Le moment idéal pour faire du foin

Dans la journée de hier les faucheuses ont tourné à plein régime dans bien des secteurs de Gironde. L’heure de « faire les foins » avait sonné. Il suffisait que la météo garantissent trois journées ensoleillées pour que les propriétaires des prés où l’on avait laissé la flore s’épanouir décident de mettre au sol ce qui servira à nourrir le bétail lorsque la froidure sera venue. L’augmentation constante des centres hippiques mène à une demande de plus en plus forte de cette production autrefois réservée aux vaches laitières. Cette année la récolte sera abondante et de qualité. Elle appartenait à la tradition estivale.

Il y a quelques décennies la « rentrée » des foins se situait au creux de l’été avant les orages. La crainte résidait dans ces trombes d’eau qui couchaient les graminées et gâchaient une bonne part de la fenaison. La faucheuse sortait du hangar au moment choisi par un propriétaire sachant prévoir le temps sur une durée convenable. Chacun avait son truc. Un ciel rougissant le soir. Des martinets distillant leurs cris perçants haut dans le ciel. Un baromètre se haussant du col. Le gros sel ne mouillant plus ou des flocons de nuages dans un ciel bleu suffisaient à impulser le choix de partir en campagne.

La faucheuse dotée d’une lame de coté redoutablement aiguisée, tirée par un cheval docile effectuait des aller-retour parfaitement rectilignes dans un cliquetis sonore lancinant. Assis sur un siège moulant en fer percé de larges trous d’aération le maître de la prairie, haut perché guidait avec les rênes et de la voix son compagnon se battant souvent contre les mouches et les taons ses redoutables ennemis estivaux. Il fallait un large chapeau de paille pour supporter la chaleur ambiante et une gourde de peau laissée au minimum à l’ombre ou dans uns eau d’eau fraîche. Les insectes s’enfuyaient dans tous les sens. Un vrai spectacle complété par un mélange exceptionnel de parfums qu’aucun « nez » de grande maison aurait pour créer.

L’odeur du foin fraichement coupé reste magique. Le pré, coloré de fleurs au sommet de leur art, bruissait des appels lancinants des grillons, de ceux stridents des sauterelles et se laissait aller aux caresses des arabesques légères des papillons. Il vivait avec délectation sous un soleil bienfaisant. Il était aisé de mettre au sol ces brassées odoriférantes fauchées par surprise alors qu’elles espéraient parfois semer les graines de leur avenir au vent léger du soir.

Les plantes gisaient sur le flanc, abattues en pleine vie par la machine impitoyable. Il était parfois nécessaire de mettre à mort avec une faux les parties du champ inaccessibles à l’attelage. Rien ne devait être négligé. En soirée et même parfois en début de nuit, à la fraîche, les faucheurs revenaient avec une étrange machine dotée de griffes à l’arrière, pour secouer le foin et l’aérer. Si le propriétaire n’avait pas les moyens de s’offrir cet « insecte » aux grandes pattes éparpillant la « récolte », une équipe le faisait à la fourche avant de le ranger en « randes » grâce à des râtelles en bois.

Le lendemain il faudrait revenir pour charger le tout. Un sacré boulot. Après avoir soigneusement brassé et mis en lignes les herbes sèches, les « rateleurs » regroupaient manuellement le foin en petites meules. La charrette, sur laquelle était juché le plus expérimenté des ouvriers, attendait que l’on monte à la fourche une brassée de cette précieuse récolte. L’opération se déroulait parfois dans la précipitation si l’orage menaçait. A grandes fourchées les hommes (et parfois les femmes) expédiaient les bottes de foin vers une charrette aux hautes ridelles sur laquelle régnait un répartiteur de la charge. Le geste devenait de plus en plus pénible au fil des heures. 

La poussière des fines herbes séchées retombaient à chaque envoi sur la tête de celui qui avait expédié une part du chargement. Pour se protéger parfois selon le temps, une capuche fabriquée avec un coin de sac était utilisée. Les débris, les brindilles se collaient sur les torses nus et suants rendant la douleur insupportable au fil des heures. Cette pluie de minuscules déchets provoquait des piqûres multiples irritant la peau. La douche n’existant pas, le jet ou la bassine d’eau en fin de journée constituait un bienfait notable et indispensable.

Une journée à lever, de plus en plus haut, à bout de bras, ce qui paraît léger mais qui finit par devenir un vrai fardeau, devenait harassante. D’autant que parfois en arrivant il fallait le hisser à nouveau vers son lieu d’hivernage.  « Une bonne fatigue » disait mon père dont la gloire résidait dans une capacité inépuisable de travailler. Le billet donné le soir avait une valeur nettement supérieure à celle qu’il portait.

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Cet article a 5 commentaires

  1. christian grené

    Bonjour à tou(te)s.
    Avez-vous connu Les Stillers à la fin du XXe siècle? C’était un groupe qui faisait du rock rural, et je peux vous dire qu’ils s’y entendaient pour faire du foin. Leur leader légendaire est un Sadiracais pur jus du nom de Peter Laskoo.

    1. Pierre LASCOURREGES

      Et oui, le chantre du rock rural!

  2. Philippe CONCHOU

    Qui n’a jamais fait les foins ne peut savoir le plaisir qu’on y prenait.
    Fatigue saine sous le soleil couchant, grand air pur et gros appétit.
    Maintenant les machines font des rollballs (quel vilain anglicisme) qui parfois se perdent en hiver car oubliées au milieu du pré.

  3. Alain.e

    Ayant pratiqué durant ma tendre jeunesse , la conduite du pony et du d22 permettant de faucher , faner , arander et bottler comme on disait en ce temps la pour aider mon grand père , et m’ être désaltéré avec le fameux mijo , cet article me parle vraiment.
    à PC , les rollballs n’ existe point , il s’ agit de roundballs , mais on va pas en faire tout un foin …..
    Cordialement .

  4. J.J.

    J’ai peu pratiqué le ramassage « en vrac », mais j’ai eu l’occasion de faire de belles journées à monter au bout de la fourche des bottes sur les charrettes. Comme on dit, c’est un peu physique, surtout que ce genre d’activité à rarement lieu par temps froid. Pour ceux qui en ont besoin, ça peut faire comme une cure d’amaigrissement.

    J’ai fait aussi du « fanage » et ramassage dans les Pyrénées (belle activité de vacances), après le passage de la faucheuse « Lamborghini » dont la conduite sur les pentes exige certaines compétences. Et là point de râteau faneur ni charrette, tout se faisait à la fourche, au râteau de bois et à dos d’homme (ou de femme), le foin chargé dans de grandes toiles nouées aux quatre coins et descendu jusqu’à un chemin carrossable.
    Quant à l’odeur, quel plaisir de dormir dans une meule !

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