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Heureux soient les acteurs de la vie qui ne doutent pas

‘Un jury très divers dans ses goûts et ses repères sociaux se penchent annuellement sur les livres que les auteurs présents au salon du livre de Saint-Estèphe leur laissent à découvrir. Toute œuvre qui entre dans la sphère publique entraîne pour son auteur le risque d’une appréciation de celle ou celui qui se l’approprie avec les dangers que cela comporte. Dans le monde actuel admettre ce qui ressemble à un jugement sur une création ressemble à une performance puisque partout et à tous les niveaux la certitude la plus répandue est celle de la certitude. Le doute dans tous les esprits a désormais une portion congrue.

Pour ma part chaque soir, au moment où je me retourne sur ma journée ou sur le chemin déjà long de mon parcours, je m’interroge sur ce que je n’ai pas réussi. Le temps de la retraite devient alors redoutable car il permet de s’attarder sur ce qui constitue le pire des dangers : ne voir que le verre jamais suffisamment plein. On tourne, retourne, triture, étale, écrase, pétrit les actions ou les réalisations sans leur trouver un seul intérêt. Ne jamais douter de ce que l’on a été ou que l’on est constitue une faute grave de conscience.

Dans la période actuelle, plus que jamais la tendance se niche dans la certitude que rien ne saurait remettre en cause le fruit de ses élucubrations ou ses décisions. La critique est vécue comme une agression, la contestation comme un acte indigne, la désapprobation comme un affront. Plus de risques : la faute de l’échec est imputable aux autres. Le jury aussi large soit-il a forcément tort ! La situation empire. Plus personne ne considère le doute comme une valeur essentielle de la réussite.

Les retours que l’on obtient sur son action constituent pourtant une exceptionnelle richesse. La réussite se trouve dans les pépites du dialogue qui se tisse autour du peu que l’on a proposé aux autres. Un mot, une remarque, une phrase, un sourire, une moue dubitative ou un geste discret génèrent la plus appréciable des récompenses ou la plus utile des stimulations. Faute de l’admettre la suffisance menace.

Lors de l’annonce du jury je n’ai pas pu me persuader que j(étais pour quelque chose dans le prix attribué. J’ai tellement douté de l’intérêt de ce que j’avais écrit en pleine première période du confinement que j’avais oublié en être l’auteur. D’ailleurs j’ai tenté maladroitement d’expliquer que la récompense était décernée à l’histoire d’Ezio alias Armand Graziana car elle était exemplaire. Je n’étais qu’un transmetteur de sa vie, un passeur de sa mémoire, un transformateur de situations réelles en roman : le doute m’envahissait alors que justement j’avais l’opportunité de le chasser. J’étais heureux pour le livre.

Avec le recul, dans les multiples sentiers que j’ai empruntés j’ai eu la sensation d’une imperfection permanente. Elle ne m’a pas quitté. Elle m’accompagne toujours. La notion de réussite appartient au regard que les autres portent sur le lieu que vous avez atteint et rarement sur le trajet ayant permis d’y parvenir. C’est ainsi. Alors lorsque la rencontre permet d’expliquer, d’échanger, de dialoguer j’en profite avec délectation. J’aurais tant aimé pourvoir entamer une telle séquence avec le jury. J’ai pu le faire trop vite avec deux de ses membres avec lesquels j’avais un brin de parcours commun. Trop peu à mon gré !

Pour chasser le doute il n’y a que l’échange et plus encore le partage. Heureux soient les imbéciles sûrs de leurs idées, de leur activité, de leur savoir-faire, de leur talent, de leur position, le royaume des prétentieux leur est ouvert. Eux se retranchent derrière le plus haïssable des mots : les certitudes. Et les gens en sont boursoufflés. Probablement que en cette journée il sera possible de le vérifier en politique. L’artisan, l’artiste ne peuvent pour leur part jamais se satisfaire de ce qu’ils ont produit. Or je ne suis qu’un artisan de l’écriture, un besogneux du verbe, un gratteur des mots et à ce titre le seul fait de susciter une réaction me procure une jubilation sans cesse renouvelée.

Samedi en emportant le bandeau pour placer sur l’exemplaire « Les 9 vies d’Ezio » j’avais simplement le sentiment d’avoir réussi à convaincre que l’immigration reste et restera une exploitation de la misère, de la peur, de l’absence d’avenir réel. En Médoc la victoire n’en était que plus belle. Le nuage du doute au-dessus des vignes du Crocq et de son voisin du Haut-Marbuzet s’était dissipé. Il est vrai que le rouge servi aidait à me rassurer : il arrive parfois que l’on arrive sur un sommet modeste mais précieux par un sentier incertain et escarpé !

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    « Or je ne suis qu’un artisan de l’écriture, un besogneux du verbe, un gratteur des mots et à ce titre le seul fait de susciter une réaction me procure une jubilation sans cesse renouvelée. »

    Un échelon bien au dessous, et d’en de très rares et exceptionnelles occasions il m’est arrivé de ressentir ce même sentiment de succès : avoir attiré l’attention sur quelque chose qui vous tient à cœur et que l’on a réussi à exprimer clairement.

    Le doute est indispensable cependant, et la certitude rare : témoin le célèbre « Que sais je ? »
    Une citation que j’ai retenue du cours de philo, et dont j’ai oublié l’auteur(peut être Édouard Herriot ? ) : « Le propre de l’homme cultivé est de dire non d’abord ». Avec toutes les interprétations que cela comporte.

    Une de mes réponses un peu abrupte et pas toujours bien accueillie(avec une arrière pensée de mécréant) lorsque l’on me dit « Il faut croire … « .
    – Non, il ne faut jamais croire (sous entendu : avant d’avoir vérifié).
    Le droit au doute, fondement de l’esprit laïc.

  2. facon jf

    Bonjour,
    en voila un qui ne doute de rien  » Retraites: pour Macron, la foule n’a « pas de légitimité » face « au peuple qui s’exprime à travers ses élus » ( alerte info de BFM.rde TV hier) . Ce clown à recueilli 18 768 639 de voix sur 48 752 339 d’inscrits soit 38.5% du corps électoral et son parti au 2éme tour des législatives Ensemble ! (Majorité présidentielle) a recueilli 8 002 407 de voix soit 16,4% des Français . Et il vient nous dire que le peuple n’a rien à dire face à la représentation nationale … Mais j’ai ri , j’ai ri , j’en ai mal aux joues .
    Le méprisant se surpasse en se réfugiant derrière la  » démocratie représentative » inventée par l’abbé Sieyès pendant la révolution de 1789. « … Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » Discours du 7 septembre 1789
    Oui je sais c’est hors sujet! ok je sors !
    Bonne journée

    1. J.J.

      Ça aussi c’est hors sujet…
      Constitution de 1793 :« quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

      Article 28. – Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.

  3. Gilbert SOULET

    Bonjour
    Comme s’est bien dit Jean-Marie !
    Pour ma part, je me suis arrêté à Saint Estèphe avec une très forte pensée pour Qui a bu, Boira du Saint-Estèphe qui compte cinq crus classés dont les illustres Montrose et Cos d’Estournel. J’ai ainsi cherché et trouvé que les vins de Saint-Estèphe, sur un sous-sol argilo-calcaire, s’avèrent puissants, opulents, bien structurés et élégants pour les plus réussis. Ils affichent un bon potentiel de garde. Superficie de l’appellation Saint-Estèphe : 1300 ha Cépages de l’appellation Saint-Estèphe : cabernet-sauvignon, merlot, cabernet franc, petit verdot, carménère (Le carménère – que je ne ne connaissais pas – est le résultat d’un métissage entre le cabernet franc et le gros cabernet. Il fait partie de la famille des carmenets, au même titre que le merlot, le cabernet franc, le cabernet sauvignon et le petit verdot). On apprend à tout âge !
    Gilbert de Pertuis aux 83 printemps

  4. François

    Bonjour J-M !
    Tout d’abord (bien sûr!) et selon la sempiternelle formule, permets-moi de t’adresser mes plus sincères félicitations pour cette reconnaissance par les Pairs de l’écriture.
    En effet, et ce n’est pas @Christian qui va me contredire ( ! !), ton exercice quotidien et, pire, la rédaction d’un roman bien documenté sont la preuve d’une plume très volubile qui, bien que sénior, repousse le doute pour frôler la perfection. Chapeau bas, La Classe ! !
    Oui, J-M, je t’entends très bien me dire :  « Te connaissant, me passer comme ça la brosse dans le sens du poil, tu vas me jeter une peau de banane ! »
    Non et … oui … plutôt te suggérer un thème pour ton prochain bouquin sur l’immigration :
    Les migrants latins et slaves du XXème siècle et les migrants musulmans au XXIème siècle, ont-ils les mêmes motivations de travail, d’efforts pour RÉUSSIR? Plus explicitement, actuellemnt, le but n’est-il pas d’atteindre le pays de Cocagne où les AIDES coulent à flots… pays qui est mort … épuisé ? ? ? ??????
    Moi aussi, te connaissant, j’attends ma flagellation ! !
    Sincères félicitations … malgré tout ! ! ! !
    Amicalement.

  5. christian grené

    Bonsoir à tou(te)! Je rentre juste chez moi et je me précipite sur la « Roue Libre ». Un régal de lecture, comme l’avait été celle des 9 vies d’Ezio. N’en doute pas JM, c’est du bonheur que tu nous donnes en mille-feuilles.

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