Avez-vous déjà éprouvé le plaisir subtil de projeter d’aller vous installer à la terrasse d’un bistrot pour déguster un café, un demi ou un ballon de rosé ? C’est parfois le début d’un « voyage » particulier même si le lieu vous est familier. Une sortie, une bouffée d’air sur le monde : une parenthèse qui permet de quitter « ici » morose pour rendre dans un « ailleurs » différent. Cédric, François, Pierre et Gilles adorent ces moments qui brisent la monotonie du quotidien. Tous quatre, plus ou moins lourdement cabossés par les aléas de la vie, viennent en fin de matinée du Foyer de l’ADAPT de Camblanes s’attabler sur la terrasse du Bistrot des Copains . Accompagnés par deux personnes qualifiées ils profitent d’une liberté que leur corps ou leur esprit ne leur offrent plus. Des gamins ravis d’une autorisation exceptionnelle.
« Dans le planning des animations nous essayons au maximum de leur proposer ces temps de vie ordinaire pour nous mais tellement précieux pour eux. Ils sont nombreux à vouloir simplement sortir et nous sommes contraintes en fonction de leur handicap ou des lieux où nous nous rendons de n’en retenir qu’un nombre adapté. A l’exception de deux résidents tous peuvent sortir avec nous. Alors nous faisons tourner. » confie l’une des accompagnatrices. Le quatuor installé en cercle profite au maximum de cette permission de revenir dans le monde un normal ». La commande nécessitera une négociation car Cédric souhaiterait par exemple un « apéro » ce qui bien entendu s’avère incompatible avec son état. Probablement une réminiscence d’un vie antérieure qui fait briller son regard. Il n’obtiendra pas satisfaction.
On ira vers deux cafés courts, deux cafés allongés, un diabolo fraise et un Perrier tranche. Pour éviter tous les risques liés à la déglutition, les anges gardiennes transfèrent les boissons dans des récipients adaptés. Elles y ajoutent des compléments de telle manière que le mélange ressemble à une pâte fluide sans danger. Peu importe ces apports, le quatuor prend un plaisir certain à ces instants privilégiés. Ils l’expriment pas nécessairement par des paroles extraordinaires mais simplement par leur regard où briller quelques étincelles de bonheur. Émouvant de les voir transformer en événement ce qui pour n’importe lequel d’entre nous relève de la banalité du quotidien.
Ces deux femmes souriantes et compréhensives, animatrices sont les seules à pouvoir vraiment anticiper les besoins ou à comprendre les mots que formulent Gilles, Cédric, François ou Pierre. Elles développent une attention de chaque instant qui illustre l’exigence de leur travail. « Il faut bien connaître chacun d’entre eux à tous points de vue. Aujourd’hui deux d’entre eux sont partiellement autonomes dans leur déplacement alors que leur copains restent plus dépendants. C’est un élément important pour les sorties » explique celle que Gilles trouve « très belle » au point de vouloir en faire « sa femme. » Souvent le niveau du handicap nécessite un(e) accompagnateur(trice) par personne déplacée ce qui ne facilite pas l’organisation de ces opérations temps (presque) libre. Un dévouement dont on perçoit les exigences morales et physiques.
Le projet de la Maison d’Accueil Spécialisé (MAS) LADAPT met en effet un accent particulier sur l’importance des animations. Si son objectif principal reste de proposer un accueil adapté à des personnes lésés cérébraux de 18 à 60 ans présentant des séquelles physiques, cognitives et/ ou comportementales importantes, il s’agit aussi d’ouvrir au maximum l’établissement sur le monde. Les séquelles souvent d’accidents graves entraînent en effet une lourde dépendance, des soins médicaux et une surveillance infirmière continue 24h sur 24 et l’ouverture sur la société extérieures devient pourtant absolument nécessaire. Les sorties comme celles sur la terrasse du Bistrot des Copains, ne changent pas ces dures réalités mais elles apportent un incontestable « plus » pour le moral et pour le maintien d’un lien social tenu mais essentiel.
« On va rentrer annonce car c’est l’heure de manger. » Aussitôt Pierre se lève. « Attends un peu que tout le monde soit prêt ». Il a faim. Rien n’est pourtant simple. Le groupe doit regagner son bus spécialement adapté, caque passager doit être embarqué avec de multiples précautions de sécurité. Se rendre à Créon pour s’installer à une table sur la terrasse aisément accessible du Bistrot des Copains parait simple alors que cette volonté constitue une véritable expédition. Une bien belle leçon de vie en cette période estivale où l’exceptionnel, le lointain, le clinquant l’emportent sur la simplicité, la proximité et la sincérité. François, Cédric, Gilles, Pierre et tous les autres nous ramènent aux réalités.
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A la différence de François, Cédric, Gilles et Pierre, moi je m’installe en « Roue Libre » dès la première heure et je ne lâche prise qu’à la première difficulté, sachant que la descente va suivre aux environs de midi. Et là, comme au Giro, difficile de me prendre le maillot… rosé. Mais le jaune et le verre me vont bien aussi.
Signé: le perroquet.