Le cochon enveloppé dans le linceul blanc de sa propre peau ne traînait pas sur la table où il avait été déposé afin de lui raser les dernières soies qui auraient résisté dans des endroits cachés aux raclettes des préposés à sa toilette post-mortem. Il était en effet hissé au palan pour être partagé au hachoir ou à la hache en deux parties égales. Il suffisait au dépeceur de suivre la colonne vertébrale avec des petits coups secs et fermes. Cet exercice nécessitait adresse et force comme tout le reste de la découpe. Chacun avait sa technique et son tour de main.
Scies, couteaux à découper ou à désosser, tranchoirs ; les outils jouaient un rôle essentiel. D’ailleurs celui qui avait en charge cette partie préalable à la mise en cuisine du bestiau, œuvrait dans les jours précédant la mise à mort, à aiguiser au mieux ses auxiliaires de travail. Il mettait même un point d’honneur à ce qu’il n’y ait aucune piqûre sur le métal, que ce dernier luise parfaitement et que le fil des lames soit similaire à celui d’un rasoir. La qualité de la découpe dépend de ces préalables.
Les jambons arrières étaient détachés de la victime du petit matin. Il fallait aux praticiens respecter parfaitement les articulations et surtout de les tailler de manière identiques avec une face plate. Débarrassés des pattes desquelles avaient été détachés les ongles avec un crochet ils étaient soupesés et pesés sous l’œil attentif de la bande des complices de la mort du porc. C’étaient en quelque sorte les « trophées » dont on lâchait le poids lors des conversations au bistrot. Les pattes avant suivaient avec un sort moins glorieux. Elles ne fréquentaient pas forcément le saloir.
Bien évidemment, le cochon ne faisait plus la tête puisqu’elle était décolletée et dépouillée de la langue, des oreilles qui entraient dans la composition des différentes préparations dont on se transmettait les secrets de génération en génération. Toutes portaient un nom différent d’une région à une autre et même d’un territoire à un autre. La cuisine des petits tas de viande débutait après que les morceaux de choix aientt été soigneusement découpés au plus près des os.
L’urgence des dames réquisitionnées se situait dans l’utilisation du sang. Les boudins n’attendaient pas. La sale besogne de nettoyage des boyaux avec la récupération des abats devenait donc urgente. Comme il était aisé de l’imaginer la plongée dans la merde n’attirait pas les vocations. Lavées à grande eau, en prenant toutes les précautions pour ne point les percer les tripes finissaient étendues sur un bâton pour s’égoutter. Aller vite ne supposait pas l’absence de précautions sanitaires : on ébouillantait toutes les composantes.
Les dosages en assaisonnement, en oignons, en sang et en chair se décidaient à l’expérience. D’ailleurs on jugeait la cuisinière à la qualité de ses boudins. Cuits dans un bouillon largement aromatisé, bourré de carottes fraîches, de poireaux, de légumes selon les objectifs culinaires de la maison. On s’en servira pour la jimbourra ou le pire, cette soupe que l’on dégustera très épicée dès midi ou en soirée quand après une longue journée aux fourneaux on partagera le plaisir de la table. On en profitera pour apprécier les premières productions car les boudins doivent se consommer très vite. Ils serviront même de récompenses pour les « aides » venus participer à cette mis en pâtés, en saucisses, saucissons ou en gratton. Le reste finira en grappes dans une réserve pour sécher.
On ne dépèçait pas le porc sans filets. Il y avait le mignon qui supposait de la part de celui qui le détachait une parfaite connaissance de l’anatomie musculaire de la bête. Toutes les mises en pièces essentielles terminaient après de longues cuissons dans des récipients odorants, dans une carotte, sorte de récipient en grès verni, que l’on remplissait de graisse blanche, douce et fine. Ces confits servaient dans les agapes familiales tout au long de l’année. Ce cochon qui dormait au cœur de cette épaisse couche immaculée dépannait en toutes circonstances.
Mon père avait sa spécialité : la ventrèche roulée qu’ailleurs que chez nous on appelait la poitrine roulée. Après avoir bien salé et poivré la viande fraîche, doté d’une force manuelle exceptionnelle il roulait le morceau le plus serré possible pour le ficeler. Il le suspendait ensuite au courant d’air pour le faire sécher durant plusieurs semaines. Cette spécialité rappelait la pancetta italienne mais avec des couches de gras beaucoup plus épaisses. Il suffisait de se tailler une tranche, de la déposer dans une poêle avec deux œufs brouillés pour que le dîner soit de gala.
Toute mon enfance a été marqué par ces journées exceptionnelles où toute la famille se rassemblait autour de la mort du cochon le transformant en porc ce qui est beaucoup moins poétique. La diététique n’existait pas. Les graisses saturées ou non, ne posaient aucun problème. Les additifs n’existait pas. Nul n’était malade de consommer des conserves faites maison ou de la charcuterie naturelle. La cochonnaille sans cochonneries me manque parfois.
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La cuisine du cochon comportait toutes sortes de traditions locales, on n’n finirait pas de toutes les décrire. D’ailleurs deux de mes regrettées collègues avaient fait un beau travail de recherche et d’édition avec l’ouvrage : « Le goret,… en vous respectant(quand on parle de cochon, il faut toujours ajouter cette formule de politesse, ou « sauf votre respect »), publié par le CDDP16.
Dans un village où j’ai exercé, on surveillait la cuisson des boudins dans le « bouillon rouilloux » fortement épicé et enrichi en divers légumes. Et il fallait compter le nombre de boudins ayant éclaté en cours de cuisson, ce qui arrivait parfois. Ce nombre fatidique, selon les coutumes locales, correspondait , selon la légende, au nombre de cocus dans la commune.
Ensuite il était traditionnel de déguster, dans une assiette à calotte, le bouillon de cuisson et pour le faire « passer », faire un bon « chabrol » ou « godaille », selon la région.
Bonjour J-M !
Toujours dans la cuisine du cochon ! D’ailleurs, à une époque où le réchauffement climatique n’était point l’inquiétude primordiale du gouvernement, c’était souvent par des journées fraîches comme aujourd’hui que se déroulait l’opération « reconstitution des réserves alimentaires » !
Certes, certains mets avaient une durée de vie très courte comme ce plat que tu nous a oublié et qui se servait au premier repas des cuistots. Allons, J-M, secoue ta mémoire … tu ne vois pas ? Pourtant, je la sens encore ! Ah! Ça y est … Tu l’as: la fricassée, bien sûr ! Un régal de friture ( un peu grasse ! ) à base de poumons et de cœur, qui suivait souvent une bonne assiéttée de soupe de légumes du jardin ! J’en ai encore les papilles qui frétillent ! ! ! ! !
Il y avait aussi ces deux petites piéces appelés morceaux du boucher que le tueur se faisait préparer en priorité et dont il régalait ses assistants à l’heure du casse-croûte !
C’était hier …euh…avant-hier, à une époque où l’on mangeait du bio tous les jours sans le savoir, où » écolo » n’était pas arrivé chez Larousse ( exemplaire de 1913: ni écolo, ni écologie ! ! !) et BFM, Cnews et autres ne nous conditionnaient point sur les merveilles de l’écologie ! Heummm ! !
Encore MERCI J-M de maintenir éveiller notre mémoire … à transmettre aux d’jeuns même si nous sommes des vieux c…s ! ! !
Amicalement
Bonjour,
de retour d’un pays ou le khinzir ou halouf n’a pas droit de cité, je me dépêche de cuisiner une échine de porc aux lentilles blondes.
La saint cochon ici nommée la saint « caillon » à lieu chaque année au foirail de Bourg en Bresse le premier dimanche de février. Une belle tradition au service du goût des bonnes choses bien faites avec amour. Combien d’histoires ai-je entendu de la bouche de mon vieil ami récemment disparu contant ses épopées de charcutier partant les matins d’hiver sur son vélo lourdement chargé des instruments de supplice. Des très longues journées d’un travail harassant ajoutées à son travail d’ouvrier verrier pour satisfaire la demande de ses clients ayant chacun leur propre exigence dans la confection des morceaux de la victime. Les maisons bourgeoises retenaient les dates de ses disponibilités d’une année sur l’autre il était reconnu et apprécié, même si il refusait souvent les caprices de ces beaux messieurs. Son désespoir était immense de constater les ravages de la charcuterie industrielle sacrifiant le goût et la qualité sur l’autel du profit. Décrivant la larme à l’œil le temps passé à fabriquer l’andouillette tirée patiemment à la ficelle ou les montagnes d’oignons épluchés et découpés. Sans oublier le précieux bouillon de cuisson des charcuteries qui concentrait les arômes en étant simplement écumé chaque jour avant la mise au froid. Tout ce savoir-faire est maintenant oublié, perdu à jamais !
pour ceux qui, curieux, veulent entendre le patois Dombiste/ Bressan un petit podcsat sur la saint cochon ( caillon comme disait mon beau-père):
https://www.rcf.fr/culture/les-langues-se-delient?episode=340074
Vous pourrez constater que le bien être animal rejoint la qualité, sans oublier que sacrifier une bête est un exercice où il faut éviter de stresser l’animal pour que sa chair soit la meilleure possible.
Aujourd’hui les défenseurs de la cause animale font tout pour torpiller ces rituels qu’ils jugent barbares préférant peut être l’abattage industriel avec son épais voile de secrets hypocrites où la disparition de la consommation de produits animaux.
Dans ce dernier cas, il condamnent à la disparition ces espèces dites domestiques, car qui élèverait une vache, un cochon ou un mouton pour uniquement le regarder vivre? Que serait alors la nature sans ses animaux qui peuplent nos campagnes ? Une vaste étendue de champs cultivés sans pâtures avec de ci de là des fermes engraissant les insectes pour nourrir les milliards d’humains sans âme ni histoire… En attendant que l’on découvre que le cafard ou la blatte peuvent s’apprivoiser pour émouvoir à travers des vidéos diffusées sur Tic-toc, il faudra alors s’en passer aussi.
Bon dimanche
Bonsoir @faconjf !
Bon retour parmi nous après cette escapade au pays des hiéroglyphes et des pyramides secrètes: « les voyages forment la jeunesse » et un senior actif est toujours jeune… même si on le gratifie généreusement de « vieux con » ! ! !
« Une vaste étendue de champs (non-)cultivés sans pâtures avec de ci de là des fermes engraissant les insectes … »
La récente expérience d’octroi de subventions pour arrachage d’une partie du vignoble bordelais ( … pour l’instant! ) nous laisse entrevoir cette dangereuse issue néfaste pour l’ Économie et la célèbre Balance Commerciale. Recréer la forêt moyenâgeuse est certes beau pour le farniente et la peinture mais ce sera « des jeux et … pas de pain ! ».
De plus, on occulte ou on ignore VOLONTAIREMENT que l’Agriculture est le seul secteur qui crée de la Valeur par multiplication, ce qui devrait ravir Bercy et sa valise de 3000 milliards de dettes. Mais ce pouvoir est trop dangereux pour les énarques dépensiers sans vergogne ! !
Tiens donc,@facon jf, bizarre comme, partis du cochon, on peut arriver à l’Économie ! ! !!!!!!!
Bonne soirée.
Amicalement
@ François
Hélas dans notre monde
bien souvent immonde
En tous pays et en tous lieux
Il n’existe qu’un seul dieu
mais quel est son nom ?
Nous l’appelons POGNON $$$$$$$$$
Pour sauter du cochon au canard et pour faire le lien avec l’argent, citons Picsou, le canard qui se vautre dans son tas d’or, s’y enfouit, y fait des plongeons et en tire une satisfaction intense. Dans le monde fictif de la bande dessinée et de Disney, c’est la créature le plus riche du monde.
L’histoire de ce Picsou est intéressante : son créateur américain Carl Barks le fait naître en 1947, sous le nom de Scrooge MacDuck. Ce nom lui vient d’un autre personnage, celui que Charles Dickens donna en 1843 au protagoniste de son Conte de Noël, Ebenezer Scrooge, un être cupide, cruel, méprisant, indifférent à l’égard de son employé qu’il exploite et terrorise sans scrupule, jusqu’à le priver, lui et son petit garçon malade, d’un prêt qui lui permettrait de célébrer dignement Noël. Dans le Conte, avant de recevoir la visite de l’esprit de Noël qui va lui faire réaliser la noirceur de son caractère et lui faire honte, Scrooge est l’archétype à la fois des inégalités économiques, des injustices sociales et de l’inhumanité, lui qui va jusqu’à dire que les pauvres sont des hommes de trop et feraient mieux de mourir. Ne confondons pas avarice et cupidité. L’avare, dont la passion est triste, résiste à la dépense de l’argent qu’il possède, tandis que le cupide en cherche toujours plus. Parfois, ces deux rôles s’incarnent dans un même personnage ; c’est le cas de Harpagon de Molière, à la fois un avare qui enterre ses pistoles, et un cupide qui recourt à tous les moyens, notamment à l’usure et au négoce, pour augmenter toujours plus sa fortune.
Voila qui complète le bestiaire autour de sa majesté pognon et en économie il y a beaucoup de cupides.