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Droit vers la falaise ou le précipice

La France plonge à une allure vertigineuse vers « l’américanisation » de sa vie politique après avoir subi celle de sa vie culturelle, économique et sociale. Jour après jour, la course à la « radicalisation » des positions s’accélère, conduisant à des affrontements purement médiatiques, déconnectés de tous actes raisonnés. Il s’agit pour une poignée de responsables aguerris ou spontanés de capturer l’attention du maximum de gens, en pratiquant la surenchère verbale ou la stigmatisation outrancière du camp adverse.

Le verbe haut, le poids des mots, le choc des images deviennent les clés de l’action publique ce qui conduit inexorablement à la destruction des principes républicains de tolérance, de dialogue et de partage de l’intérêt général. La violence verbale laisse la place à la violence physique avec une revendication de son caractère inéluctable. Il est vrai que la surdité d’un pouvoir incite toujours à hausser le ton ! 

Désormais, on a dépassé le stade de la stratégie ponctuelle pour en faire tout simplement un fonds de commerce politicien. Tous les débats sont révélateurs de ce comportement dénué de tout scrupule, qui consiste à faire glisser par la provocation, par la dramatisation, par l’approximation, des personnes légitimement inquiètes vers l’extrémisme absolu. C’est une technique utilisée en d’autres époques par ce qui est ensuite apparu comme les fascismes.

Les axes de cette « manipulation » de masse restent immuables : discrédit massif et répétitif des élus ; transfert social des responsabilités de situations vers le pouvoir en place ; manifestations provocatrices destinées à transformer des jeunes en martyrs; revendications irréalistes uniquement destinées à recueillir des avis défavorables… Le système est imparable et surtout impossible à combattre, car il est multiforme, empêchant une réponse frontale. La guérilla (urbaine en majorité) a l’avantage de mobiliser toutes les forces du camp adverse et de l’user, au profit des « mercenaires » des idéologies extrémistes dissimulées dans la masse.

Les LR empêtrée dans ses combats internes, tente par tous les moyens de ne pas se laisser déborder par le Rassemblement National, tout en évitant de sortir trop souvent de la « route » d’accompagnement à distance du pouvoir. Il s’agit pour bien de ses mentors d’encourager le ralliement avec les candidats à la présidence aux allégations les plus horribles sans pour autant apparaître comme fauteurs de troubles incontrôlés. Des propos un peu moins outranciers que ceux de Zemmour permettent en permanence de ranimer les braises de ce qui n’est plus une « opposition » mais une « destruction ».

En fait, l’accumulation de déclarations volontairement provocatrices va avoir un effet boomerang commençant à inquiéter bien des élus locaux. Le RN qui poursuit sa dédiabolisation (1) ou plutôt la banalisation d’idées contraires à la fraternité, à l’égalité et la solidarité va causer des ravages dans tous les secteurs ou le lien social n’existe plus L’intégrisme religieux, farouchement condamné chez les musulmans, les juifs mais jamais dénoncé chez les catholiques a pris le contrôle de mouvements jusque là un tant soit peu laïques. Les dieux sont invoqués sur les stades, dans les discours politiques, dans les circonstances tragiques.

Cet étrange mélange des genres rappelle bien des péripéties des années 30, même si de grands « je-sais-tout » médiatiques ne veulent pas faire le lien. Quel rôle a joué la croyance religieuse outrancière (Opus Déi) dans l’arrivée au pouvoir de Franco en Espagne ? Quel rôle a joué cette exploitation de principes religieux réactionnaires dans l’installation de Salazar au Portugal ? Qui peut prétendre honnêtement que Mussolini n’a pas exploité au maximum ses relations privilégiées avec l’église ? Il en est de même au Chili avec Pinochet, en Argentine durant la dictature et dans bien d’autres pays. Bolsanero au Brésil n’a aucun programme sauf s’appuyer sur les réseaux des églises diverses dans son pays.

Aux USA les élections de mi-mandat sont minées par les prêches « trumpistes » à connotation religieuse. L’église orthodoxe russe soutient la guerre de Poutine. le L’Iran, l’Arabie saoudite, les émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Inde… penchent fortement vers des régimes théocratiques plus ou moins déguisés. Le Président de la République française va faire acte d’allégeance au Vatican ! En fait, la France a toujours eu un fond réactionnaire, qui avait valu une grand estime à Pétain en d’autres temps. Il se renforce chaque fois que le contexte économique le nourrit.

Les médias dominants ne faisant plus appel à l’analyse mais à l’émotion pour maintenir leur pouvoir, renforcent cette dangereuse mutation. Il faut sans cesse avoir en mémoire que l’extrémisme, de quelque bord qu’il soit, mobilise davantage que la raison, et que le chemin vers le fascisme comporte cinq étapes que nous avons déjà entamé  : la création de mouvements réputés spontanés ; leur enracinement dans un système politique tétanisé ; l’acquisition du pouvoir grâce au discrédit de ceux qui l’exercent; l’exercice du pouvoir de manière autoritaire; et, ultime étape, pleinement atteinte exclusivement en Allemagne nazie, la radicalisation dont on ne mesure les effets qu’a posteriori.

Il suffit d’écouter quotidiennement les diatribes de la Droite et de certains tenants d’une Gauche irresponsable, de contempler sur les rayons des maisons de la presse les couvertures des hebdomadaires, de s’installer devant un écran des manipulations, pour comprendre que nous sommes comme les rongeurs qui suivirent le joueur de flûte vers la mer, ou comme les moutons de Panurge qui finirent dans le précipice.

(1) Un sondage le donne à 30 % contre 29 % à la droite macroniste et 17 % à ma Nupés. Cumulées Droite et extrême droite atteignent 75 % 

Cet article a 21 commentaires

  1. J.J.

    On aurait pu estimer à une époque que l’Esprit des Lumières, conforté par les progrès scientifiques auraient raison de l’irrationnel. Au contraire, les propagandistes de l’irrationnel religieux (ou profane !)et autres escrocs utilisent , en le déformant et en biaisant de pseudos arguments scientifiques pour répandre leurs fumeuses idées auprès d’une population qui n’a pas forcément les connaissances suffisantes pour débusquer la mauvaise foi (La science au service de la mauvaise foi).
    Si les jésuites à une époque sont passés maîtres dans ce genre de carabistouille, les élèves ont dépassé les modèles, avec des moyens surdimensionnés.

    Ne jamais oublier cette déclaration de Bertrand Russel, philosophe anglais, prix Nobel 1950 (bien que ce ne soit pas forcément une référence pour certains).
    « L’homme est un animal crédule, il a besoin de croire et, à défaut de fondements solides à sa croyance, il se contentera de fondements bancals. »

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.
      Personnellement, j’hésite entre : bancals et bancaux… !
      Entre les 2, mon cœur balance… je ne sais pas, lequel aimer des 2…
      Une réponse : « cet adjectif est devenu des deux genres ».

  2. christian grené

    Cher Jean-Marie, tu mets « la surdité du pouvoir » sur notre croissant du matin. Comme je suis gourmand, j’y ajoute « l’absurdité du pouvoir ». Quand j’entend M. Darmanin qui parle d’éco-terrorisme, moi qui ne suis pas très vert, je le dis d’un ton badin: il mérite… la badine. A moins qu’il ne préfère la guillotine. Comme ça, ça ira?

    1. J.J.

      Ça ira !

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      Moi, « Quand j’entend M. Darmanin, »… j’ai tendance à sortir « ma pistoulette » !

      1. Laure Garralaga Lataste

        OUPS… ! ! ! « j’entends…… »

  3. facon jf

    Bonjour,
    si je considère les événements de l’autre coté des Alpes les droites extrêmes ont rejoint l’extrême droite pour s’emparer du pouvoir. Avec plus de 44 % des voies, l’alliance des droites italiennes dirigée par Fratelli d’Italia (=frères d’Italie en français) a remporté dimanche une nette majorité. À sa tête, Giorgia Meloni ( Meloni= les melons en Français- tout ça ne s’invente pas- ) a convaincu un électorat disparate, rassemblé autour de deux piliers identité et autorité. Giorgia Meloni ne se revendique pas du fascisme, c’est une néoconservatrice. Elle le répète en permanence. L’extrait de son discours devenu viral dans lequel elle énumère « je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne » résume bien son positionnement néoconservateur identitaire. Meloni a su capter le mécontentement dans un pays appauvri, marqué par un sentiment général de déclin et très hostile envers la classe politique.
    Son électorat, qui va de l’élite économique de l’Italie du Nord aux ouvriers, repose sur deux piliers communs : identité et autorité. Il s’agit d’un électorat identitaire qui revendique une Italie chrétienne, relativement homogène, et qui est très hostile aux migrants jusqu’à être favorable à l’usage de la force contre eux.
    Mais où est passée la gauche Italienne ? la gauche Italienne a participé à toutes les coalitions gouvernementales depuis 10 ans elle est donc associée par les Italiens aux mauvais bilans successifs. De plus son positionnement politique, modéré, progressiste et solidaire des migrants, ne répond pas aux attentes des milieux populaires préoccupés par la question identitaire et la demande d’ordre. En Italie la gauche a en partie perdu l’électorat jeune, et complètement perdu l’électorat populaire, avec une surreprésentation dans ses électeurs des classes diplômées et catégories supérieures, de centre-ville.
    Quels enseignements tirer de la leçon Italienne ?
    En France comme en Italie, le principal clivage qui fracture la société est la question de l’identité. Dans les deux pays, la droite, la droite radicale et les conservateurs identitaires ont sensiblement le même poids. Si demain une offre commune rassemblait Ciotti, Wauquiez, Le Pen et Zemmour, son score serait vraisemblablement le même, voire supérieur à la coalition italienne.
    Pour ce qui est de la religion, Antonio Gramsci (1891-1937) fondateur du Parti Communiste Italien (1921), a écrit la plupart de ses travaux dans la clandestinité ou dans les prisons où il resta enfermé de 1927 jusqu’à sa mort en 1937. Voici ce qu’il écrivait en 1930 dans le contexte du concordat de 1929 entre le duce et le Vatican:
    « Pour bien comprendre la position de l’Église dans la société moderne, il faut comprendre que celle-ci est disposée à lutter seulement pour défendre ses libertés corporatistes particulières (de l’Église comme Église, organisation ecclésiastique), c’est-à-dire les privilèges qu’elle proclame liés à sa propre essence divine ; pour cette défense l’Église n’exclue aucun moyen, ni l’insurrection armée, ni l’attentat individuel, ni l’appel à l’invasion étrangère. Tout le reste est relativement négligeable, à moins qu’il ne soit lié aux conditions existentielles propres. Par « despotisme » l’Église comprend l’intervention de l’autorité laïque étatique dans le sens de la limitation ou de la suppression de ses privilèges, rien de plus ; elle est prête à reconnaître n’importe quel pouvoir de fait, et, à condition qu’il ne touche pas à ses privilèges, à le légitimer ; si par la suite il accroît les privilèges, elle l’exalte et le proclame comme providentiel… »
    L’histoire a donne raison à Gramsci et son propos peut s’étendre aux autres religions.
    bonne journée

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami facon j.f
      Coucou, me revoilà après 3 jours sans « Roue Libre »…
      Et à cette interrogation… « Mais où est passée la gauche Italienne ? »
      Je répondrai ! Hélas… à la trappe, comme…… Non ! Je n’ai rien écrit !

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami facon.jf
      « Fratelli d’Italia… » ce qui est angoissant…
      C’est ce pluriel… !

  4. Philippe Labansat

    Personnellement, je suis terrifié par le décervelage galopant (et triomphant) entrepris par d’innombrables entreprises religieuses sectaires concurrentes, et ce, sur l’ensemble de la planète.
    Aujourd’hui, face à cela, la connaissance, le raisonnement, la modération semblent ne compter pour rien.
    L’éducation s’est considérablement marchandisée et
    n’est plus guère évaluée qu’en termes de « retours sur investissements » pour le grand business planétaire : l’activité, la « croissance », l’emploi, le PIB…
    Former des citoyens autonomes mais impliqués et solidaires, libérés par la connaissance, ne semble plus être au cœur de l’idéal républicain.
    Nul doute que des temps sombres sont devant nous, qu’il faudra lutter à contre-courant et sans illusion, faire le dos rond et espérer des jours meilleurs pour notre descendance.
    Pour nous, les « seniors », c’est déjà foutu…

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Philippe
      Pour moi, ce décervelage organisé par des entreprises religieuses est loin d’être une découverte… ! Et mes relations avec « l’apostolique romaine » restent très circonspectes !

  5. Bruno DE LA ROCQUE

    Cette chronique est un grand texte. Et les commentaires que je viens de lire sont tout autant de valeur. Et passionnants.
    Je venais, juste avant, de lire l’article de La Croix sur le clivage, non seulement radical mais également violent, qui se manifeste chez les « écolos » (EELV) [ https://www.la-croix.com/France/A-manifestation-anti-bassines-fosse-creuse-entre-militants-ecologistes-2022-10-31-1201240168?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NEWSLETTER__CRX_ESSENTIEL_MATIN_EDITO&utm_content=20221101 ]

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Bruno
      S’il n’y avait que chez les écolos… Mais ce phénomène de violence « éliminatoire » est-il si nouveau que çà ? Pour l’avoir personnellement vécu, je n’en crois rien…

  6. Laure Garralaga Lataste

    La place faite à la violence semble prendre une telle ampleur qu’elle devient inexorable… Et je ne vois pas qui pourrait la stopper !
    Quel monde va-t-on transmettre à nos enfants et petits enfants… ?

  7. facon jf

    En ce triste anniversaire des 100 ans du fascisme (28 octobre 1922 : les chemises noires marchent sur Rome), et alors que Giorgia Meloni, adepte de Mussolini, vient d’être officiellement nommée à la tête du gouvernement italien, retour sur un épisode historique encore trop méconnu… Les troubles relations entre la perfide Albion et le futur Duce.
    https://www.les-crises.fr/100-ans-du-fascisme-la-grande-bretagne-a-secretement-soutenu-la-marche-de-mussolini-sur-rome/
    Bonne lecture pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Italie.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami facon jf…
      Qu’attends-tu de la perfide Albion… ?
      Personnellement… JAMAIS RIEN DE POSITIF… !

  8. Christian Baqué

    Je pourrais souscrire positivement à ta chronique, si ce n’était cette phrase : « Il suffit d’écouter quotidiennement les diatribes de la Droite et de certains tenants d’une Gauche irresponsable… »
    D’une part il est toujours regrettable de mettre un signe égal entre deux politiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Et cela va dans le sens de ce que tu constates, le « discrédit massif et répétitif des élus » c’est-à-dire « tous pareils » ou « tous pourris ».
    D’autre part, c’est quoi, c’est qui la gauche irresponsable ? Les macronistes mettent ainsi un signe égal entre RN et NUPES, et surtout entre RN et LFI. Et certains ex-socialistes, ceux-là même qui n’ont cessé de gérer les intérêts des capitalistes mais « par la gauche » font de même. Ce sont eux « la gauche responsable » en opposition à l’autre ? Les amis de ceux qui ont terminé ministres de Macron ?
    Facon jf demande « où est passé la gauche italienne ? » Mais sans LFI, Mélenchon et la NUPES, où serait passée la gauche française ? Merci à ceux qui ont relevé le gant ! J’espère que, grâce à eux, et ce ne sera pas facile, nous n’irons pas dans le précipice où nous entraine le système capitaliste, dont les macronistes et leurs alliés sont les serviteurs zélés, le RN attendant son heure en embuscade.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Christian…
      à cette question… « Mais sans LFI, Mélenchon et la NUPES, où serait passée la gauche française ? » je suis tentée de m’interroger… « quelle différence y a-t-il entre LFI, Mélanchon et la NUPES ?

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à mon ami Christian…
        La NUPES n’est-elle pas sur le point d’… exploser… ?
        « Que vera… vera… » à suivre…

  9. Alain . e

    Se réclamer de la droite toute , ou de la gauche toute , c’ est souffrir d’ une hémiplégie certaine .
    j’ ai aussi peur des vociférateurs que des vélociraptors , mais je préfère les vélosolex en fait .
    Je ne veux pas de chapelle , j’ aurais trop froid , agnostique un jour , agnostique toujours….
    Le jour ou la science prouvera l’ existence d’ un dieu , je reverrais mon jugement , le jour ou les gens vivront leurs foi chez eux et dans l’ intimité , sans prosélytisme , je les détesterais moins ..
    Mais bon , ce n’ est que ma modeste opinion ….

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Alain…
      Es- tu sûr que « la science » parviendra à prouver l’existence de Dieu… ? Est-ce son boulot d’ailleurs… ?

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