Dans cette église dépouillée d’un village discret du ventre de l’Entre-Deux-Mers Don Balaguer aurait pu célébrer l’une de ses trois messes basses. Il n’aurait probablement pas apprécié la sobriété de ce lieu juché sur l’un de ces mamelons verdoyant où seuls la Mairie, l’école, la coque de noix d’un édifice à fronton laissant la volée d’un unique cloche envahir l’air, se dressent pour constituer le fameux triptyque d’un village qui n’existe pas. Ça sent la terre humide et la ruralité profonde. Ca fleure bon la sincérité.
Exceptionnellement la lourde porte de la bâtisse religieuse a été ouverte. Elle ne l’est plus que pour des événements exceptionnels. Aujourd’hui il accueille la dépouille de l’un de ses anciennes ouailles destiné à une dernière demeure installé tout près de là dans un cimetière ouvert aux quatre vents sur le monde du silence. L’assistance emmitouflée chuchote ou se salue d’un geste de la tête sans mot dire.
La charpente apparente de l’église donnant directement sur une volige plus récente a plusieurs siècles. Elle est d’une simplicité qui ne saurait être dans une église que biblique. Un agencement ,ne recélant probablement aucun secret, aucun matériau sophistiqué puisque toutes les pièces semblent tirées de la forêt voisine. Des essences différentes repérables à leur couleur dénote qu’elle a été assemblée avec ce qui était disponible. Aucun effort de beauté standard. Elle me fascine pendant que se déroule l’office. Facile d’imaginer ces hommes des bois travaillant chaque pièce à la main pour constituer cet ensemble dépouillé mais complexe , robuste mais fringant mettant un ciel sommaire mais protecteur au-dessus de la tête des fidèles.
Le talent de ces charpentiers résidait dans leur capacité à tirer le maximum des maigres moyens que leur offrait leur environnement. Aucun d’eux ne revendiquait le statut de bâtisseur de cathédrale car leur royaume ne leur permettait pas ce rêve. Aucune possibilité pour eux de recourir à ces chênes de longue futaie qui servaient aux charpentes de prestige. La leur, émouvante de sobriété n’en est pas moins splendide, fascinante par son équilibre. Facile de les imaginer prélevant dans la forêt les grumes solides mais imparfaites sans devenir inutilisables, de les tirer avec des chevaux pour les travailler à scie de long, à l’écorçoir ou à la plane.
Ces poutres maîtresses quasiment brutes portent le poids le poids d’une histoire que je ne connaitrai jamais. Légèrement retaillées, frustres, elles semblent se tordre de douleur à la fois en raison des entailles que leur ont infligées les nécessaires ancrages des supports en épis ou en triangle. Des cales rattrapent les différences de niveau liées aux courbures de cet arbre mort pour que l’église prenne vie. Le tronc n’est pas dans les murs mais au-dessus des têtes de l’assemblée. Tout semble bricolé alors que les artisans ont déployé un savoir-faire fruit d’une transmission séculaire.
Comme les gens sont de moins en moins habitués à lever les yeux au ciel pour y chercher le réconfort, les charpentes déjà peu visibles ne suscitent plus leur intérêt. Toutes similaires, toutes rectilignes, toutes fragiles, toutes industrialisées elles n’ont pas un grain d’humanité. Elles ne résisteront pas à l’épreuve du temps. Les poutres comme celles de ce nid où se sont construites tant de branches de vie aussi robustes que celle de la personne accueillie là dans le chœur, ont un âme. Elles portent les cicatrices de l’usure du temps, les traces des attaques des parasites, les gerçures d’une exposition à toutes les avanies climatiques qui les ont persécutées. Elles-aussi ont su résister aux aléas de leur destin sans jamais fléchir..
Elles en ont tellement entendu : les prières plus ou moins maladroites, les incantations ostentatoires, les promesses d’amour éternel, les larmes des douleurs profondes, les cris des bambins ne goûtant pas à l’eau fraîche de leur entrée en religion, les possibles rires de joie. Désormais elles baignent dans le silence et l’indifférence. Inaccessibles car juchés au sommet des murs ayant eu besoin de rénovation car imprégnés par l’humidité du sol, ces supports indispensables à l’édifice s’affichent dans leur nudité originelle.
Impossible de ne pas les associer en levant les yeux et en écoutant à les derniers mots posés avec sérénité et sincérité par le fils du défunt, lui même travailleur du bois, à son papa qui repose sous elles. Les pieds dans la terre ingrate de l’Entre-Deux-Mers ce dernier y a grandi pour pas à pas, s’élever vers un statut conforme à ses souhaits. La mort l’a emporté après neuf décennies parmi la forêt des hommes. Le silence habillait ses actes et son parcours modeste mais réussi. Dans le fond, la poutre lui ressemble. A moins que ce ne soit l’inverse.
Dans un monde des apparences, de l’exceptionnel, de l’insincère, de l’ostentation, de la grandiloquence cette similitude a quelque chose d’émouvant, de poignant. La pérennité de l’authenticité des démarches humaines rude, exigeante, constructive perle dans cette église « entre deux mers » où l’on est sensé passer d’un monde à l’autre. Les lourdes portes refermées le silence a envahi l’église pour une durée indéterminé…Le froid traverse les vêtements pourtant prévus l’endiguer. Une histoire simple prend fin. Les poutres inanimées ont une âme c’est sûr.
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Ces lourdes poutres ne disent pas qu’elles avaient parfois séché des dizaines d’années avant de trouver une place stable dans une charpente.
Une époque où on savait prendre le temps pour construire, et où on ne batissait pas des maisons qui se fissurent à la moindre sécheresse.
@ à mon ami Philippe…
« Une époque où on savait prendre le temps… » de faire bien !
La vitesse n’est-elle pas la pire ennemie de l’être humain… ? !
Des hommes et des femmes durs et dures à la tâche… devenus.es rares aujourd’hui !
Et cette référence à Lamartine : « objets inanimés avez-vous donc une âme et la force d’aimer… ? »
Dans l’accumulation de tout ce que les hommes construisent, y -a-t-il quelque chose de plus beau qu’une charpente (une vraie charpente, pas ces machins en 4×8 ou 4×12 que l’on monte maintenant sur les maisons), que ce soit une charpente élaborée, un chef d’œuvre de grâce et d’ingéniosité, de savoir faire (je pense à celle de la salle des pas perdus du palais des Ducs d’Aquitaine à Poitiers) ou par exemple ces charpentes rurales, les « cruck charpentes » par exemple, témoignage d’une rare ingéniosité que l’on trouve parfois en Limousin, et montées par des artisans qui savaient faire non pas flèche mais charpente de tout bois.
Les unes comme les autres, je passerais des heures à les contempler.
Pour moi c’est la suprématie de la matière vivante et périssable du bois, opposée à la froideur minérale de la pierre.
Et dire que moi, qui suis né un 25 décembre, mon papa n’était pas charpentier mais instit’!
@ à mon ami christian…
Je sens comme un peu de la nostalgie… ! Réjouis-toi au contraire puisque tu multipliais tes cadeaux par 2… ceux du vrai et ceux du faux !