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Plus que jamais la transmission reste essentielle

Au cours des rencontres autour de mon roman « Les 9 vies d’Ezio » (1) j’ai croisé de très nombreuses personnes m’ayant confié de passionnantes ou déchirantes histoires relatives à leur vie de descendant(e)s d’immigrés italiens. Plus d’une centaine de critiques de tous les horizons m’est parvenue sous forme de mails ou de courriers et j’espère après chaque cession d’un livre que j’aurai des réactions me persuadant que toute transmission constitue une nécessité. Nous sommes en effet toutes et tous porteurs de parcours passionnants, susceptibles de servir de références pour les générations actuelles. En renonçant à « raconter » nous nous condamnons à accepter que la poussière grise de l’oubli recouvre l’avenir.

Chaque personne qui attend patiemment que j’ai terminé d’échanger avec un(e) ami(e) vient me confier quelques bribes du parcours de son grand-père, sa grand-mère ou plus près de nous de son père ou de sa mère. Tout à coup en écoutant la présentation d’une autre vision de l’immigration elle a perçu l’importance du témoignage. Les héros du quotidien existent en effet pour peu que l’on sache les reconnaître et leur donner leur place méritée dans le puzzle social que constitue toute nation. Vous êtes, vous-mêmes par votre enfance, par votre métier, par les circonstances de votre vie, par vos réussites et vos échecs, par vos engagements, un témoin utile au moins à celles et ceux qui vous entourent. L’ignorer c’est manquer une opportunité de devenir un passeur de mémoire. 

Hier par exemple est décédé Elie Buzyn, l’un des derniers rescapés de la Shoah pris d’un malaise après une conférence extrêmement émouvante et passionnante selon ses proches qu’il avait donnée devant un groupe de jeunes. Rescapé du camp d’Auschwitz (Pologne) né en Pologne le 7 janvier 1929, avait été arrêté en août 1944 dans le ghetto juif de Lodz où sa famille était parquée. Après la guerre, il s’était longtemps tu, mais s’est ensuite employé à transmettre la mémoire de la Shoah. Il appelait les jeunes à être « des témoins des témoins » et avait accompagné des groupes scolaires chaque année. Pour paraphraser une proverbe que l’on dit africain avec sa mort c’est vraiment une bibliothèque du réel qui disparaît comme avant lui le dernier soldat de la guerre 14-18, l’un des ultimes Compagnon de la Libération ou un jour le dernier harki ou le dernier appelé ayant combattu en Algérie. 

Nous avons toutes et tous de vrais regrets à ne pas avoir pris des notes, enregistré ou filmé des scènes, des rencontres, des témoignages, des évènements dont on ne mesure l’importance que beaucoup plus tard. Une psychologue spécialisée dans l’accompagnement des « mutations culturelles » me confiait que très souvent, sous l’influence de la troisième génération que l’on retrouve les racines. Les petits-enfants ou arrières petits-enfants deviennent, selon elles, les ferments du retour sur le passé. Malheureusement l’éclatement familial ou l’éloignement géographique empêchent que cette recherche du « temps perdu ou ignoré » alors qu’elle revêt une importance capitale.

Lors des journées italiennes du village gardois de Saint Géniés de Malgoirés, le réalisateur François de Luca a présenté par exemple un film documentaire sur la saga de sa famille calabraise en mêlant des images emmagasinées depuis quelques décennies à celles des actualités trouvées dans les archives. Son voyage « retour » sur les traces de ses grands-parents partis il y a près de 70 ans de leur entourage familier m’a élu aux larmes. Aucun message « politique » mais une réalité poignante. Le témoignage d’un vieil italien racontant avec sérénité et humour dans un mélange linguistique émouvant, la douleur du départ et les difficultés de son intégration a bouleversé le millier de spectateurs présents. « Les Français disaient que nous venions manger leur pain confiait-il en souriant. Les pauvres ils ne savaient pas que nous ne mangions pas de pain ! » Cette phrase a plus de poids que toutes les diatribes contre le racisme car il résume l’absurdité des idées toutes faites qui colonisent les esprits fragilisés par le manque de culture.

Faute de transmission nous avons appauvri les mémoires modernes et nous les avons persuadés que les idées obscurantistes n’ont jamais existé. Réhabiliter le travail, redonner du sens à l’importance de la réussite par la mérite, remettre de l’humain sous des mots abstraits, illustrer des valeurs ordinaires mais essentielles : la transmission contribue à la construction de ceux qui en reçoivent les messages. Ne rêvons pas elle ne changera pas la volonté actuelle de gommer le passé qui dérange mais elle sème parfois le doute tellement absent du monde actuel. Un rôle précieux que nous devrions tenir sans passer pour un(e) ringard(e), un(e) passéiste casse-pieds ou un vieux gaga obnubilé par son passé. Soyez les éclaireurs du chemin autant que vous le pouvez tellement il me semble dangereux pour les mémoires courtes.

(1) Toujours disponible sur www.jeanmarie-darmian.fr avec la rubrique « Ezio et vous » que vous pouvez y découvrir ainsi que sur toutes les plateformes de vente en ligne. 

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Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    « Nous sommes en effet toutes et tous porteurs de parcours passionnants, susceptibles de servir de références pour les générations actuelles. »

    Encore faut-il trouver un auditoire disposé à vous écouter et à ne pas vous considérer come un vieux machin radoteur, retraité profiteur et nostalgique d’un âge d’or, des réputées plus ou moins à tort supposées Trente Glorieuses, ou tout était facile et ou régnait l’abondance, le confort, l’insouciance.
    Tout était « Ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté. »
    Heureusement certains ont la chance de pouvoir communiquer, mais ce n’est pas le cas de tout le monde .

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J
      Je partage…

  2. Laure Garralaga Lataste

    Pour prolonger cette conclusion pessimiste j’ose ajouter : voilà pourquoi, quand on le peut, il ne faut jamais hésiter d’écrire ses Mémoires… :
    1- « la déchirure ». 2- » Traumas de los niños de la guerra y del exilio », 3- sa traduction en français, « Enfants de la mémoire », 4- écrit en français malgré le titre en espagnol « el cóndor libre », 5- « un combattant dans la Retirada ».
    Et de 6 en cette année bien troublée ! ? … »Bordeaux 1940-1945, cinq années de plomb ».
    Quant au 7e plaisir, le voici : « le cri de poésie »… un petit bonbon à déguster tendrement.

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