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Le dernier refuge des « camarades » du PMU

En fin de matinée chaque fois que les rendez-vous médicaux ou autres m’en laissent le loisir, je longe les arcades du centre ville pour me rendre au P’tit Bar. De loin, dès qu’un rayon de soleil darde la façade, je sais si les habitués sont arrivés. Certains fument en effet leur cigarette devant la porte et d’autres regardent selon les jours, le peu d’animation qui règne sur la Place, hormis le mercredi matin, jour de marché. Avant dix heures, les petits cailloux blancs des tasses à café jalonnent les tables comme autant de repères du passage matinal de clients pressés. Un peu plus tard des galopins en « mousse courte » ou des demis qui se haussent du col, s’alignent sur le comptoir. Les habitudes sont désormais connues de Delphine, la souriante surveillante de ce lieu où l’on vient majoritairement pour partager.

Même si ça prend du temps pour les SBF (sans bar fixe), finissent par sympathiser et échanger sur la pluie et depuis quelques semaines rarement sur le beau temps. Le reste viendra avec l’écoute et les événements du quotidien. Ici on partage certes les rencontres, mais aussi et surtout l’espoir, celui de décrocher le plaisir de gagner aux courses de chevaux et d’épater la galerie par une capacité inconnue à décrypter la liste des partants pour y trouver un, deux, trois, quatre ou cinq numéros gagnants ou presque. Se dire bonjour, se saluer en frères d’armes, s’inquiéter d’une absence, appartiennent aux règles tacites d’un bar PMU. Si sur la terrasse les « siroteurs » échangent en club fermé, à l’intérieur on joue collectif ! Enfin on en donne l’impression.

Il faut cependant pénétrer dans la salle pour trouver dans le coin de l’automate du PMU, la bande des admirateurs de paris. Eux ne sont pas là en touristes. Tous ont oublié depuis quelques années, le triptyque « métro, boulot, dodo » pour se consacrer comme pensionné de droit commun avec application et sérieux, à une autre devise « passion, canasson, déception ». La question du nouvel arrivant, ici n’est jamais celle que l’on pose aux gens que l’on croise à la boulangerie : « comment vas-tu ? » mais plutôt systématiquement « alors tu as gagné ? » La réponse rarement positive s’accompagne systématiquement d’une avalanche de considérations sur l’injustice du sort, la médiocrité des prévisions délivrées par les oracles médiatiques, les surprises causées par des chevaux venus du diable Vauvert, des « presque trouvés » ou des « manqués d’un rien ». Le PMU reste un creuset où l’on oublie la chape d’un quotidien désastreux. On s’y rassure par des rites personnels qui se figent au fil des jours : même boisson, même jeux, mêmes rencontres. On y joue à qui perd gagne!

Même si la confiance règne, les gagnants ne se livrent pas facilement. L’intensité de leur sourire et la brillance de l’oeil sont souvent proportionnels au montant inscrit sur le ticket. L’habileté de l’enquêteur réside dans justement la détection des indices lui permettant de poser la question : « Et alors ? Combien ? » Le vrai parieur ne se livre jamais. La confidence résulte d’une approche progressive, d’une confiance à acquérir et d’une valorisation discrète du mérite de celui qui sait encaisser mieux que les autres. Il vous accorde alors le discret privilège de vous montrer furtivement le ticket qu’il a passé au filtre des machines « officielles ». Pour le reste il se fera discret et approximatif. Un vrai gagneur reste prudent. L’occasionnel fanfaronne pour quelques dizaines d’euros… car il a besoin de reconnaissance.

Tous les matins le scénario est le même. Tous les matins la joie des retrouvailles, des chambrages, des commentaires acides ou des excuses bidons, est différente mais tellement réconfortante. Le PMU réunit pour constituer un groupe hétérogène soudé par le goût du risque. Ses membres peuvent ridicules sans tuer ou vivre un jour de gloire sans lendemain. La seule certitude c’est que la fortune n’est que très rarement au rendez-vous. Les gains permettent seulement, dans la plupart des cas de régler les tournées et de réinvestir dans les courses suivantes. C’est là l’essentiel. Un PMU sera toujours bien différent d’un café, d’un bar ou d’une brasserie ordinaire où l’on passe. Les discussions ne sont pas les mêmes, les comportements sont différents, les pratiques sociales moins frustres.

Au P’tit Bar est née une forme de « camaraderie » qui se perd ailleurs dans la société. La mixité sociale et culturelle y est réelle et ne pose aucun problème. Depuis des mois la table des parieurs coopérateurs a d’ailleurs intégré des gens de tous les horizons. Un mouvement continuel avec les disparitions et les renforts. Les courses hippiques servent souvent d’amorce à d’autres types de conversations  La vie quotidienne et locale, les faits divers et certains faits de société animent des conversations de bistrots qui doivent rester consensuelles La politique partisane, sujet qui divise ne prend jamais le dessus. On échange les nouvelles et on oublie les difficultés au point que parfois l’impossibilité de s’y rendre devient pesante. C’est un signe indiscutable de l’utilité de tel lieu !

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Cette publication a un commentaire

  1. faconjf

    Bonjour,
    fallait pas l’inviter !! Le complotiste est réveillé maintenant m.rde, crotte.
    En exploitant, les inégalités sociales et le sentiment d’injustice, en laissant croire à une voie rapide vers la fortune personnelle, les jeux d’argent sont un opium de la misère – pour emprunter l’expression à Balzac – se muant en véritable fléau social. Et les offres numériques risquent précisément d’accroître les possibilités de toucher un public plus jeune et/ou plus fragile au bénéfice d’intérêts privés, et de facto au détriment du bien commun. Libéralisation et expansion du jeu, telles semblent être les ambitions d’une industrie prête à beaucoup pour perdurer et développer de nouvelles parts de marché.Le procédé est minutieusement pensé et constitue une véritable stratégie de la part d’une industrie tout à la fois ciblant et entretenant la pauvreté des uns et la précarité sociale des autres. Or, nous savons aujourd’hui clairement, et sur la base de plusieurs travaux empiriques, qu’un lien existe entre dépendance aux jeux et détresse sociale, comorbidité, criminalité et surmortalité. Tout cela se fait malheureusement avec la complicité de l’État français et des zélites ponctionnant un impôt sur la frustration sociale – ou la promesse d’un mieux-être financier – censé être indolore car volontaire.
    Salauds d’assistés qui dilapident le RSA en jeu de gratte-gratte et autres PMU et c’est avec le pognon de qui? Je vous le demande en mille* ou Émile comme vous voulez.
    Cette dernière réflexion vise par la dimension psychologique sous-tendue , à déplacer le curseur d’une lecture responsabilisant l’individu seul, dédouanant la société et ses politiques, à une appréhension contextuelle et environnementale d’une mécanique consciente et pour le moins cynique d’une industrie dont l’intérêt financier prime sur la santé du plus grand nombre.
    Le constat est donc glacial : l’addiction est aussi une construction sociale, une « pathologie » qui se construit et que l’on ne devrait plus ignorer.
    Bon! des conseils d’imbécile j’en donne mais je n’en reçois pas. Je vous laisse je m’en vais jouer à mon traditionnel Eurocouillon tout en sachant bien que avec un bulletin de jeu simple, par combinaison de jeu, j’ai une chance sur 139.838.160 de remporter le Jackpot EuroMillions. Pas grave c’est le seul médicament contre les insomnies qui me permet de me rêver millionnaire. « Toute chose est en soi même contradictoire » écrivait Hegel en 1807 dans Phénoménologie de l’Esprit, j’aime bien ça excuse tout et ça fait culturationné de s’abriter derrière hegel pour dire des imbécilités.
    Bonne journée

    Cette expression date du XVIIe siècle. On pourrait dire qu’il s’agit de la contraction d’une phrase beaucoup plus longue «Je vous le donne à deviner, mais vous n’avez qu’une chance sur mille de trouver la réponse » qui signifie qu’on a peu de chance de trouver.

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