Peut-on avoir un avis divergent de celui massif et réputé franc porté par la très grande majorité des médias sur les manifestations monstres autour de la liberté d’expression ? J’en doute car c’est forcément tenter d’imposer une voix fluette dans le tintamarre des fanfares républicaines. Durant ces derniers jours j’ai assisté à une bonne dizaine de cérémonies au cours desquelles on présentait des vœux pour 2015 et c’est l’opportunité de vérifier quel est vraiment l’état de l’opinion. Du département au plus petit des villages ces moments rassemblent en effet des gens de tous les horizons venus non pas pour témoigner leur attachement à un principe républicain mais plus prosaïquement pour se joindre à une manifestation habituelle. Avec le recul des années antérieures et un brin d’observation on peut aisément se faire un avis différent de celui qui est distillé institutionnellement. D’abord alors que l’affluence a été exceptionnelle pour « je suis Charlie » le constat est moins optimiste pour la participation aux cérémonies de proximité. La fréquentation de ces instants est en effet beaucoup moins probante.

Le désintérêt grandissant pour tout ce qui a un caractère ordinaire collectif devient extrêmement préoccupant. On sent bien que « maison, gazon, télévision » devient le triptyque essentiel qui guide la vie d’une grande majorité de Françaises et de Français. Si plusieurs millions d’entre eux sont allés dans la capitale ou les grandes villes témoigner de leur indignation face au crime terroriste organisé on doit se rappeler que ce ne sont qu’environ 4 % de la population et moins de 10 % du nombre des électrices et des électeurs. C’est déjà faramineux que la France retrouve un tel niveau de citoyenneté agissante alors qu’il y aune huitaine de jours elle était dans le désintérêt quasi total pour la vie publique. Voir ces foules motivées, solidaires, enthousiastes, progressistes, partageuses, familiales, il est difficile de ne pas se souvenir qu’il y en eu, dans les mêmes lieux ou très proches d’autres intégristes, agressives, clivantes, réactionnaires, injurieuses. Elles furent encouragées et soutenues par quelques-uns des ardents défenseurs de Charlie mais ce n’est qu’un détail.  Comment l’oublier ?

Dans les salles de fêtes on retrouve dans certains regards au moment où les élus tentent de se sortir de l’ornière de ces événements affreux que le sentiment d’une République bafouée devant réunir ses forces n’est pas nécessairement partagé. La minute de silence cache souvent justement celui que s’impose celles et ceux qui veulent bouffer de l’arabe confondu sans aucun problème avec le musulman et avec le fanatique ! Ils existent et si l’on tend l’oreille autour de la table du Crémant et de la galette briochée on les retrouve aisément. Ils resurgiront dans quelques semaines au moment de choisir le bulletin de vote aux cantonales car eux iront aux urnes alors qu’il n’est vraiment pas certains que les millions de participants aux manifestations usent de leur… liberté d’expression.

Magnifiques, splendides, émouvants ces rassemblements dans l’intérêt de la République dont scrutin après scrutin on sape pourtant les bases légitimes risquent d’être éphémères comme des fleurs de coquelicots poussées naturellement. Il faudra des très longs efforts pour leur redonner une vie plus longue ! Dans ces soirées des vœux où les maires ou les présidents énoncent leur bilan (les anciens) et surtout s’emballent sur leurs projets (les nouveaux) on ressent en effet une méfiance générale à l’égard de la parole publique. La semaine écoulée aura peut-être restauré cette confiance dans le Président et donc dans les prochaines semaines les « politiques » seront peut-être un peu moins dézingués. Jamais depuis que je bourlingue d’escale communale en escale communale je n’ai évalué une telle distance avec les discours nationaux s’ils sont convenus. L’occasion est pourtant belle de remettre sur le devant de la scène les valeurs républicaines mais elles ont beaucoup perdu de leur impact. Dès mercredi avec la reprise des séances théâtrales télévisées à l’Assemblée nationale on retombera dans les « querelles pricrocholines » dont raffolent tant les médias actuels pour justifier leur liberté d’expression.

La ronde des vœux va reprendre. On se souhaitera une « belle et heureuse année » comme pour exorciser ce début cataclysmique de 2015 ! On continuera à espérer que les événements s’estompent d’eux-mêmes afin de ne pas avoir de décisions fortes à prendre. Certains ne baisseront pas le regard et au contraire sortiront vite de leur engourdissement idéologique passager…pour combattre la liberté et la fraternité et espérer que les millions de citoyens révulsés un jour ne le soient pas toujours ! D’ailleurs il suffit de revenir au 1° mai 2002 et mesurer combien les manifestations exceptionnelles doivent rendre méfiant car elle s’évaporent avec l’émotion.

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