Si la « sobriété » a quelque chose de moralement respectable il en va tout autrement de la pénurie. Depuis la dernière guerre mondiale et les privations de denrées essentielles la société française qui selon son Président vit dans « l’abondance », a du mal à accepter une situation de raréfaction des produits essentiels. Il arrive même et la pandémie l’a mis en évidence, que l’on tombe aisément dans la psychose lorsque les rayons des grandes surfaces sonnent creux. Aussitôt la rumeur de la disparition de ce que l’on attribue à une situation plus ou moins durable va aggraver des manques déjà effectifs. La « pénurie » s’installe mais il ne faut surtout pas le dire ou l’écrire.
Mon grand-père maternel Abel qui avait conjugué une enfance dramatiquement malheureuse, le passage dans une mine de sel en 1918 et la traversée sans grands moyens entre 1939 et 1945 avait une attitude qui m’interpelait. Il stockait l’huile et les boites de sardines comme si un jour il lui faudrait survivre sur ses réserves. La fabrication de son savon avec un mélange de soude et de suif de bœuf constituait un événement toujours étonnant quand les journaux regorgeaient de pubs pour le savon Cadum ou les berlingots de shampoing Dop ! Je n’ai eu conscience que longtemps plus tard que sa génération vivait dans la peur de…manquer !
Le pouvoir en place sait que la pire situation qui serait la sienne consisterait à une diminution sensible de la consommation. Toute sa stratégie repose en effet sur la récupération indirecte via des taxes diverses les recettes dont il a grand besoin pour équilibrer un budget 2023 déjà compliqué à boucler. On ne pompe plus de fric dans un pays libéral où l’offre est inférieure à la demande et donc il y a péril en la demeure. La seule évocation d’une « pénurie » confine au cauchemar. Alors celle des produits pétroliers très rémunératrice devient angoissante pour Bercy.
Voilà que dans notre pays en transition énergétique, les ventes d’électricité pour les véhicules a dépassé celles du gazole. Une conséquence du blocage des raffineries mais de l’intense mobilisation en faveur de la vente de voitures deux fois plus chères à l’achat sans que les vertus écologiques et de coût soient démontrées. Alors que le carburant manque on ne cause que des futures « coupures » avec black-out total possible pour tous les systèmes de communication dans le courant de l’hiver. Après le papier-cul, la moutarde, les spaghettis, le sans-plomb ou le gazole font défaut. Plus question de l’imputer à la guerre en Ukraine mais aux ennemis de l’intérieur que constituent les grévistes des raffineries.
La pénurie n’est dans le fond qu’une sobriété contrainte bouleversant les habitudes et les usages. La vie est brutalement sens-dessus-dessous pénalisant les plus modestes ayant des obligations de déplacements. La guerre d’essence bat son plein. Les jerrycans sortent de leur réserve. Les querelles s’enveniment dans les files. Les gérants de stations-services où les pompes sont encore mieux approvisionnées que les machines à café, modifient sans cesse à la hausse le prix du litron de produits pétroliers. les profiteurs existent. Le « rationnement » risque de faire tâche d’huile ce qui dans quelques jours rendra le chemin des prochaines semaines très glissant.
Les Préfets sont mobilisés pour tenter de réguler des provisions excessives. C’est le branle-bas de combat constituant une mise au courant de ce qui attend la majorité d’entre nous autour de l’électricité. La différence réside uniquement dans le fait que la dépendance à cette énergie est totale. Il n’y aura pas cette fois de débrouille possible et la situation risque d’être plus tendue. La liberté sacro-sainte de consommer va disparaître dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. Et dans le fond une nouvelle crise de confiance va s’empiler sur toutes les autres provoquant une dangereuse conjonction de multiples mécontentements.
L’essence interdite par un mouvement social des uns. L’essence obligatoire pour économiquement survivre chez les autres. La dérive s’accentue chaque jour un peu plus. Même si on a voulu enterrer la lutte des classes elle ne cesse de resurgir à chaque instant comme l’hydre de Lerne sous des formes différentes.
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Moi aussi, avec l’âge, je suis en panne des sens. Et ça me pompe!
Heureusement que tu as le mot pour rire Christian, car moi qui ne suis pas optimiste de nature, je constate que la prose de Jean-Marie est de plus en plus pessimiste…
Ce n’est pas fait pour me rassurer car ce que je vois aussi, c’est que nous assistons à des phénomènes que l’éducation ou l’opinion publique nous avait fait croire comme n’appartenant qu’au passé: la barbarie des attentats, la guerre, et puis les pénuries maintenant.
Bref, c’est pas la joie et c’est pas prêt de s’arrêter à mon humble avis.
Sur ce, bonne journée quand même.
« Finis ton pain… Laurita ! » Cette phrase est resté gravée dans ma mémoire à jamais… Résultat : je finis toujours mon assiette et mon pain.
Merci à Christian pour cet humour qui, vus les évènements que nous traversons, a tendance à disparaître… Et courage Gilles car, comme tu le dis si bien… ce n’est pas prêt de s’arrêter !
Souvenirs, souvenirs… d’une enfance malgré tout heureuse.
À la maison, très tôt, j’ai appris et participé à « la construction du pain sacré ». Voilà en quoi consistait cette « chasse aux gaspis »… les restes de pain à la poubelle, véritable sacrilège ! Nous les transformions en un plat délicieux (las migas en Aragón y Navarra…), en dessert (pain perdu), et s’il en restait encore, nous en faisions profiter les poules et leur cocq… À la campagne, c’était le cochon qui remplissait cette fonction de recyclage. Rien ne se perd, tout se transforme, et comme aurait dit M. Jourdain… « nous faisions preuve d’humanité sans le savoir »!
Je n’ai pas subi de privation pendant mon enfance, mais tu sais, moi aussi, mes parents et grand-parents (qui vivaient avec nous (comme cela n’est plus le cas hélas) m’ont appris à ne pas gaspiller et à finir mon assiette; si bien que je le fais toujours et que l’attitude de beaucoup de jeunes (mal élevés?) gaspillant la nourriture m’est insupportable.
Mais je ne suis devenu qu’un vieux grincheux. C’est sans doute parce que j’ai joué « grincheux » à la maternelle dans « Cendrillon et les 7 nains »!!!
« Même si on a voulu enterrer la lutte des classes elle ne cesse de resurgir à chaque instant »
Et comment pourrait-il en être autrement quand on constate que le gouvernement « se range » (quel effort!) du côté du patronat pour diminuer les cotisations sociales (abusivement nommées charges) des travailleurs « vieux », autrement dit, une baisse du salaire différé, mais une baisse du salaire quand même.
On nous rebat les oreilles avec des primes distribuées généreusement à coup d’élastiques, et autres aumônes, mais ce ne sont que des aumônes, des os à ronger.
Et pour arranger le climat social, on envisage la possibilité de réquisitionner le personnel.
@ à mon ami J.J.
Petit complément … » des emplâtres sur une jambe de bois… » !
cette proposition vidait à compléter : » des aumônes, des os à ronger… »
Oups… visait à…
Cher Gilles,
Jean-Marie a bien raison d’être de plus en plus pessimiste. La situation est, en tous points CATASTROPHIQUE
Bonjour,
allez encore un petit verre d’amertume pour ne pas changer. Et non, nous ne sortirons pas des crises successives qui s’enfilent comme un chapelet de lamentations. Si j’en crois les experts nous avons dépassé le fameux « peak oil » (pic pétrolier en Français) vers les années 2005-2007, la date est contestée de toutes parts mais les faits sont têtus. La crise de 2007-2008 ( subprimes) a masqué provisoirement les effets énergétique par une baisse de la demande (consommation). Depuis ce moment la production de pétrole ne fait que chuter et les ressources en pétrole non conventionnel ( schiste bitumineux)ne peuvent combler la baisse. La production de pétrole conventionnel nécessite de l’énergie durant une grande partie du cycle de vie de l’exploitation d’un gisement. Lorsque celui-ci arrive en fin de vie, l’énergie nécessaire pour extraire un litre de pétrole finit par dépasser celle contenue dans ce même litre : le rapport de l’énergie rendue sur l’énergie investie est inférieur à 1. Ce rapport est le taux de retour énergétique (TRE, en anglais EROEI ou EROI pour « energy returned on energy invested »). Le gisement n’est alors plus une source mais un puits d’énergie et son exploitation pour le pétrole-énergie n’est plus rentable (par contre elle peut l’être en cas de forte pénurie pour le produit-matière première si le prix des produits dérivés croît fortement).
Le pétrole non conventionnel nécessite beaucoup d’énergie : pour pouvoir l’extraire (pétroles lourds), le fabriquer (éthanol, pétrole obtenu à partir du gaz ou du charbon), pour le rendre utilisable (schistes bitumineux, pétroles lourds). La valeur du coefficient EROI joue un rôle critique pour déterminer si la mise en exploitation du gisement est économiquement viable.
C’est aussi le cas des bio-carburants ou nécro-carburants car ils nécessitent d’utiliser des terres » vivrières ». Ce coefficient EROI est notamment au centre des débats sur l’éthanol produit à partir du maïs car sa valeur s’établit, en fonction des sources scientifiques, entre 1,3 et 0,7 (puits d’énergie).
Donc pour simplifier nous ne sommes plus en crise, puisqu’une crise est par définition un état transitoire ou médicalement la manifestation brutale d’une maladie ou aggravation brusque d’un état chronique. Nous nous enfonçons lentement mais sûrement dans un état de dégradation chronique de l’approvisionnement en pétrole.
Les récriminations face aux grévistes des raffineries n’y changeront, pas plus que le col roulé de Mac-rond n’empêchera l’hiver d’apporter le froid.
Il va falloir faire notre deuil de l’énergie facile et bon marché et retourner vers les énergies du passé et les autres dites renouvelables avec en plus les contraintes égologiques!
Faire son deuil c’est subir les 5 étapes incontournables:
Le déni : le refus de la réalité ;
La colère : une frustration intense, par exemple un sentiment d’incompréhension ou d’injustice ;
Le marchandage : une tentative d’obtenir un sursis en échange d’autre chose ;
La dépression : le renoncement et l’indifférence ;
L’acceptation : la compréhension et l’appropriation de la réalité.
A chacun de mesurer à quelle étape nous sommes collectivement.
Bonne journée à vous
Ça devait être vers 1973 (premier « choc pétrolier ») avec Serge Morin – ex Maire de Branne – comme prof.
J’avais presenté en cours un sujet sur le passage de l’énergie charbon à l’énergie pétrole. La plupart des mines de charbon étaient au moins en cours de fermeture. Carmaux et Decazeville seront les dernières en métropole je crois. Cet exposé m’avait valu une super note.
Depuis le temps, effectivement, toute notre société s’est construite autour du pétrole, abondant et pas cher.
Aujourd’hui, nous payons la facture puisque, y compris l’aménagement du territoire s’est fondée sur cette hypothèse périssable.
L’habitat s’est éloigné de plus en plus des lieux d’activité. On a construit des routes, des autoroutes, à 2 voies puis à 4, des bretelles, des contournements, et la voiture est devenue le trait d’union indispensable de cette organisation, où le transport collectif a toujours été le parent pauvre, aussi par notre faute, nous les usagers.
Nous voilà dans la dépendance totale (une dépendance parmi d’autres, comme on a pu le vérifier pendant l’épisode Covid), mais les chauffeurs fous de nos destins, continuent leur rodéo planétaire à tombeau ouvert…