En mai 1968 j’achevais dans quelques semaines ma première année d’enseignement. Dans des circonstances rocambolesques j’avais été nommé directeur d’une école de Garçons à 6 classes en septembre 1967 alors que je n’étais pas majeur. Le contexte était extrêmement difficile expliquant l’absence totale de candidature pour ce poste créé afin de séparer deux entités historiquement fusionnées : le collège et l’école primaire.
Les relations entre la municipalité et l’établissement d’enseignement primaire relevaient de la bataille que Castillon ne pensait pas encore à magnifier. Responsable du Syndicat National des Instituteurs (SNI) de ma promo d’école normale j’étais déjà engagé dans le combat social. Je trouvais dans mon poste un peu particulier une vieille garde de militants robustes qui devinrent vite des références et des guides.
Le mouvement de contestation ressembla à un feu dans une pinède. La grève devint vite quasi générale et les établissements scolaires constituèrent le foyer principal de la contestation. Une intersyndicale fut créée avec le SNI, l’union locale CGT, les enseignants du SNES, du SGEN et un jeune agriculteur de la FDSEA. Des réunions quotidiennes et des débats permanents constituèrent l’essentiel de l’activité.
Des « missions » allèrent dans les écoles, les entreprises, les administrations pour inciter à la cessation du travail. J’en conserve un souvenir particulier. Le Blanc-bec » que j’étais ne laissait pas sa part aux chiens. J’avais débuté le mouvement de grève avant les autres dans une période où le préavis n’existait pas.
Je conserve de ces semaines une détermination collective forte face à un pouvoir au moins aussi « costaud » que celui qui a étouffé la contestation sur la réforme des retraites. Sa réaction n’était pas moins dure et butée. Au lieu de détruire le mouvement elle ne fit que le conforter. Il s’amplifia avec deux « forces » importantes : l’industrie et les facultés. Incontestablement ce sont deux vecteurs de la montée en puissance de cette contestation qui fut parfois violente et massive. Grâce à mon transistor qui m’accompagne toujours je vivais par procuration sur Europe N° 1 qui me paraissait la radio la plus libre les émeutes parisiennes.
La Constitution était la même que celle de maintenant à quelques ajustements d’ordre général près. Et pourtant elle n’a pas, dans des circonstances plus graves, été utilisée avec autant d’artifices anti-démocratiques que dans la période présente. Même de Gaulle n’est jamais allé aussi loin avec pourtant une assemblée nationale à sa botte. Les articles invoqués pour bloquer tout débat existaient mais ils ne furent jamais utilisés.
A Castillon j’ai vécu cette période avec l’âme d’un révolutionnaire de province dénué de tout pouvoir sur le déroulement des événements. La solidarité syndicale nous offrit un pécule pour survivre car nous n’étions plus payés…jusqu’au jour où je pus aller chercher les 880 francs de mon salaire de directeur d’école. Ma 2 chevaux manque d’essence. Les rencontres de football sont suspendues.
Je me sens libre et je souhaite développer cette liberté d’agir, de penser, de vivre. Dans mon parcours qui fut que celui d’une engagement permanent dans tous les secteurs de la vie sociale, je n’ai par la suite retrouvé cette sensation que tout devenait possible. J’idéalise encore cette solidarité entre ouvriers, étudiants, fonctionnaires. Elle ne devait pas pour moi s’arrêter mais continuer dans la fraternité active.
Lorsque le jeudi 30 mai en milieu d’après-midi devant le seul poste de télévision que possédait le Collège, le comité de grève rassemblé écouta de Gaulle la révolte gronda. Le Général n’y alla pas de main morte. Ils dissolvait l’assemblée et il désigna les coupables de la chienlit l’ayant contraint à aller quérir le soutien de Massu Outre Rhin et un accord négocié par Pompidou désamorçait le fondement de la contestation. Nous avons décidé de poursuivre notre grève. Je n’ai repris mon poste que le 6 juin après un mois entier de non-présence sur mon lieu de travail.
Hier la contestation de la réforme du régime des retraites s’est éteinte de sa belle mort. Il sera aisé de faire un nouveau de coup de force constitutionnel en écartant la tentative parlementaire du groupe LIOT. le 11 juin 1936, Maurice Thorez, le patron du Parti communiste français, revient sur la signature quatre jours plus tôt des accords de Matignon passés entre le gouvernement du Front populaire de Léon Blum et plusieurs syndicats, dont la CGT et devant les ouvriers de Renault il déclare : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications » . On sait ce qu’il est arrivé quelques mois plus tard… Ce sera pire puisque on aura atteint le paroxysme du mépris. Les cicatrices ne se refermeront pas de sitôt.
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@ cher Jean-Marie…
As-tu conserver ta 2 CV ? Car elles valent de l’or !
Je connais un mécano très très proche de chez moi qui les remet à neuf…
Surtout moteur et boîte (pour la boîte il souhaite qu’elle reste valide… le plus longtemps possible !)
Mai 68. faute d’avoir écouté les infos justement ce soir là : un jour de grève de plus, mouchardé probablement par le maire à l’IA, convocation par icelui, limite du blâme…
Tous les collègues du canton avaient fait la grève jusqu’au bout et nous avions tous(mal) reçu la visite du conseiller général qui nous avait admonestés de cesser notre grève car en paralysant le pays, « nous affamions les populations d’ouvriers agricoles qui ne pouvaient toucher leurs allocations »(quelle grandeur d’âme !).
Il s’était sèchement entendu répondre que ceux ci avaient des patates dans leurs caves, contrairement à nous qui n’avions plus d’essence pour aller faires des provision(magasin et station service la plus proche : 5 kilomètres ).
Une époque épique !