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Quand le marin Barthes échoue au « port » de Créon (2)

Bernard Bordes qui repose depuis 168 ans dans le cimetière de Créon de manière tout à fait anonyme a eu une vie digne d’un film d’aventure. Dans la première partie du feuilleton que je vous propose, le marin né à Castres (33) sur les rives de la Garonne s’en va-t-en guerre entre le 13 juin 1812 et le 21 juillet 1814 sur la frégate Circé. Sous les ordres du baron Ange René Armand de Mackau il participe aux campagnes méditerranéennes napoléoniennes. Ce n’est que le début d’une épopée extraordinaire…

Après de longues négociations, Louis Claude de Saulces de Freycinet,  géologue et géographe ayant accompli plusieurs missions d’exploration scientifique sur la planète obtient le commandement de la Frégate Uranie pour effectuer un tour du monde. Il a besoin d’un équipage aguerri et solide. Il part de Toulon le 17 septembre 1817 sans Bernard Bordes. Le navire armé de 21 canons et pouvant accueillir plus d’une centaine de personnes appartient à la marine nationale. Il effectuera sa première escale à Gibraltar avant de stationner aux Canaries (23 octobre) où il fut interdit à quiconque de descendre à terre pour cause de quarantaine. Le bateau fit donc route vers Rio de Janeiro où il arriva le 6 décembre pour n’en repartir que le 29 janvier après de multiples observations ou relevés de la part des scientifiques.

L’Uranie se rendit donc au Cap où les Anglais leur réservèrent le meilleur accueil le 7 mars puisque Napoléon était « bouclé » à Saint-Hélène. Ils y étudièrent le… vignoble qui déjà à cette époque produit des vins de qualité. Notre Barthes n’est toujours pas à bord. Il rejoint l’équipage début juin alors que la frégate était déjà en réparation à l’île Maurice. Que faisait-il là-bas ? Probablement était-il resté lors d’une expédition commerciale et attendait une opportunité de retrouver un engagement. Il signa un contrat de « gabier » l’élite de la marine à voile. Ces hommes spécialisés dans toutes les interventions dans la mâture constituaient une « caste » particulière sur les navires à voile. Il joua très vite un rôle essentiel dans la seconde partie de l’expédition.

Les gabiers de l’Uranie se mirent maintes fois en évidence. Ainsi un jour que l’un d’eux lors d’une manœuvre périlleuse dans l’Océan indien tomba à la mer, ils se lancèrent à son secours sur une chaloupe ramant durant de longues heures avec l’espoir de retrouver leur ami qui se nommait Astier. Ils finirent par le retrouver juché sur une bouée qui lui avait été lancée dans le sillage du navire. Il restait à retrouver ce dernier qui évidemment avait ralenti mais n’avait pas pu stopper totalement sa route. La nuit tombait et ce ne fut qu’au petit matin qu’apparut la silhouette de la frégate. Astier était sauvé. Il eut droit à une rasade d’eau de vie la bien nommée et il reprit son service comme si de rien n’était. 

Alors que l’on posait la question sur le coté miraculeux de ce sauvetage à un officier de bord, il eut cette phrase significative de la solidarité régnant au sein des marins et notamment des gabiers : «  quand on a des amis comme Barthe, Vial, Levêque, Chaumont, Troubal, Marchais et Petit on espère toujours. » Ce fut pour le Castrais l’opportunité de trouver sa place dans ce groupe. Il finit même par s’imposer comme l’un des plus habiles, des plus courageux et des plus fidèles.

Un second incident quelques mois plus tard lui valut la reconnaissance et l’estime de tout l’équipage. En voici le récit exact Arago, narrateur et dessinateur de toute l’expédition :

« Des hommes à la hune ! » A ce cri sorti du porte-voix et jeté sur les manœuvres, les plus intrépides gabiers, Marchais d’un côté, Petit de l’autre, font assaut d’ardeur avec Barthe, plus leste qu’eux tous et qui les dépassait à l’escalade. Il est là-haut, son regard d’aigle interroge l’espace, il ne voit point de terre, il fait signe au commandant que la mer est libre ; et tandis que Marchais, à tribord comme Barthe, le menace du poing, une secousse inattendue de la corvette lui fait manquer son point d’appui et le jette à’ travers les haubans.

« Un homme à la mer! un homme à la mer! » Petit s’est élancé, et le voilà en un instant sur le couronnement, prêt à voler au secours de son camarade. Rien! Rien! Et le cœur du brave matelot se gonfle, et ses yeux se mouillent de larmes, et de rapides sanglots s’échappent de sa poitrine. –

– Pauvre ami, s’écrie-t-il, mon courageux Marchais! tu penses à moi, j’en suis sûr. Montre-moi donc ta tête, et je me fous à l’eau pour mourir avec toi. Ô mon Dieu, que n’es-tu derrière moi avec tes bottes ferrées ! Quoi ! plus de coups de pied de Marchais! c’est horrible à penser, ça brise l’âme. Et puis, faites-vous des tendresses ! Chien de métier !

Nulle trace de sang ne s’était montrée à la surface des flots, que nous pouvions déjà interroger, et il était probable que quelque violent coup à la tête avait tué Marchais avant que la mer s’en fût emparée. On inscrivait déjà sur le registre le triste dénouement d’une vie si pleine, lorsqu’un gémissement sourd frappa les oreilles de Barthe, qui amarrait une brise. Il s’élance, il se penche sur l’abîme; la lame le couvre et il reste à son poste.
– A moi ! à moi ! s’écrie-t-il enfin d’une voix forte, à moi! matelots, Marchais est ici !

On se presse, on se porte. Marchais, soutenu par ses vêtements accrochés entre deux poulies, avait les reins à demi brisés, et la lame qui le saisissait et l’abandonnait tour à tour allait l’enlever pour la dernière fois, lorsque Barthe d’un bras vigoureux s’en empare et l’entraîne. Mais ayant à lutter contre tant d’obstacles, il allait succomber à la tâche si Petit et Chaumont ne lui eussent prêté main-forte. Tous se trouvèrent bientôt sur le pont. Le docteur accourut. Les blessures de Marchais n’étaient point dangereuses, il n’avait que des contusions incapables d’entamer sa charpente granitique. (…) »

Barthe venait de sauver un second gabier. Il devait même plus tard sauver tout l’équipage !

(à suivre)

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    À côté des aventures de Barthe et de l’équipage de l’Uranie, celles de « Long John Silver » ou du Capitaine Crochet ne sont que modestes fictions.
    Pourquoi se fatiguer à inventer des récits fictifs tant qu’ on n’a pas épuisé toutes les chroniques de l’histoire ?

  2. JJM

    Il se fait tard,mais il n’est jamais trop tard pour prendre connaissance des écrits de JMD qui nous entraîne vers des terres lointaines .Qu’il est bon de prendre la mer en oubliant, ne serait ce qu’un instant ,notre monde  » moderne??? »

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