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(FILES) AFP journalist Arman Soldin, walks in a village after a shelling on March 3, 2022 in Ukraine. Arman was killed by a rocket strike as he reported with AFP colleagues from Ukrainian positions in Chasiv Yar on May 9, 2023. Arman, who was 32 and born in Bosnia, began his career as an AFP intern in the Rome bureau before moving to London in 2015. He was formally appointed as Ukraine video coordinator for AFP based in Kyiv in September 2022. Arman's death is a terrible reminder of the risks and dangers of covering this war. Our thoughts tonight are with his family and friends, and with all AFP people on the ground in Ukraine. (Photo by Aris MESSINIS / AFP)

Se faire tuer au travail reste une vraie injustice

J’ai en mémoire un sujet de dissertation de philosophie donnée en terminale à l’École Normale : « La construction d’un pont mérite-t-elle la mort d’un seul travailleur ? » Le prof avait choisi ce questionnement au moment où Bordeaux se dotait d’un nouveau franchissement spectaculaire de la Garonne. La notion d’accident du travail et de prise de risques dans l’accomplissement de sa mission a un impact variable dans une société médiatisée comme la nôtre. Tout métier comporte justement une inévitable dimension de dangerosité. La différence se fait sur l’écho que trouve un « accident » dans un système social sous influence.

La mort d’un journaliste sur le front de la guerre russo-ukrainienne a bouleversé la sphère médiatique. Elle démontre que la mission d’informer sur la réalité de cet affrontement ayant déjà provoqué des dizaines de milliers de décès, peut générer la mise en péril de la vie de celui qui l’assume. Les fameux reporters de guerre à toutes les époques ont payé le tribut de leur présence au plus près des événements. C’est toujours le cas et ça ne changera pas. Les images sont aussi dangereuses que les balles. 

Arman Soldin, dûment mandaté par l’AFP a été tué par une explosion de roquettes sur des positions ukrainiennes dans lesquelles il se trouvait. Un drame car ce jeune professionnel reconnu était au mauvais endroit au mauvais moment. Le même jour des enfants, des femmes, des hommes mouraient également sous des bombardements en zones civiles dans l’anonymat le plus complet. Eux-aussi ont subi le triste sort de ce que l’on appelle le destin. Sauf à penser (et c’est fort possible) qu’une information ait permis à l’auteur de la frappe de savoir qu’un journaliste se trouvait sur les lieux, ce n’est qu’un fait de guerre malheureusement habituel. 

Cet envoyé spécial au plus près des combats a trouvé une fin tragique pour que nous puissions apprécier, vu du coté ukrainien, la virulence des combats à Bakmout. Cet objectif journalistique louable vaut-il sa mort ? Non. Mais la concurrence entre les supports utilisant l’image comme support de leur diffusion génère des prises de risques de plus en plus grandes. 

L’évolution du métier de reporter conduit indéniablement à cette extrémité. Il ne faudrait pas oublier que d’après les statistiques publiées par l’UNESCO. Quatre-vingt-six journalistes et professionnels des médias ont été tués dans le monde en 2022 – soit un tous les quatre jours, selon les données de l’UNESCO, ce qui souligne les graves risques que continuent de courir les journalistes dans l’exercice de leur fonction et leur grande vulnérabilité. Ils n’opèrent pas tous sur le théâtre d’opérations militaires mais leur assassinat révèle une propension à considérer que l’information constitue un danger pour les systèmes organisés qui n’aiment pas que l’on dévoile leurs errements.

De 2003 à 2022, 1 668 journalistes ont été tués dans le monde, soit 80 par an en moyenne, selon un bilan publié par Reporters sans frontières, l’Irak et la Syrie dominant le classement des pays les plus dangereux pour la profession. Avec un total de 578 tués en 20 ans , ces deux États meurtris par la guerre  rassemblent, à eux seuls, plus d’un tiers des reporters tués , devant le Mexique (125), les Philippines (107), le Pakistan (93), l’Afghanistan (81) et la Somalie (78), les hommes représentant plus de 95 % des décès. Un constat édifiant.

Dix d’entre eux perdu la vie en Ukraine depuis l’invasion russe de février 2022, s’ajoutant aux 12 journalistes qui y avaient été tués « au cours des 19 années précédentes » alors qu’il n’y avait pas la guerre. Ce pays figure ainsi en deuxième place du classement des pays les plus dangereux en Europe, derrière la Russie (25 tués en 20 ans). La montée de l’extrémisme, de la violence, de l’intolérance, de l’autoritarisme ne permet pas d’espérer une diminution de ces crimes ou des ces éliminations directes.

Arman Soldin était un garçon courageux et soucieux d’informer aussi efficacement que possible. Sa disparition sur un site de guerre pose le problème de la médiatisation de certaines situations et pas d’autres.  Selon les données de l’Assurance-maladie, 645 « décès liés au travail » ont par ailleurs été recensés en France en 2021, soit 95 de plus qu’en 2020 mais 88 de moins qu’en 2019. Leur nombre a lui aussi fortement diminué au cours des dernières décennies : il était de 2 046 en 1955, 1 423 en 1980 et 1 213 en 1990.

Le risque routier ( 21 %), devant la manutention manuelle (18 %) et les chutes de hauteur (13 %), est aujourd’hui la principale cause d’accidents mortels du travail. Le secteur de la construction est celui où la fréquence d’accidents mortels est la plus élevée, devant celui de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche. Le métier de marin pêcheur est le plus dangereux, avec un taux d’accidents mortels de 7,24 pour 10 000 professionnels en 2019, vingt fois supérieur à celui observé pour l’ensemble des métiers. Toute action destinée aux autres ne mérite pas une mort. Que Arman Soldin repose… en paix, celle que les Hommes n’ont pas su donner à la planète. 

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Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    « Sauf à penser (et c’est fort possible) qu’une information ait permis à l’auteur de la frappe de savoir qu’un journaliste se trouvait sur les lieux… »

    Hypothèse un peu hasardeuse, dans un bombardement ou une fusillade, actions courantes pendant un conflit, il est impossible de prévoir qui va ramasser des pruneaux et qui passera à côté. J’en ai fait la redoutable et inoubliable expérience.

  2. christian grené

    Et Robert Ménard est toujours parmi nous! lui le fondateur de l’association « Reporters sans frontières », et par ailleurs l’auteur de deux best-sellers? qui me dispensent de tout commentaire: « Vive Le Pen! » et « Vive l’Algérie Française! »

    1. J.J.

      Pour se renseigner sur la question : La face cachée de Reporters sans frontières – De la CIA aux faucons du Pentagone par Maxime Vivas. Édifiant.

  3. christian grené

    5 you, J.J.

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