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L’éloignement source des inégalités croissantes

Encore une fois il faut qu’un organisme de solidarité indépendant (le Secours Catholique) se penche sur la société française pour qu’apparaisse un fort décalage entre la gouvernance libérale et l’état du pays. Dans son rapport annuel cette institution annonce une détérioration constante et profonde de la situation sociale des classes les plus défavorisés. Rassurez-vous le système médiatique ne vous parlera guère de ce constat inquiétant car il est préoccupé par tant d’autres sujets plus importants. Au moment où se pose la contribution des plus aisés à la solidarité nationale il est impensable que l’on fasse un rapport entre les profits réalisés par le monde de la finance et la désespérance de millions de Françaises et de Français.

Ce qui est le plus intéressant dans ce travail du Secours Catholique c’est qu’il ne se contente pas de statistiques mais qu’il propose une analyse d’une phénomène que je perçois tous les jours dans la vie ordinaire, celui de « l’éloignement. ». Depuis de longues années, les mesures prises en matière de restructuration du fonctionnement collectif pénalise les plus fragiles et les moins cultivés. Lorsque les deux phénomènes se conjuguent on assiste alors à un effondrement des personnes concernées. Quoi que prétendent les tenants du pouvoir l’essentiel n’est plus de pondre des plans divers et «avariés », d’annoncer des aides mais de savoir comment les gens concernés se les approprient. Un simple exemple suffit : 95 % des foyers qui pourraient prétendre à la prime énergie ne l’ont pas demandé et ignorent tout de son existence !

Les mesures de solidarité sont centrales dans la vie des personnes précaires, mais « à mesure que les années passent, elle s’étiole, elle s’éloigne. Un éloignement à plusieurs facettes. » explique les auteurs de l’enquête réalisée sur le terrain. Le premier réside dans le fait que la multiplication des conditions d’accès aux aides potentielles et le durcissement des critères ne permet plus à un nombre croissant de gens en difficulté de se tourner vers les structures susceptibles de le soutenir. Ainsi les données compilées démontrent que les réformes de l’assurance chômage ne sont pas pour rien dans « le recul de la part de ménages percevant des indemnités chômage (- 2 points en deux ans) et dans le basculement d’une partie des chômeurs, découragés, vers l’inactivité. »

Il ajoute que « les personnes privées d’emploi, de plus en plus pointées du doigt comme seules responsables de leur situation, voient leur filet de protection s’effilocher. Si l’on considère l’ensemble des chômeurs rencontrés (indemnisés ou non), leur niveau de vie déjà très faible est en recul à 655 euros par mois en 2023, contre 685 euros en 2018. » Et lentement la situation se dégradera dans les mois à venir. Il est plus facile de travailler « au noir » que de s’inscrire au chômage. Il est infiniment plus rémunérateur d’être dealer que de s’inscrire dans un système inefficace. La diminution des droits et la complexification des conditions pour en bénéficier deviennent des barrages infranchissables par un nombre croissant d’allocataires potentiels.

L’autre facette découle bien évidemment de la disparition des services publics à visage humain du paysage quotidien des gens en difficulté. Leur éloignement géographique affaiblit considérablement les effets de la solidarité lorsque l’on ne bénéficie pas d’une mobilité facile. les mouvements de concentration et de réduction d’effectifs ont affecté des services publics essentiels (comme celui de la santé) pour les plus vulnérables, comme les CAF ou France Travail. L’éloignement des guichets fait de la possibilité et du coût de la mobilité un enjeu plus crucial encore, en particulier en zone rurale. D’où un sentiment légitime d’abandon !

« Cette administration plus distante a perdu en qualité de son action ; elle n’est plus à disposition pour orienter, conseiller et accompagner, mais se limite essentiellement à traiter des dossiers, verser des prestations et contrôler les usagers. Ce constat est bien sûr le fruit, aussi, d’une autre mise à distance des usagers : celle produite par la transformation numérique des démarches administratives. » Comment ne pas partager cette remarque quand on se bat contre ce qui est appelé la dématérialisation alors qu’il ne s’agit que d’un moyen de perdre les personnes dans un dédale numérique anonyme et impersonnel. « Au total, les écrans ne font pas que mettre à distance la solidarité : le dédale dans lequel ils nous font plonger, sans une main ni une voix pour nous guider, peut constituer une forme de maltraitance institutionnelle. »

En 2023, 25,4 % des ménages rencontrés par le secours catholique tentent de survivre grâce à la débrouille et au soutien de ceux qui sont en capacité de les aider. Le niveau de vie médian des ménages rencontrés s’établit à 555 euros par mois, en recul de 19 euros par rapport à 2022 en raison de l’inflation encore élevée. 95 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, et 74 %, sous le seuil d’extrême pauvreté. Pour plus d’un tiers des ménages (35 %), l’accès à un logement stable est impossible (+ 2 points par rapport à 2022 en moyenne pour l’ensemble des ménages). Le taux d’« inactivité » atteint 51 % des publics rencontrés (parmi les 15-64 ans en excluant les étrangers sans droit au travail), contre 24 % en population générale. Cette progression lente mais constante, depuis 2013, s’explique en partie par la hausse de la part des personnes en inaptitude au travail pour raisons de santé.

Les enfants et les personnes d’âge actif sont les plus fragiles face à la pauvreté. Un tiers des personnes rencontrées sont âgées de moins de 15 ans et 61 %, de 15 à 64 ans. Pour autant, un vieillissement des personnes accueillies, plus lent qu’en population générale, s’est installé depuis quelques années. Le rapport est un brûlot que personne ne souhaitera commenter ou présenter . Ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire !

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Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Et avec le « tout numérique », qui est devenu la seule façon d’enter en contact avec un service ou une administration, ça ne risque pas de s’arranger, étant donné le nombre de citoyens qui n’y ont pas accès ou ne maîtrisaient pas bien la machine quand il ont le privilège d’en disposer !
    Même en ayant une bonne pratique du système acquise depuis longtemps, il m’arrive de perdre patience (pas plus tard que ce matin) devant les difficultés à ouvrir parfois un message, tellement les procédures évoluent et les barrages s’accumulent pour contrer ( et pas toujours avec succès) les tentatives des hackers de faire nos poches virtuelles.

  2. Alain.e

    Un petit exemple , pas plus tard qu’ hier , un miracle s’ est produit , j’ ai pu avoir une personne au standard de la préfecture de la Charente Maritime , qui m’ a passé le service permis de conduire ….
    En effet ayant courageusement décidé de remplacer mon permis de conduire trois volets par le nouveau format carte , les problèmes commençaient.
    Démarche en ligne sur le site ANTS avec photo , scanner du permis rose , etc…
    Je reçois le permis carte avec permis AM ,A1, A2,A, et B1 , manquait juste le B …
    Je réclame donc en ligne à l’ ANTS qui me dit qu’il me faut donc contacter la préfecture pour mettre leur ordinateur à jour .
    J’ apprends donc que lors de la numérisation des permis , des oublis , erreurs ont été commises et que pour certaines personnes ayant perdus leur permis , c’ est l’ enfer pour en refaire un .
    Dans mon cas , j’ ai reçu un coup de téléphone de la préfecture qui a réglé mon problème en consultant les archives et a régularisé auprès de l’ ANTS .
    Je suis donc sans doute un miraculé des tracasseries administratives , le combat continu , je tente de refaire ma carte d’ identité , mon frère a eu quelques soucis avec les actes de naissance et livret de famille , en effet, les employés de mairie mettaient quelques fois et d’ autres pas un accent sur le E de notre nom de famille …..
    Cordialement.

  3. faconjf

    Bonjour,
    vous concluez votre billet du jour par « Ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire ! « , les grands mamamouchis qui croient gouverner le pays risquent de sortir brutalement de cette torpeur. La torpeur est un phénomène physiologique associé à un ralentissement du métabolisme général chez certaines espèces à la suite d’un stress qui peut durer de quelques heures à plusieurs jours et se finit à l’éveil de l’animal.
    La dernière idée géniale des sénateurs c’est de faire travailler gratuitement 7 heures supplémentaires par an. Penser imposer du travail “gratuit” à ceux qui travaillent déjà et se retrouvent déjà de moins en moins nombreux , est une évidente insulte sociale et morale jetée à la face du peuple.
    Forts de l’expérience de plus de 40 ans de fiasco industriel reposant sur le principe « il n’y a pas de problème en France qui ne puisse être résolu par de nouvelles taxes ou impôts », si ça bouge on taxe, si ça bouge plus on subventionne.
    Le seau de l’État fuit comme un panier, pour maintenir un niveau acceptable on augmente les taxes, remettant en cause au fond le consentement à l’impôt. Selon le sondage biannuel Harris Interactive-CPO effectué fin 2023, « 75 % des gens pensent que le niveau d’imposition est trop élevé en France », et « 63 % des gens pensent qu’ils paient (personnellement) trop d’impôts ». Dans son livre, L’Impôt sans le citoyen ? (éditions LGDJ, 2019), le professeur Michel Bouvier oppose ainsi deux conceptions antithétiques : « Le lien social s’efface désormais au profit d’une perception individualisée de l’impôt : qu’est-ce que je paye et quel bénéfice j’en retire ? ». Cette politique se concrétise en transformant- à grands coups de déclarations merdiatiques- le citoyen en consommateur des services de l’État comme à fait Choupinet (f) Attal avec son « contribuable-client »et son site spécialisé « En avoir pour son argent »,
    L’objectif des libéraux ne serait-il pas réduire les impôts des citoyens aisés, voire très fortunés, quitte à abandonner les plus pauvres à leur triste sort? L’histoire récente nous renvoie à la problématique du consentement à l’impôt,la révolte des «gilets jaunes » de 2018-2019, dont le déclencheur a été, faut-il le rappeler, une hausse de l’écotaxe sur les carburants finalement retirée. Et cinq ans plus tôt, c’était le mouvement des « bonnets rouges » en Bretagne qui refusaient une taxation routière sur les poids lourds.
    S’agissant de la solidarité et de la redistribution des ressources, les impôts sur la personne sont mobilisés. En particulier, mais pas seulement, l’impôt sur le revenu (IR) dont la progressivité est manifeste (10 % des contribuables acquittent 73 % de toute la collecte). Au total, le consentement à l’impôt concerne d’une façon ou d’une autre l’ensemble des Français sans exception, pauvres, modestes, aisés ou riches.Avec des formes de mécontentement bien spécifiques. Les manifestations de rue pour les uns et l’exil fiscal pour les autres.
    Mais alors où est donc (Ornicar?) la solution? Charles Sannat sur son blog nous dit:  » Nous ne redresserons jamais, je dis bien JAMAIS la France, en faisant travailler plus chaque année (temps de travail), et toujours plus longtemps (départ à la retraite) ceux qui bossent déjà et qui payent tout.
    Nous redresserons ce pays en mettant au boulot les 6 millions de personnes qui n’y sont pas.
    Nous allons juste épuiser ceux qui travaillent déjà et qui finiront par jeter l’éponge pour rejoindre le rang des assistés.
    Nous marchons sur la tête, et c’est pour ça que nous marchons sur la dette. »
    Pour ma part je m’interroge sur les fuites permanentes du « seau de l’état », et au premier rang je mettrais le coût du Sénat et les entourloupes législatives qu’il commet. Question que de Gaulle avait posée en 1969, c’était pas hier !
    Des sénateurs, qui se sont octroyé une rallonge de 700€ par mois début 2024 et qui déploient une inventivité délirante à couler le bateau France.
    Un conseil constitutionnel peuplé de repris de justesse ( justice) ne justifiant son existence que par des positions mi-chèvre mi-choux permettant à l’exécutif de prendre des dispositions à contrecœur tout en sachant que le CC va les retoquer.
    Un machin nommé Conseil économique, social et environnemental censé conseiller le Gouvernement et le Parlement. Il représente les organisations de la société civile et associe les citoyens à la vie démocratique. En fait une glute* dont l’objet a été détourné pour recaser les amis des gouvernants et qui ne produit que des rapports insignifiants peuplant les fonds d’armoire. Un mille feuille administratif aberrant produisant un mouvement parkinsonien de normes et de paperasses aussi coûteuses qu’inutiles. Une démocratie de proximité pléthorique, comptez le nombre de conseils municipaux de villes de moins de 500 habitants, fragmentant l’efficacité territoriale. Où encore les communautés de communes agissant chacune comme autant de féodalités, avec son armada d’employés et de sous-traitants.
    Notre pays à besoin de se souvenir le Préambule de la Constitution de 1946 et dans la Constitution de 1958 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Le droit au travail participe de la dignité de l’être humain. Il a été affirmé pour la première fois en 1848 par la IIe République qui a mis en place des ateliers nationaux pour fournir un travail aux chômeurs.
    Seul le travail productif ( PRODUCTIF je souligne) peut rendre la dignité et des conditions de vie décentes à ceux qui en sont écartés.
    Mais ça!! Le retour des ateliers nationaux pour fournir un travail aux chômeurs, l’Europe n’en veut pas ce serait contrevenir au dogme de la concurrence non faussée.
    Tout va bien le bateau coule normalement!
    Bon repos de fin de semaine.
    * glute : https://fr.wiktionary.org/wiki/glute

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