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Ici et ailleurs (29) : le marché commun du mercredi

Le marché hebdomadaire ruisselle de couleurs, d’odeurs et laisse deviner des saveurs tentatrices. Il entre dans sa plus belle saison, celle qu’il avait oublié depuis deux ans. Les chalands n’avancent plus masqués et les sourires sont perceptibles sur des visages de tous les âges comme si le besoin existait d’accompagner le soleil inondant la Place de la Prévôté. L’été retrouve ses droits autour du carré magique de la ville bastide. Certains chalands déambulent sans but précis quand d’autres rompus aux courses efficaces et rapides, souvent matinaux vont d’un étal à l’autre sans trop baguenauder. C’est ce mélange exceptionnel qui construit ces rendez-vous heureux du mercredi durant quelques semaines.

L’affluence monte au fil de la matinée pour atteindre son pic peu avant midi. A la terrasse du Bistrot des Copains et sous les arcades du Bar créonnais le café coule à flots. Les « allongés » se multiplient comme si une nouvelle culture avait débarqué en quelques jours. Le « cappuccino » surgit parfois au gré des commandes ce qui ne va pas sans poser des problèmes aux comptoirs dépourvu de crème. L’affluence est telle que les habitué(e)s ne peuvent que constater que leur place habituelle se situe en zone occupée. Il leur faut souvent renoncer à ce qu’ils considèrent comme un privilège les démarquant du consommateur occasionnel vécu comme un envahisseur. Se mettre à table nécessite souvent une grande patience.

La loi du marché repose sur la concurrence. Au fil des années les cuisinier(e)s des rues deviennent de plus en plus nombreux, offrant une diversité gastronomique inédite. Les recettes réunionnaises, maghrébines, antillaises, égyptiennes, vietnamiens, italiens ou de tradition française rivalisent exhalant des odeurs inédites. Les fameux plats cuisinés à prix très abordables ont du caractère permettant de changer les habitudes. Un vrai plaisir gastronomique que celui de découvrir ces femmes et ces hommes tellement heureux de partager un savoir-faire simple mais précieux lié à leur culture familiale. Tous expliquent que les plats proposés sont aussi authentiques que possible et inspirés de ce que leur ascendance leur a transmis.

La spécificité de l’espace de la place centrale réside dans la possibilité que tout le monde a d’en parcourir les quatre cotés. La transmission de l’information va ainsi à une allure soutenue. « Tu devrais te dépêcher car chez Diego les sardines sont très belles et d’une fraîcheur garantie » explique un adepte du coup de cœur. Son interlocuteur file aussitôt pour récupérer ce qui fera une grillade susceptible d’embaumer un éventuel voisinage de proximité. « Où tu as acheté tes tomates cœur de bœuf ? », «  tu devrais essayer les filets de poulet macérés au citron ! » ; « J’ai trouvé des brochettes de poulet fermier bon marché ! » » : les conseils, les confidences se propagent sous le sceau de la confidence.

Ce marché n’ a rien de provençal comme celui de Gilbert Bécaud mais il est aussi bruyant, mouvant, réconfortant, étonnant. Il y a une ressemblance avec les vols de sauterelles s’abattant sur des récoltes. Les producteurs, les fabricants ou revendeurs de produits du terroir même légèrement éloignés de Gironde, attirent l’attention de ces grappes de promeneurs avides de « couleur locale ». L’habituée glisse discrètement à sa copine : « c’est pas le moment d’acheter car ils ont encore augmenté leurs prix… » quand la client(e)à en séjour courte durée constate que « c’est bien moins cher que chez nous ! ». La crise ne pèse pas trop sur ces heures où l’on cherche surtout à respirer l’air de ce que l’on pense être la liberté.

Sur les marchés d’été divers mondes se croisent sans vraiment se rencontrer. Les étrangers occupent de plus en plus d’espace. La diversité de leurs origines s accentuent. Les habitants des pays nordiques (Danois surtout) effectuent plus d’un tour. Leur point faible reste le petit blanc frais quand les autres européens restent à la bière ou à l’eau plate s’ils sont cyclistes itinérants. Leur vélo-cargo en mains ils tentent de se frayer un chemin vers un port d’attache. La mondialisation grâce au tourisme sur deux roues augmente au fil des marchés mettant en évidence que ces rendez-vous ont véritablement une vocation touristique.

Certains marcheur(euse)s de tous les âges avancent une poche de chichis longtemps attendue en main. D’autres dégustent les tronçons d’une baguette de pain comme s’il s’agissait du dessert le plus savoureux. Des mains plongent dans les stocks de fruits dès leur achat comme si les déguster hors des règles établies leur donnait une saveur accrue. Qu’elles soient considérées comme chocolatines ou pains au chocolat les viennoiseries sortent des sacs au moment du café matinal. C’est l’heure des menus plaisirs. Je voudrais discuter avec tout le monde, écouter, expliquer, commenter : depuis plus de sept siècles grâce à son marché Créon a maintenu son rôle social. Pourvu que ça dure.

Cet article a 5 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour à tous depuis Pertuis dans Le Luberon et de Gilbert aux 82 printemps …
    Les chichis de Jean-Marie de Créon m’ont fait penser à ceux de L’Estaque (13016 à Marseille) et à ceux à PERTUIS du 14 Juillet 2014 : https://pertuisien.fr/lepertuisien/flash8.php?flash=62552

  2. Gilles Jeanneau

    Ah les marchés, quel bonheur!
    Ceux de Libourne et de Duras ont ma préférence mais je ne connais pas celui de Créon…
    Une lacune à combler!
    Celui de Castillon était aussi un bonheur dans ma jeunesse. Pendant les vacances estivales, avec les copains, on y allait tous les Lundi en bicyclette. Mais il a perdu de sa superbe…
    Profitez bien, créonnais et autres.

  3. J. J.

    Nous sommes moins gâtés question marchés. il y eut jadis un beau marché, le grand marché du samedi, comme celui de Créon, dans ce que l’on appelait la Corbeille sous les grandes halles, et qui s’étendait dans le rues adjacentes, avec beaucoup de petits producteurs locaux. Mais il est devenu un repaire de bobos, sans doute les descendants des « lézards » du « plateau » que décrit Balzac dans les « Illusions Perdues ». Un autre marché, jadis de quartier est devenu l’autre « grand marché », colonisé lui aussi en partie par une clientèle snob, avec certains commerçants qui ont pris le train en marche. Pas très sympa.
    Restent les petits marchés de quartier, assez réduits, moins « volubiles » mais où tout le monde finit par se connaître, clients comme commerçants, ce qui crée une certaine convivialité paisible.
    Quand je voyage, si j’aperçois ou si j’ai connaissance d’un marché, je m’y précipite, un des meilleurs moyen à mon avis de découvrir l’âme d’un pays.

  4. christian grené

    D’accord avec toi, Gilou. Pour moi, rien ne remplacera jamais le marché de Libourne, les mardi, vendredi et dimanche. Sauf, peut-être, celui de Mérignac que j’ai découvert il y a quelques années quand j’avais table ouverte au café « Le Mérignac » que tenait à l’époque un certain Henri Delage, le papa de « Jappeloup ».
    Le marché? Un lieu de villégiature sans égal pour y faire des rencontres les plus diverses et où se croisent des gens d’un commerce agréable

    1. J. J.

      « Le marché… où se croisent des gens d’un commerce agréable « . Placer le bon mot au bon endroit. comment pourrait-il en être autrement ?

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