Nous sommes toutes et tous des anciens élèves avec des souvenirs plus ou moins agréables. Depuis que l’école est devenu obligatoire il n’y a pas d’exception au passage sur ses bancs. C’est vrai que la tradition veut « qu’avant ce fut mieux que maintenant » dans ce domaine comme dans d’autres. En fait rien ne prouve qu’un enfant du XXI° siècle ait l’espoir de meubler sa mémoire de moments plus mauvais que les nôtres. N’empêche que nous restons persuadés à un certain âge que notre passé possède davantage de vertus. La « communale » probablement à taille plus humaine et baignant dans un contexte sociétal moins complexe avait bien des vertus.
En se retrouvant les anciens élèves oublient forcément les tensions, les échecs ou les douloureuses rencontres avec une règle de buis noir sur des doigts tendus en offrande au coup sec à venir. Mon père n’avait pas aimé l’école des années 1930. Je crois bien qu’il la haïssait. D’abord parce qu’enfant de Silvio et Pasqua ne parlant que le dialecte vénitien ou l’italien prestement vu à San Stefano di Zimella le privaient du maniement de cette langue française qu’exigeait l’instituteur. Ensuite parce qu’il eut vite le sentiment que les « immigrés » n’appartenaient pas au monde parfait de l’éducation dont rêvait alors le Ministère de l4instruction publique.
Il racontait très peu ces séquences où l’homme en blouse grise le punissait en le plaçant à genoux sur un tapis de grains de maïs avec un dictionnaire gorgé de mots dont il ignorait le sens. « En rentrant à la maison j’avais les grains enfoncés dans la peau des genoux » avouait-il ! Cette école là pourtant considérée dans la légende de l’éducation comme émancipatrice et indispensable au bonheur du Peuple a existé tant la tension sur l’intégration par l’apprentissage du savoir était forte. La III° république finissante avait parfois des hussards à l’esprit encore plus noir que la blouse qu’ils portaient.
Les rencontres des décennies plus tard démontrent que la perception que l’on garde du parcours scolaire est liée à la vision de la réussite de la famille. La notion de réussite tuait souvent le plaisir d’apprendre. Il ne saurait y avoir de chouettes souvenirs si le sentiment d’échec l’emporte sur tout le reste : les copains, les jeux, les récrés, le foot, les concerts, les voyages… Certains des invités aux retrouvailles déclinent l’invitation car ils ne veulent pas revenir en des lieux où ils ont manqué le bonheur de réussir. En 2008, quarante ans après que j’ai eu le bonheur de partager avec eux ma première année d’enseignement j’ai pou réunir la classe qui était la mienne. Ce fut un grand moment pour me ramener aux réalités du métier d’instit.
Quatre décennies plus tard qu’étaient devenus ces gamins que je m’évertuais à classer comme l’exigeait la hiérarchie d’avant 68 sur la base des « compositions » notées. Un constat s’est très vite imposé dans la discussion : les critères de réussite dans la vie ne sont pas et ne seront jamais ceux de l’école. La diversité de situations et des niveaux de rémunération témoignaient que le chemin ne conduisait pas aux mêmes sommets. La capacité que l’on avait à entrer dans le moule ne permet pas d’espérer un avenir radieux. Des enfants heureux trouvent toujours le parcours les conduisant vers ce qu’ils attendent et ce ne sont pas les notes de l’école qui font ou défont la réussite d’un maçon, d’un tourneur, d’un commerçant ou d’une aide à domicile.
Se retrouver devant une photo en noir et blanc d’une classe en groupe pour tenter d’identifier tout le monde prend alors une autre dimension. « Qu’est-il devenu ? Que fait-elle ? » Cette envie de connaître le parcours de l’autre constitue une forme d’exorcisation de ce que l’on éprouvait dans son enfance. En réfléchissant devant l’un de ces clichés de 1949 où dès mes deux ans je me retrouve au milieu de tous les élèves de l’école de Sadirac puisque ma mère cantinière n’avait aucun autre moyen de me faire garder, j’ai pris conscience que de près ou de plus loin j’aurai passé plus de cinquante ans dans le système scolaire…J’ai même eu le privilège d’enseigner dans les locaux où j’avais été élève !
Je n’ai qu’un seul mauvais souvenir de ce parcours et il constitue une blessure profonde. Il ne comptera pas quand je retrouverai celles et ceux que je n’ai plus vus depuis parfois soixante ans. Que sont-ils devenus ? J’aurai un pincement au coeur lors de la séparation car je n’ai plus le temps de me constituer avec eux un patrimoine de jours heureux, ceux au cours desquels le bonheur était dans les sous-bois, les prés ou sur le chemin de l’école. Je trouve que le temps passe trop vite mais je ne suis pas le seul !
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M’sieur, j’peux comprendre que votre papa n’ait pas aimé l’école s’il avait Pasqua pour parent. Et Silvio, il s’appelait pas Berlusconi par hasard?
Extrait d’un texte de souvenirs d’enfance : « Pieux souvenirs »
…Le jour de la rentrée, je reçus ma première leçon de tolérance et de laïcité.
Notre maitre venait de nous distribuer des cahiers, il nous demanda d’écrire notre nom sur la première ligne de la première page. Je fis comme il était de coutume dans le précédent établissement, écrire mon nom sur la deuxième ligne et les lettres JMJ sur la première. Le maître, circulant dans la clase en surveillant notre travail me demanda :
-Pourquoi as-tu écris JMJ, ce ne sont pas tes initiales ?
Je lui expliquais (à ce grand ignorant !) que ça signifiait : Jésus Marie Joseph. Il m’expliqua alors très gentiment que dans cette école, tout le monde n’était pas forcément catholique et qu’il pourrait y avoir des élèves ayant une autre religion, ou pas de religion du tout ; je pourrais être choqué moi même que quelqu’un affichât des signes d’une religion ou d’une croyance qui n’était pas la mienne.
Je pris en même temps conscience que si des païens se trouvaient éventuellement parmi nous, ils ne m’avaient pas encore sauvagement agressé, le couteau entre les dents comme on nous avait laissé entendre qu’ils étaient susceptibles de le faire …
JMJ, ne seraient-ca pas non plus les Journées Mondiales de la Jeunesse, prévues cette année au mois d’août à Lisbonne et chapeautées par… l’église catholique? Je leur préfère les JMD.
« Je leur préfère les JMD. »
Sans contestation possible.
Je me suis trouvé à Paris « au mois d’août », c’était en 1997, par le plus grand des hasards pendant ces fameuses JMJ, avec le pape « himself » en vedette. J’avais admiré dans le métro un passager qui portait fièrement un superbe tee shirt portant la devise : Ni dieu, ni maître …
Mon instit des années 50/60 avait 2 sales habitudes:
Il tirait les cheveux des garçons et plus particulièrement les pattes ,
Il pincait les cuisses des filles avec une préférence pour celles qui, à 14 ans, avaient déjà toutes les formes de futures femmes…
60 ans après elles ont toujours la haine, mais, à cette époque, l’instituteur était intouchable…