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Prendre la défense de l’avocate du diable

La société actuelle recèle tellement de situations contraires à la qualité du bien vivre ensemble, que le métier d’avocat est devenu essentiel. Les interventions directes de la justice à la suite d’actes prohibés ou les recours effectués par des tiers s’estimant spoliés ou désireux de rétablir ce qu’ils pensent être leur bon droit augmentent sans cesse. L’empilage des lois, la complexification des normes, la croissance des multiples formes de violences, la contestation systématique des décisions supposées d’intérêt collectif, l’appât du profit en détournant la société numérique nourrissent le volume des recours aux tribunaux.

Dans ce système les avocats jouent tant sur la forme que sur le fond des dossiers un rôle essentiel. Ils doivent être prêts à intervenir dans absolument toutes les circonstances, pour tous les motifs même si depuis toujours certains se sont spécialisés tellement le contexte législatif est complexe et vaste. Votre voisin ne respecte pas votre tranquillité, votre voiture a été abîmée, votre patron s’assoit sur votre contrat de travail, et bien d’autres situations ? Il n’est pas toujours facile de se sortir seul d’une situation conflictuelle. Pour tous les litiges du quotidien, vous pouvez faire appel à un avocat. D’abord pour vous conseiller puis pour faciliter votre action et enfin pour représenter ou plaider votre cause auprès des juges. Il exerce sa profession de manière indépendante et n’est donc soumis à aucune autorité hiérarchique.

Cette semaine l’un de ces professionnelle de la défense a été particulièrement présente dans les médias. Maître Béatrice Zavarro avocate de Pélicot a certainement accepté la tâche la plus difficile d’une carrière en acceptant de défendre l’un des plus horribles pervers de l’histoire judiciaire française. Cette juriste à la silhouette fine, à la parole mesurée et dotée d’un calme louable illustre la grande difficulté de son métier. Elle a déclaré en ouvrant sa plaidoirie qu’elle était devenue « l’avocate du diable » et s’adressant à son « client » elle a confié « c’est vous et moi contre le reste du monde ». En effet Me Zavarro n’a aucune chance de convaincre un tribunal de l’innocence de celui qui a avoué ses crimes. Elle a contre elle, par cette terrible assimilation entre l’avocat et les fautes commis par le coupable potentiel.

L’opinion dominante a en effet institué le « tribunal médiatique ». Croire que c’est une nouveauté relève de la facilité. En effet, je travaille sur un nouveau livre autour d’événements criminels du XIX° siècle en Entre-Deux-Mers et je constate combien ce phénomène de la pression des habitants ou des personnes importantes existaient à cette époque. Les comportements sont les mêmes. La justice était déjà trop lente (entre la fin des coupables et le jugement il y avait de 6 mois à un an maximum), trop peu sévère (la peine de morts existait) et la foule suivait les procès avec délectation. Le rôle des avocats s’avérait encore plus difficile.

Me Zavarro mérite le respect car elle a osé aller jusqu’au bout de la mission fondamentale de son métier : « défendre même l’indéfendable ». Ce qui pour moi est un acte de courage car la cause était perdue d’avance et elle savait pertinemment qu’elle serait la cible d’actes de haine facile, d’éventuelles représailles et même probablement de mise en danger de sa personne. C’est dramatique et révoltant car la facilité aurait été de refuser, de se défiler, de renoncer. Tellement facile dans cette époque où la prise de risques au nom de valeurs essentielles se délite face à des pressions multiples. Elle aura été sobre et lucide dans ce monde d’outrances permanentes et d’irrationalité galopante.

« J’assume pleinement la défense de Dominique Pelicot », a déclaré Me Zavarro invoquant le serment d’avocat prêté en 1996, qui l’oblige à regarder son « humanité ». Il est probable que de tels propos ne seront pas admis par les adeptes de la justice expéditive. Et pourtant ce n’est que le reflet d’une éthique professionnelle qui devrait être rassurante pour chaque citoyen. Il ne s’agit pas d’excuser mais d’expliquer. Elle ne souhaite pas occulter la gravité des actes mais a tenté d’en connaître les racines. Il ne pouvait être question de solliciter une quelconque indulgence mais d’aider à « comprendre » pour éviter que le cheminement criminel soit compris. Avec sobriété selon les reporters présents elle s’est acquitté de sa mission. 

Ce bout de femme d’un mètre et quarante-cinq centimes mériterait un autre sort que celui de réceptionniste des lettres anonymes (évidemment) de menaces ou de propos insultants. Elle n’a pas plaidé pour éviter quelques années de prison à un personnage qui malgré tous les propos tenus durant le procès est un indiscutable criminel. Elle a démontré que derrière chaque personne même la plus haïssable il y avait un Homme ou une Femme avec ses défaillances, ses dérapages, ses pulsions, sa complexité. Ça n’excuse rien mais elle n’a pas cherché à le faire. Chapeau maître.

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Cet article a 5 commentaires

  1. Pc

    Admiration pour cette avocate qui accepte de défendre l’indéfendable et pour son exceptionnelle conscience professionnelle.

  2. J.J.

    Bel exemple de ce que doit être le rôle d’un avocat en réalisant un difficile équilibre entre son rôle de défenseur et la prise en compte de la réalité brutale des faits.
    Beaucoup de rigueur, de dignité et de conscience professionnelle qui forcent l’admiration.
    Que n’a-t-on davantage de personnages politiques de cette envergure ?

    1. faconjf

      @JJ
      « Rangez ces ouvrages compliqués, les livres comptables feront l’affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune “bonne idée”, la déchiqueteuse en est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il faut penser mou et le montrer, parler de son moi en le réduisant à peu de chose : on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé. Il n’y a eu aucune prise de la Bastille, rien de comparable à l’incendie du Reichstag, et l’Aurore n’a encore tiré aucun coup de feu. Pourtant, l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès : les médiocres ont pris le pouvoir. »
      La médiocratie livre d’ Alain Deneault . Alain Deneault est docteur en philosophie de l’université Paris-VIII et directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris.
      Il est notamment l’auteur de Noir Canada (Écosociété), Offshore (La Fabrique/Écosociété), Paradis sous terre (Rue de l’échiquier/Écosociété) et La Médiocratie (Lux éditeur). Il a récemment publié De quoi Total est-elle la somme ? (Rue de l’échiquier/Écosociété).
      Une ch’tite vidéo pour connaitre son point de vue ? c’est ici https://elucid.media/societe/les-mediocres-ont-pris-le-pouvoir-et-conduisent-le-monde-a-sa-perte?mc_ts=crises

  3. faconjf

    Bonjour,
    pour traiter cette affaire sur le fond j’appelle à la barre Maître Henri Leclerc mort le 31 août 2024 ( oui, oui je sais faire parler les morts …) . Henri Leclerc, né le 8 juin 1934 à peine âgé d’une dizaine d’années, il suit à travers les comptes rendus livrés par la presse les grands procès de la Libération (procès notamment de Philippe Pétain, de Pierre Laval et de Robert Brasillach). Il est consterné par le procès joué à l’avance de Pierre Laval, et de son exécution faite de façon pitoyable.
    Ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris, il est président de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen de 1995 à 2000, puis son président d’honneur. Il a accompagné le mouvement social, aux côtés des paysans travailleurs, des mineurs de fond, de la CFDT, des militants luttant pour l’amélioration des conditions de détention — il a dénoncé les conditions de détention dans les prisons de haute sécurité —, des tenants d’une presse indépendante.
    Dans cet entretien réalisé en février 2021 pour la Revue des droits de l’homme – N°19 la note de la rédaction précise : « … En tant qu’ancien président de la Ligue des droits de l’Homme et après 65 ans de fréquentation des prétoires, il porte un regard précieux sur la justice, la profession d’avocat et l’état des droits et libertés.
    C’est ici et ses propos illustrent parfaitement les interrogations de NOUS citoyens sur NOTRE justice.
    https://journals.openedition.org/revdh/11378
    Bonne lecture et bonne journée

  4. Jean

    Article pertinent et utile …

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