Antoine Rigo a écrit en cent ans de sa vie, le vrai livre d’histoire de cette France dont il ne comprend pas qu’elle soit disloquée. Le siècle dernier n’avait que 22 ans quand il est né « à Lestans » en Italie. Il tient absolument à préciser son lieu de naissance même si la géographie administrative penche pour la commune de « Sequals » capitale mondiale et de la mosaïque (1) ayant vu grandir un certain Primo Carnera, champion du monde de boxe qui frappait comme un lourd. Son sang reste transalpin. Son cœur est depuis longtemps français. Ses souvenirs appartiennent aux deux pays. Sa vie n’ a été faite que de départs !
« J’ai très peu connu mon grand frère. Il est parti quand j’avais deux ans en Argentine où mon père était allé tenter sa chance quelques temps. Nous étions tous condamnés à émigrer. » Antoine s’exprime avec une clarté et une lucidité exceptionnelles compte-tenu de son âge. Quelles images défilent dans sa tête ? Les pauses qui ponctuent son récit démontrent qu’il en cherche quelques-unes pour alimenter cette longue traversée mémorielle. Elles sont craquées, en noir et blanc et de très petite dimension mais ô combien précieuse. Son frère Mario (97 ans) les conservent d’ailleurs dans le coffre-fort d’une ancienne petite boite plate en fer blanc. Ces clichés d’une époque révolue évoque toutes le départ !
D’abord il y a celle de l’école italienne avec des dizaines de gamins posant sérieusement pour ce qu’ils ne pensent pas être la postérité. « J’y suis allé jusqu’à dix ans explique Antoine. Tout le monde à la maison parlait le frioulan et nous devions apprendre l’Italien comme une langue étrangère. Il arrivait d’ailleurs que la maîtresse oublie sa mission et se mette à enseigner en dialecte. Quand nous sommes arrivés en France il me fallait apprendre le français du jour au lendemain. J’ai conservé un très mauvais souvenir de l’institutrice qui n’avait aucune considération pour nous. Elle ne voulait rien savoir de notre difficulté à répondre à des attentes que nous ne comprenions pas. Elle avait fait la morale en disant aux autres élèves de ne pas nous parler »
Le départ d’Italie reste dans sa tête. Si le père était arrivé à Saint-Géraud petit village du Lot-et-Garonne depuis plusieurs mois, la tribu serrée autour de la mama découvrait la déchirure que représentait l’abandon de Lestans. « Nous laissions les copains, le reste de la famille, nos repères et nos habitudes ! » ajoute-t-il. Son regard se perd probablement dans les rues pentues et poussiéreuses du village d’alors ;
Arrivés en gare de Marmande la famille récupérée par une charrette découvre que si les conditions de vie au Frioul étaient précaires celles offertes par les propriétaires de Saint-Géraud l’étaient encore davantage. « Nous étions hébergés dans un parc à cochons transformé en logement se remémore Antoine. Lorsqu’il pleuvait nous avions l’eau courante. Elle passait par le toit et traversait en ruisseau notre chambre. Nous sommes vite tombés malades… et c’est ce qui nous a sauvés. Quand le médecin a vu les conditions dans lesquelles nous vivions il a décidé de nous trouver une autre propriété en métayage. » Ce fut un nouveau départ dans des conditions matérielles meilleures pour tout le monde vers Saint-Martin de Lerm.
« Notre sœur avait été placée chez le pharmacien de Monségur. Notre frère Guerino louait ses bras à la journée à droite et à gauche. Nous étions trois à travailler dans les champs avec mon père. J’avais quatorze ans. Un jour il m’a demandé : tu sais compter jusqu’à vingt ? Oui… alors tu iras garder toutes nos vaches l’après-midi. Certaines étaient des vaches tirantes utilisées pour le travail. Je surveillais le troupeau qui pacageait que sur nos terres qui n’étaient pas clôturées et surtout pas chez le voisin. Les Italiens mangeaient déjà le pain des Français si en plus leurs animaux mangeaient l’herbe… » Il n’en dira pas plus ! Aucun regret, aucune émotion, aucun reproche dans la voix d’Antoine. Simplement des images. La famille éclate. Les plus âgés abandonnent la pioche pour la truelle.
Constituée d’une multiplicité de parcelles, la propriété de Saint Martin de Lerm n’était pas assez rentable en métayage. Nouveau départ à quatre. « Nous sommes arrivés à La Sauve à château La Renaardière pour la dernière fois avant la retraite de mon père. Nous étions à la fois métayer et chargé de l’entretien des lieux qui appartenaient à un officier de l’armée, M. Carles. Il a disparu au début de la guerre. Nous ne l’avons jamais revu. Le château et les terres ont donc été vendues à M. Clavières qui fabriquait la fameuse liqueur du Père Kerman et était consul du Chili à Bordeaux. Nous étions bien mais progressivement nous sommes tous partis vers nos vies d’adultes… » Des départs plus ou moins difficiles mais tous réussis… Antoine à 100 ans espère qu’il partira maintenant le plus tard possible même s’il confie qu’il y songe parfois comme une délivrance.
Il tient absolument à préciser son lieu de naissance même si la géographie administrative penche pour la commune de « Sequals » capitale mondiale et de la mosaïque (1) ayant vu grandir un certain Primo Carnera, champion du monde de boxe qui frappait comme un lourd. Son sang reste transalpin. Son cœur est depuis longtemps français. Ses souvenirs appartiennent aux deux pays.
« J’ai très peu connu mon grand frère. Il est parti quand j’avais deux ans en Argentine où mon père était allé tenter sa chance quelques temps. Nous étions tous condamnés à émigrer. » Antoine s’exprime avec une clarté et une lucidité exceptionnelles compte-tenu de son âge. Quelles images défilent dans sa tête ? Les pauses qui ponctuent son récit démontrent qu’il en cherche quelques-unes pour alimenter cette longue traversée mémorielle. Elles sont craquées, en noir et blanc et de très petite dimension mais ô combien précieuse. Son frère Mario (97 ans) les conservent d’ailleurs dans le coffre-fort d’une ancienne petite boite plate en fer blanc. Ces clichés d’une époque révolue évoque toutes le départ !
D’abord il y a celle de l’école italienne avec des dizaines de gamins posant sérieusement pour ce qu’ils ne savent pas être la postérité. « J’y suis allé jusqu’à dix ans explique Antoine. Tout le monde à la maison parlait le frioulan et nous devions apprendre l’Italien comme une langue étrangère. Il arrivait d’ailleurs que la maîtresse oublie sa mission et se mette à enseigner en dialecte. Quand nous sommes arrivés en France il me fallait apprendre le français du jour au lendemain. J’ai conservé un très mauvais souvenir de l’institutrice qui n’avait aucune considération pour nous. Elle ne voulait rien savoir de notre difficulté à répondre à des attentes que nous ne comprenions pas. Elle avait fait la morale en disant aux autres élèves de ne pas nous parler car on ne savait pas qui on était! »
Le départ d’Italie reste dans sa tête. Si le père était arrivé à Saint-Géraud petit village du Lot-et-Garonne depuis plusieurs mois, la tribu serrée autour de la mama découvrait la déchirure que représentait l’abandon de Lestans. « Nous laissions les copains, le reste de la famille, nos repères et nos habitudes ! » ajoute-t-il. Son regard se perd probablement dans les rues pentues et poussiéreuses du village d’alors ;
Arrivés en gare de Marmande la famille récupérée par une charrette découvre que si les conditions de vie au Frioul étaient précaires celles offertes par les propriétaires de Saint-Géraud l’étaient encore davantage. « Nous étions hébergés dans un parc à cochons transformé en logement se remémore Antoine. Lorsqu’il pleuvait nous avions l’eau courante. Elle passait par le toit et traversait en ruisseau notre chambre. Nous sommes vite tombés malades… et c’est ce qui nous a sauvés. Quand le médecin a vu les conditions dans lesquelles nous vivions il a décidé de nous trouver une autre propriété en métayage. » Ce fut un nouveau départ dans des conditions matérielles meilleures pour tout le monde vers Saint-Martin de Lerm.
« Notre sœur avait été placée chez le pharmacien de Monségur. Notre frère Guerino louait ses bras à la journée à droite et à gauche. Nous étions trois à travailler dans les champs avec mon père. J’avais quatorze ans. Un jour il m’a demandé : tu sais compter jusqu’à vingt ? Oui… alors tu iras garder toutes nos vaches l’après-midi. Certaines étaient des vaches tirantes utilisées pour le travail. Je surveillais le troupeau qui pacageait que sur nos terres qui n’étaient pas clôturées et surtout pas chez le voisin. Les Italiens mangeaient déjà le pain des Français si en plus leurs animaux mangeaient l’herbe… » Il n’en dira pas plus ! Aucun regret, aucune émotion, aucun reproche dans la voix d’Antoine. Simplement des images. La famille éclate. Les plus âgés abandonnent la pioche pour la truelle.
Constituée d’une multiplicité de parcelles, la propriété de Saint Martin de Lerm n’était pas assez rentable en métayage. Nouveau départ à quatre. « Nous sommes arrivés à La Sauve à château La Renaardière pour la dernière fois avant la retraite de mon père. Nous étions à la fois métayer et chargé de l’entretien des lieux qui appartenaient à un officier de l’armée, M. Carles. Il a disparu au début de la guerre. Nous ne l’avons jamais revu. Le château et les terres ont donc été vendues à M. Clavières qui fabriquait la fameuse liqueur du Père Kerman et était consul du Chili à Bordeaux. Nous étions bien mais progressivement nous sommes tous partis vers nos vies d’adultes… » Des départs plus ou moins difficiles mais tous réussis… Antoine à 100 ans espère qu’il partira maintenant le plus tard possible même s’il confie qu’il y songe parfois comme une délivrance.
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M’sieur, on est en vacances! Il faudrait peut-être centenaire là et Rigo… ler un bon coup.
C’est passionnant. Je constate que nos assos accueillent tout de même mieux aujourd’hui les migrants, réfugiés des pays en guerre ou soumis à des conflits armés, voire aux exactions et massacres djihadistes, familles de pays pauvres balkaniques en demande de survie et de soins, migrants de la faim et déjà migrants climatiques… et se substituent à l’État (qui a un discours officiel humaniste et humanitaire mais des pratiques réelles assez dures et discriminantes). Italiens pour les années trente, Portugais dans les années 50 et 60 ayant fui la dictature et la pauvreté, Maghrébins des années 60 et 70 (et évidemment les Harkis et leurs familles)… que d’histoires pourraient conter tant de « vieux » (et de vieilles)…
@ à mon ami Bruno
Tu oublies en 38-39 les Espagnols dont j’étais !
Aujourd’hui, nous avons droit à 2 fois Roues Libres… sinon rien !