Depuis plusieurs jours je ne traînais pas comme à l’habitude sur le chemin de l’école du bourg de Sadirac. En culottes courtes, malgré le manteau, le froid mordait cruellement les jambes et les mains. Heureusement en ce matin du 21 février 1956, la température tellement basse dans la quinzaine précédente que la Garonne charriait des glaçons, remontait légèrement. Mon père très affairé à trouver des solutions pour doper les la chaudière centrale à bois des classes et ma mère préoccupée par le ravitaillement de la cantine s’affairaient dans la Mairie de Sadirac où nous étions logés. Un répit potentiel paraissait s’installer en cette fin janvier et première quinzaine de février ayant donné tout son sens à ce que pouvait être un hiver rigoureux. Pas de bulletins météo télévisés ou de prévisions à moyen terme mais une gestion de cette période totalement inédite, au jour le jour. Seule la radio nationale avançait l’hypothèse d’une réchauffement salvateur ou d’une nouvelle plongée dans le froid intense. On hésitait.
A l’école les élèves de service du cours de fin d’études relevaient quotidiennement le monumental baromètre à mercure pour en consigner les niveaux mais ils ne mesuraient pas forcément les subtilités inventées par un certain Toricelli ! Quand au thermomètre à alcool fixé sur la même planchette vernie il restait désespérément figé, malgré un sursaut ce mercredi là, sur le zéro ! Il avait eu des idées négatives depuis plusieurs jours et la feuille hebdomadaire du relevé donnait un graphique plutôt en chute libre !
Comme tout le monde venait à l’école à pied matin et soir, les histoires de glissades excentriques sur les chemins non goudronnés desservant les hameaux sadiracais, alimentaient les échanges à la cantine. Le seul endroit où le contenu de l’assiette préparée par Madame Bourtayre sur sa monumentale cuisinière à feu continu, réchauffait le corps. Les maisons ayant le chauffage central se comptaient sur les doigts d’une seule main. Il fallait donc aller chercher le bois dans une panier conçu à cet effet ou, munis du seau à charbon, puiser à la cave ou dans la grange, du combustible dans une masse des boulets livrés à la hâte par un charbonnier créonnais trimant comme un « noir » qu’il était, avec son sac en capuche sur la tête lui couvrant le dos ! Et encore le charbon était l’apanage des gens aisés… et donc pas de la grand majorité des familles.
Pour les autres point de salut sans le bois ! A la mairie pas de réseau d’eau potable car le puits était pollué et surtout aucun chauffage dans les chambres du premier étage. La glace chaque matin devait être grattée sur l’intérieur des vitres de notre logis nocturne. Nous bénéficiions depuis quelques jours d’une mesure de faveur. Ma mère chauffait deux fers à repasser sur la cuisinière qu’elle venait passer sur les draps juste avant notre entrée dans les draps. Avec mon frère nous entamions alors un sprint effréné entre Darrigade et Van Looy pour finir d’effacer le froidure de la couche pourtant couverte d’un monumental édredon en duvet. Sadirac ne parlait que du gel des pieds de vigne. Sadirac ne vivait qu’au rythme des ses thermomètres.
Le dimanche précèdent pour mon anniversaire les bougies allumées sur le millas de ma grand-mère Catherine ne réchauffaient guère l’ambiance. Il s’était remis à faire froid ! Heureusement j’avais la solution du repli vers les livres du Bibliobus que je dévorais les uns après les autres avec un appétit d’ogre sans sortir en récréation. Le maître ne refusait jamais à celles et ceux qui voulait lire de se réfugier en classe… Ce 21 février exceptionnellement, compte tenu du ciel gris et surtout d’un nouvel effondrement de la température André Meynier décida de renvoyer chez eux les élèves les plus éloignés ! Ils ne mirent pas beaucoup de temps pour plier leur cartable et filer en courant vers une cheminée dévoreuse de bûches sorties des forêts de Tustal ! Pour une fois nous aussi, avec mon frère, nous ne sommes pas restés à l’étude. Nous fûmes autorisés à rentrer sous déjà une danse de gros flocans collants et denses.
La situation ne s’est guère améliorée sur le chemin du retour mais comme rien ne pouvait nous en empêcher, avec mon frère avons descendus la côte défoncée et glacée de Pomadis en une glissage aventureuse. Par la fenêtre de la cuisine bien au chaud nous regardions vers 18 heures, jugés sur une chaise les éléments se déchaîner sur un rythme impresionnant. Ce fut progressivement une tempête ! La neige tombait en rafales. Vers 20 h ce fut une « avalanche » de papillons blancs tous plus pressés les uns que les autres… qui s’abbatit sur le sol déjà couvert d’une belle épaisseur blanche. Le 22 au matin mon père eut toutes les peines du monde à ouvrir les volets de la porte d’entrée de notre logement. Il régnait un étrange silence. En descendant nous découvrîmes qu’une fabuleuse couche de près d’un mètre de neige couvrait toute la cour de la mairie, toute la route et toute la campagne… Nous n’irions pas à l’école durant quelques jours ! C’était qu du bonheur. . Nous devenions des Robinson des neiges. Inimaginable ! Le monde avait été gommé par magie durant la nuit.
Photo Rue de Sadirac à Créon sur le bandeau
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J’ai connu la même aventure lorsque nous habitions Fronsac, où mon père était le charbonnier du village…
Je me souviens qu’il avait fait venir un wagon de charbon par la gare de Libourne… et que les jeunes Fronsadais fortunés, faisaient du ski sur les pentes du château de Fronsac!
Quel hiver!
Hiver 56 ! Mémorable. Les pensionnaires avaient été renvoyés dans leurs foyers, l’eau était gelée dans les locaux de l’internat, impossible de chauffer les dortoirs ni de faire sa toilette, le froid était trop vif : le thermomètre ne monta pas au dessus de moins 15 pendant plus de trois semaines.
Il ne restait qu’une poignée « d’externes », fidèles au poste, et les classes les plus éloignées de la chaudière avaient dû se réfugier dans les amphis de math qui seuls recevaient un peu de chaleur. Les déplacements en ville étaient difficiles : l’eau avait gelé dans les caniveaux et la glace couvrait parfois entièrement la chaussée : pas de tout à l’égout !
Nous étions vêtus comme des ours polaires, faisant assaut d’ingéniosité pour trouver des vêtements confortables : dans un vieux renard ayant appartenu à ma grand mère, je m’étais confectionné une « spectaculaire » chapka.
Et j’avais revêtu sur mes vêtements d’hiver une peau de mouton récupérée sur mon ancienne canadienne hors d’usage, la laine à l’extérieur. Agrémenté d’un large ceinture, cet accoutrement me faisait vaguement ressembler au colonel Andréa Stravos (Anthony Queen) dans « Les Canons de Navaronne ».
Avec nos accoutrements de « partisans » nous ne passions pas inaperçus dans les rues quasiment désertes.