l’Éducation nationale, a aussi contribué à cette parcellisation sociale. Un  « pensionnat » nouvelle formule comme celui que la région Nouvelle-Aquitaine va aménager au lycée de Créon mériterait d’être relancé.  Le problème du logement étudiant constitue également un autre facteur de clivage en raison de la rareté de l’offre et de l’absence de modèle réellement collectif de fonctionnement. Là encore la colocation est à promouvoir dans les résidences et à mettre en place très vite.

Croire que la multiplication des associations fragmentées en lieu de place de celles qui rassemblaient le plus grand nombre, a été une erreur. On a trop spécialisées les réponses dans un éparpillement socio-culturel dévastateur.  Le milieu de l’économie sociale et solidaire a un rôle essentiel  à accomplir pour le retour au sens du collectif et à l’acceptation des uns par les autres. L’intergénérationnel, le mélange des publics, l’appropriation dès l’école de la coopération, la non stigmatisation par une approche uniquement sociale deviennent des axes urgents de travail. Cette mutation constitue la seule voie possible.

La municipalisation ou l’étatisation mènent à l’échec car ces deux options de gestion génèrent un rejet par leurs exigences réglementaires et sont considérées comme des réponses aux besoins individuels sans appropriation collective des objectifs et du fonctionnement. Les investissements ne constituent pas toujours la meilleure des solutions car ils figent des réponses alors que l’environnement évolue. Plus que jamais ce n’est pas l’enveloppe qui compte mais ce que l’on y met à l’intérieur et plus encore comment on la fera fonctionner. Le partage des objectifs et de la gestion constitue la priorité avant que l’on se penche sur les murs! 

Ce n’est pas parce que l’on construit par exemple un « point jeunes », un « city-stade », un skate-parc »  que l’on résout la dilution de la valeur du collectif et les difficultés de coopération avec les adolescents. Loin s’en faut. La souplesse de réaction, la notion de projet, le soutien moral, le dialogue constructif, l’intégration souhaitable dans la gestion et la rigueur quand ça dérape doivent devenir les principes d’action d’une politique globale qui n’existe pas car nous vivons sur le principe des silos cloisonnés et rivaux. Il faut donner, et j’ai toujours défini cette option politique, des réponses globales en un lieu pour que la coopération, la cohabitation, la participation soit aussi intergénérationnelle que possible. Le centre socio-culturel du créonnais, la cabane à projets a été construit sur ces bases et ça fonctionne ! 

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Cet article a 10 commentaires

  1. Gilles J.

    Je pense que la suppression du service militaire a été une très mauvaise chose dont les récentes émeutes ne sont qu’une de ses conséquences …
    La priorité serait de rétablir un service militaire de 12 mois (ça suffit largement) pour les jeunes de 17 à 18 ans ou de 18 à 19 ans.
    Il ne pourrait en résulter que du positif pour les jeunes eux-mêmes et pour le pays.
    Mais je rêve, là.
    Allez, bonne journée quand même.

    1. J.J.

      C’est vrai que pendant le service on s’est souvent fait ….surtout les copains qui se sont tapés l’Algérie. Mai le souvenir positif que j’en conserve, et qui est le plus fort, c’est la camaraderie, l’amitié partagée, les échanges, la découverte des autres, de leurs régions, de leur métiers, qui ont été certainement enrichissantes pour beaucoup .

      1. Bruno DE LA ROCQUE

        « Ancien d’Algérie » je suis d’accord avec JJ. Mais j’y ajoute, pour ceux qui n’ont pas été bouffés par le crapahut (au point de n’avoir que des « souvenirs de guerre », voire d’encore cauchemarder), le saut en terre inconnue, en cultures et en religion tellement différentes, et peut-être la curiosité d’en savoir plus.

  2. J.J.

    « Tout le monde a entendu raconter l’histoire de Rockfeller » , comme celle du banquier Laffite, qui paraît il s’était fait remarquer en ramassant des épingles.
    Ça doit faire partie de la légende dorée banquière.

  3. Bruno DE LA ROCQUE

    Ce sujet du service militaire (« faire son régiment » !) reste un point de discussion et pose effectivement ce problème de la mixité sociale en même temps intergénérationnelle qu’on ne sait comment résoudre.
    Cela dit, les amis, faut pas rêver : depuis la fin des années soixante, de plus en plus de jeunes diplômés (notamment des grandes écoles) ou universitaires, plutôt de familles aisées ou plus globalement de milieux favorisés échappaient à la mixité sociale et à la vie de chambrée pour servir comme coopérants ou dans le cadre de la découverte d’entreprises… J’ai en tête un petit cousin, diplômé de l’école des mines parti un an à New-York dans un grand consortium financier… (le diplôme mais aussi son nom ont bien franchis les étages de la hiérarchie militaire).
    Je n’ai rien à proposer… et le papier de Jean-Marie est fort bien écrit et fait le tour de ce qui interpelle le responsable politique, de l’édile au PR…

    1. J.J.

      … échappaient à la mixité sociale et à la vie de chambrée pour servir comme coopérants ou dans le cadre de la découverte d’entreprises….ou tout simplement , avec les relations ad hoc et toute honte bue, à se faire réformer.

      « On n’allait quand même pas aller perdre son précieux temps dans la promiscuité d’une chambrée, avec des gens qui déjà n’étaient rien. »

      1. Bruno DE LA ROCQUE

        « … des gens qui n’étaient rien. » ==> ce qu’on ne savait pas… et c’est bien plus tard qu’un président de la République, la nôtre, a éclairé le syndrome, d’abord en gare du Nord où les premiers de cordée croisent celles et ceux qui ne sont rien. En rire ou en pleurer ? ou… casser ?

  4. JJ Moulinier

    https://www.fauconsrouges.org/Le-projet-de-site-Les-Faucons-rouges.html

    S’il y a un mouvement où j’ai connu,adolescent dans les années 60 ,la solidarité, l’amitié, le partage des tâches quotidiennes c’est au Mouvement de l’Enfance Ouvrière,grâce à l’engagement de nos parents, militants.es de gauche cenonnais.es, que nous qualifierions maintenant de militants associatifs.
    Parmi eux, des militants syndicalistes CGT FO; ainsi pouvions-nous profiter d’une salle pour nous réunir rue de Lalande à Bordeaux.Solidarité de classe!
    Bien entendu nous étions tous issus du même milieu social ,(ouvrier,anticlerical).

  5. facon jf

    Bonsoir,
    le retour du service militaire dernier symptôme du c’était mieux avant … Perso j’ai fait mon « sapin » dans l’artillerie de marine ( l’artillerie coloniale en fait ) et c’est pas un bon souvenir. Je ne suis pas devenu fumeur et alcolo et pourtant tous les ingrédients pour réussir la recette étaient là! Loin de ma famille je ne rentrais pas souvent et les locaux pistonnés en ont bien profité à mes dépens. J’ai des souvenirs cuisants des sous-officiers caricatures vivantes des dessins de Cabu. Les longues nuits passées au bord de la route sous la pluie à faire de l’auto-stop pour rejoindre le domicile de mes parents. Les gardes bidons dans le froid glacial pour regarder passer mes « collègues » qui faisaient le mur. Les manœuvres débiles où l’on tuait le temps pendant de longues heures avant de se faire secouer dans les AMX 15 au milieu des obus mal arrimés à l’intérieur du char.
    De longs mois perdus pour apprendre comment tuer nos semblables, pour accepter de ne pas réfléchir car réfléchir c’est déjà désobéir ! Fermer sa gu..le quand le sous-off fourrier trafiquait les effets militaires ou que le sous-off chargé des cuisines venait avec ses collègues faire leur marché le dimanche après-midi dans les frigos de l’ ordinaire ( la cantine de la troupe pour ceux qui n’ont pas eu la chance de connaître ) .
    Je suis heureux que mes enfants et petits enfants ne connaissent pas cette expérience qui loin de fédérer la jeunesse prône le chacun pour soi, nommé pour la circonstance  » la démerde ». Et souvent comme exutoire aux brimades de la hiérarchie la méchanceté déchaînée des appelés envers les plus faibles. L’alcool servant d’excuse aux pires turpitudes.
    Alors le service militaire pour  » dresser » les jeunes c’est pour moi du même tonneau que nos anciens qui disaient quand j’étais minot  » faudrait une guerre pour redresser tout çà ».

    De toute manière, ne rêvez pas ! notre pays est trop pauvre pour restaurer cette institution.
    Puisque l’on parle des militaires il y en a un qui n’a pas sa langue dans sa poche et ce qu’il dit mérite d’être entendu. C’est un ancien militaire, il a conseillé un président de la République française et quatre ministres de la Défense, le Général Jean-Bernard Pinatel revient pour Libre Média sur la guerre en Ukraine et nous livre ses analyses.
    Après 16 mois d’affrontements, la ligne de front ne bouge pas malgré des combats acharnés.

    https://youtu.be/aqvOsXFSuhU

    bonne soirée

    1. Bruno DE LA ROCQUE

      En relisant le propos de Jean-Marie comme les divers commentaires, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu un plaidoyer en faveur du rétablissement du service militaire, pas plus que l’antienne « c’était mieux avant ». Mais il est vrai que Jean-Marie constate une situation dégradée, ce qui au 1er degré donne évidemment « c’est moins bien qu’avant ». Mais en même temps il donne des pistes, positives, par exemple l’ESS (économie sociale et solidaire) et termine même sur une « cabane à projets ».

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