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Le jour où j’ai perdu le chemin de la pyramide

Il y a soixante ans les vacances scolaires débutaient vraiment mal. Pourtant rien ne laissait présager pareilles situation. BEPC en poche j’avais le privilège de pouvoir aborder la période avec une certaine décontraction. Il restait à attendre le résultat de l’écrit du concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs. Ce n’était guère une priorité puisqu’à l’instigation du directeur du collège j’avais été candidat dans la Seine Inférieure (1). Je n’avais pas eu mon mot à dire. Cet homme au caractère similaire à son accent rocailleux et robuste avait en effet décidé que je devais tenter ma chance dans un département déficitaire.

Cette notion qui semble revenir à la mode consistait dans un rapport entre les candidatures et le nombre de postes ouverts. Pour des raisons démographiques (conséquences de la seconde guerre mondiale) ou « politiques » (présence dominatrice de l’enseignement catholique) ou sociales (conditions de vie) ces territoires étaient plus accessibles. Enfant d’une famille landaise très modeste il avait lui-même effectué sas scolarité à l’E.N. de Le Havre. Il pensait qu’il n’y avait aucune raison que je sois pas attiré par un parcours identique.

Mes parents n’avaient pas absolument été consultés et je pense que ma mère ne souhaitait pas vraiment ma réussite au concours. Elle ne me voyait pas à quinze ans partir dans ces brumes maritimes lointaines. Inimaginable il y a soixante ans que son fils partent à des centaines de kilomètres alors qu’il ne connaissait pas ce qu’était un voyage en train. Simplement le fait d’être reçu à l’écrit et donc la contrainte de m’accompagner à l’oral sur cette terre inconnue l’angoissait. Lorsque le résultat tomba et que le voyage devint une réalité elle se retrouva dans l’embarras.

« Comment veux-tu que l’on aille là-bas ? Je sais pas… ». Elle regarda sur le dictionnaire Larousse de la Mairie la longueur du déplacement qui nécessiterait une montée à Paris, un changement de gare et un second trajet vers Le Havre avec à la clé au moins trois ou quatre nuits à l’hôtel. Elle décida donc que je n’irai pas sans prévenir le directeur. Je revins donc au collège sans rien dire pour préparer le grand rendez-vous de l’année : la kermesse de fin d’année. Tous les après-midi les répétitions mobilisaient des dizaines d’élèves.

Le clou de ce jour où tout a basculé, le 9 juillet 1962 devait être l’érection de la pyramide humaine à trois étages qui succédait à un lendit millimétré. J’ai encore en mémoire le claquement devant être absolument parfait des mains sur les cuisses de ces lignes de garçons classés par taille en short bleu et chemisette blanche. Le mentor impitoyable de cette présentation se réservait le droit de choisir l’élève qui occuperait le sommet de son assemblage humain. C’était une sorte de consécration qu’il réservait je le crois à l’un de ses protégés ayant eu un parcours aussi proche que possible du sien… et je fus donc désigné. Un honneur dont je me serais bien passé !

Le vendredi la pyramide se construisit sans problème. J’en conclus que le samedi ne nécessitait pas ma présence. Ce jour-là bien évidemment les cours étaient neutralisés et il me fallait revenir en début d’après-midi avec mon Solex pour grimper sur le dos des copains. Un risque que je craignais moins que la question directoriale me demandant si j’étais reçu à l’E.N. de Le Havre…puisque la convocation étant arrivée à la maison il n’en savait rien. Je décidais donc de ne pas participer à l’ultime répétition.

Direction un étang merveilleux dans la forêt sadiracaise où le gardon foisonnait. J’avoue que le BEPC en poche et la certitude que je ne quitterai pas le giron familial me réjouissaient et me rendaient insouciant. Lorsque j’entends dans le lointain la voix de ma mère tentant de me convaincre de vite rentrer… je pense que la situation devient compliquée. Dès mon retour elle m’informe que le directeur a téléphoné pour connaître la raison de mon enfance qu’elle n’a pas pu expliciter.

« Je passerai ce soir… » avait-il annoncé. Et il le fit. Le réquisitoire fut sans appel devant ma mère médusée : «  quand on prend un engament on le respecte. Tu n’as pas tenu parole, et tu as abandonné tes copains. C’est inadmissible… et je ne te reprendrai pas l’année prochaine au collège. » Impossible de lui avouer que je n’avais pas respecté l’autre engagement pris avec « sa » candidature à Le Havre (2). « Inutile que tu viennes demain. Nous n’avons pas besoin de toi. Tu n’as pas de parole.  Au revoir» 

Un ouragan s’était abattu sur le secrétariat de la Mairie laissant tout le monde pantois. N’ayant effectué aucune démarche puisque je devais retourner au collège pour préparer le concours de l’école normale je me retrouvais sans avenir… le lendemain je n’allais pas à la kermesse. Inutile de préciser que les vacances furent moroses et compliquées. La leçon était dure et m’a profondément marqué. Plus de soixante ans plus tard je continue à penser à ce que représente un engagement !

Le directeur accepta après bien des péripéties et une mémorable leçon de morale à me reprendre deux jours après la rentrée 62-63 en exigeant de moi un travail assidu qu’il contrôlerait chaque semaine. Je fus reçu cette fois en Gironde. Il ne me dit pas un mot. Si je n’étais pas allé à la pêche en aurait-il été ainsi ?

  1. Devenue la Seine Maritime

  2. Tous les jours je passe devant l’un de ses tableaux qui représente une rue de Le Havre avant la seconde guerre mondiale… je suis le seul à en posséder un.

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Cette publication a un commentaire

  1. A. Blondinet

    Un directeur d’école qui appelle une maman pour connaitre la raison de son enfance à son fils (cf. paragraphe 7); ça j’avoue que c’est pas banal!
    C’était une petite « chambre ». A air, bien sûr.
    Bisous mon grand!

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