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Un lien fragile avec l’Italie vient de se rompre…

La nouvelle est arrivée en ce matin de Pâques. Elle venait de la banlieue milanaise, là-bas où vit la branche diverse et florissante des Darmian montés un jour à la ville depuis San Stefano di Zimella près de Vérone. Gesuina, la dernière cousine germaine de mon père Eugène, ma tante Claire et mon oncle Mario, a abandonné cette terre. Repère authentique de nos racines italiennes elle maintenait encore il y a quelques mois alors que sa mémoire était vive, un lien ténu et fragile entre les générations, une sorte de cordon ombilical avec le pays de mes grands parents. Elle connaissait les recoins et les évolutions de l’ une de ces familles éclatées sous l’influence de paramètres échappant à son contrôle. Elle constituait un point d’ancrage auquel nous pouvions lors de chaque trop rare escapade italienne des uns et des autres, nous arrimer afin de ne pas dériver vers l’indifférence à l’égard de nos origines.

Dotée d’un caractère volcanique, d’une faconde transalpine décapante, d’un dynamisme à toute épreuve Gesuina régnait sur un clan solidaire lui vouant un respect attentif et permanent. Elle aimait tout ce qui de près ou de loin était un Darmian, bien qu’elle n’en porte pas le patronyme. Cette dame au grand cœur était notre Madone, celle qui effaçait les peines, qui partageait les rires et qui tenaient plus que tout à offrir des bonheurs simples à toutes celles et et tous ceux qui l’entouraient. Son secret pour entretenir la solidité de son univers reposait sur la table ! Pas un Darmian passé par chez elle n’a pas conservé un souvenir émerveillé de ses talents de cuisinière.

Les senteurs, les saveurs, les couleurs d’Italie enchantaient ses plats. Elle n’en produisait jamais assez. Son fameux « mangia! mangia tutto! » résonne encore dans les têtes des invités que nous étions. Son regard noir accentuait l’ordre comminatoire de finir les antipasti et tout ce qui suivait. Gesuina se fâchait si par hasard un convive rassasié ou peu habitué à l’exercice du menu à rallonges italien, calait au moment où s’étalaient devant lui une kyrielle de gâteaux qu’elle avait préparés depuis l’aube. J’ai souvenir que lors d’une visite où je fus discrètement convié à découvrir dans une pièce du sous-sol de sa vaste demeure, quelques dizaines de « dolci » qui nous attendaient… Une débauche pâtissière à effrayer Gargantua !

Les repas chez elle ressemblaient à la Cène où une femme aurait le premier rôle. Elle trônait au milieu de toute la famille, dispensant une remarque agréable ou acide, accélérant le service ou houspillant les mangeurs prudents.. Cette cousine italienne jusqu’au bout de ses mains agiles, plongeait son entourage permanent ou occasionnel dans un creuset où se fondait l’or des relations familiales authentiques. TousLe  les visiteurs repartaient heureux, soudés, imbibés d’amour et de vin. Elle était de cette génération, celle de mon père qui avait parfois manqué de l’essentiel et qui souhaitait en offrant le superflu aux autres, effacer de sa mémoire ces moments douloureux.

L’âge avançant, les aléas de santé se multipliant, l’éloignement et la complexité des déplacements n’aidant guère, les liens se sont distendus. Le bain d’italianité est devenu artificiel via les réseaux sociaux. Il en va ainsi des flux d’immigration. On s’habitue à oublier.  Après la troisième génération des « partis pour un monde qu’ils espéraient meilleur » il devient difficile de trouver un intérêt aux racines de ses origines. Je le comprends. « L’esprit Gesuina » venu d’une autre époque s’est dilué avec le temps et la distance mais il demeure en moi les images des moments partagés et elles sont inestimables. Elles font en effet le lien avec nos parents qui ont joué la carte de l’intégration sans oublier d’où ils venaient et où ils étaient arrivés. C’est un trésor précieux car il permet de rester soi-même.

Gesuina très croyante a quitté ce monde dans lequel elle s’était depuis quelques temps égarée, le jour de la résurrection de celui en qui elle croyait. Étrange coïncidence. Elle a fait renaître en moi la fierté d’être de cette famille dont elle était encore il y a peu le symbole. Nous voici face au vide d’une génération, celle qui nous a portés vers ce que nous sommes justement devenus. Claire, Eugène et Mario s’estompent un peu plus. Les rivages de l’Italie s’éloignent. Le frêle esquif de nos vies dérive vers le large. Là-bas sur la plage  Gesuina nous appelle pour nous rendre à table… « Mangia ! Mangia tutto!’

Photo du bandeau : ma fille Christine avec Gesuina : la transmission ! 

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Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    Tant que vivra un membre de la tribu « Darmian « qui a connu, ne serait ce que par la « tradition », la zia Gesuina, elle restera vivante dans vos cœurs.

  2. Gilles Jeanneau

    Quel talent Jean-Marie pour évoquer ta chère tante transalpine…
    Je ne peux que compatir à la tristesse de ta famille.
    Mais je peux te faire une confidence; j’ai de très lointaines racines italiennes par une fille illégitime d’un VISCONTI de Milan (il en a eu beaucoup mais les a toutes légitimés!…)
    Et on est tous frères qqpart..
    Bonne journée quand même…

  3. JJM

    Très émouvante évocation, Jean-Marie,de ta famille italienne car c’est une grande douleur, d’évoquer des souvenirs heureux un jour de deuil.Elle s’en va le jour de Pâques comme le pape François, curieux concours de circonstance.Reçois toute mon affection.

  4. christian grené

    Merci Jean-Marie.
    Ta rubrique du jour, venue d’Italie, me fait du bien quand toute la matinée – et ce n’est pas fini! – il a fallu subir les « papouilles » du Vatican.
    Grazie mille

  5. faconjf

    Bonjour,
    émouvant billet que celui-ci qui me fait repenser à cette phrase: « En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » est reformulée d’après un discours de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ devant l’UNESCO, en 1960. L’Afrique n’ayant que peu (ou pas) de tradition écrite, la quasi-totalité des connaissances traditionnelles (chasse/pêche, plantes, agriculture, météorologie etc.) disparaît peu à peu avec la mort des anciennes générations, qui n’ont pas réellement pu transmettre leur savoir.
    Dans notre occident, la tradition de l’écrit existe et s’est répandue surtout depuis que l’école est devenue obligatoire et pourtant sur notre continent les bibliothèques que sont nos aïeux brûlent elles aussi. La question du comment transmettre la richesse des connaissances acquises par nos anciens a trouvé sa réponse dans le milieu bourgeois depuis longtemps. Cela se nomme un livre de raison. Dès le Moyen Âge, les familles françaises qui maîtrisaient suffisamment l’écrit , utilisaient le livre de raison d’abord comme un livre de comptes. Par la suite elles s’y rajoutèrent des dates de mariages ou de décès, puis enfin leur histoire et leurs valeurs. Cette tradition permettait de transmettre des enseignements précieux et des principes moraux d’une génération à l’autre et d’ainsi conserver un esprit de famille. Le terme « Raison » dérive du mot latin « ratio », signifiant à la fois « sens », « jugement », « doctrine », « méthode » et « compte d’affaires ». À l’origine, ces livres n’étaient que de modestes registres de comptes, mais ils ont rapidement évolué pour inclure des observations morales et des conseils pratiques. C’est ainsi que le livre de raison est devenu un livre de famille, il reflète non seulement la vie quotidienne et les préoccupations pratiques des familles, mais aussi leurs aspirations morales et spirituelles. Ces livres étaient souvent commencés par le père de famille et continués par la mère en cas de décès prématuré, jusqu’à ce que l’aîné des fils soit en âge de reprendre la responsabilité.
    A l’heure d’internet, pourquoi perdre son temps à écrire ce genre d’ouvrage ? Les raisons en sont multiples : la reconnaissance de l’importance de la mémoire familiale, le désir de transmettre des valeurs et des expériences aux générations futures, et la volonté de créer un lien tangible entre le passé et le présent.
    Quels sont les éléments qui composent ce genre de livre ?
    – La Généalogie : ce sont les racines de la famille, la lignée des ancêtres, fournissant des informations sur les parents, grands-parents et autres membres de la famille, souvent accompagnées de biographies succinctes.
    – Les événements familiaux : Les naissances, mariages et décès sont soigneusement enregistrés, avec des détails sur les circonstances et l’impact de ces événements sur la famille.
    – L’ administration économique : Cette partie inclut des comptes financiers, des inventaires de biens et des détails sur l’épargne et les investissements familiaux. Elle est la mémoire des difficultés de la gestion économique du ménage à un moment donné.
    – Des conseils et réflexions : c’est souvent, sous la forme de proverbes ou de maximes répétées par nos anciens la continuité des valeurs familiales.
    – Des chroniques personnelles : Des anecdotes, des récits de voyages, des réflexions personnelles et des commentaires sur les événements contemporains sont inclus pour donner une dimension humaine et personnelle au livre.
    Dans les archives familiales dont j’ai hérité, j’ai trouvé des cahiers d’écoliers écrits par ma maman loin d’ être aussi structuré qu’un livre de raison, ils constituent une base que je rêve d’utiliser un jour pour éviter que la mémoire de mes chers disparus ne brûle à son tour.
    Gardons la trace de nos origines pour JMD ce sont « Les rivages de l’Italie s’éloignent », pour d’autres ce sont des terroirs devenus inhospitaliers pour tant de bonnes ou mauvaises raisons. Transmettre le flambeau du passé … Ou laisser brûler les bibliothèques ?
    Bonne journée

  6. LAVIGNE Maria

    La zia Gesuina n’est plus et cependant c’est dans vos coeurs qu’elle vivra. Nous ne sommes que de passage sur cette terre , Gesuina a su donner beaucoup d’amour à sa famille et maintenant à votre tour de transmettre. Les racines ne meurent pas, elles se cultivent et donneront naissance à « un bel fior »

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