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Le jour où le mineur fait une rentrée majeure

Les vacances scolaires tirent à leur fin. Elles ont été superbes car pour la première fois dans ma vie elles ont été placées sous le signe de l’indépendance réelle, celle que vous donne un revenu même modeste permettant de financer quelques choix jusque-là impossibles. La dernière année dans le monastère laïque de l’École normale d’instituteurs étant rémunérée et j’ai j’ai pu financer l’achat de la Deux Chevaux que mon frère avait acquise sans… avoir le permis de conduire.

Le principe de cette année de formation professionnelle faite de trois stages d’un mois étalé au cours de l’année est celui de la semi-liberté. Nous sommes internes mais avec une latitude pour sortir largement supérieure à celles des périodes antérieures. Certes sur la rémunération qui vous est allouée nous avons une retenue de quatre cents francs pour la constitution d’un pécule réputé nous servir pour notre installation dans la vie active. En fait avec des justificatifs il est possible d’avoir des avances sur ces économies forcées ce qui permet de contourner parfois avec un brin d’imagination, le principe de précaution financière. Mais ma préoccupation n’est pas là. C’est celle du poste qui me sera attribué à la rentrée. Où vais-je atterrir.

Sorti second de la promotion au Certificat de Fin d’Études à l’Ecole Normale (CFEN) indispensable pouR quitter « libre » les lieux, j’ai le « privilège » de voir mon affectation choisie par Ernest Monlau directeur aussi solide que le granit du piémont pyrénéen d’Oloron Sainte Marie d’où il est originaire. Responsable élu de la promotion j’ai des relations régulières avec lui ne serait-ce que pour l’organisation compliquée du voyage de fin de scolarité à l’EN en Allemagne de l’Ouest et surtout celle de l’Est. Il m’a pris sous son aile et donc je devrais me conformer à sa décision. Impossible d’y échapper.

Le lendemain du jour où nous sommes rentrés d’un périple nous ayons conduit via Checkpoint Charly dans Berlin occupée, derrière le mur, le téléphone a sonné au secrétariat de la mairie de Sadirac où logeaient mes parents. En ce 17 juillet 1967, le Directeur a décidé de m’orienter vers l’enseignement spécialisé… à l’insu de mon plein gré. « Darmian vous devriez aller passer la journée de demain dans une classe de l’institut de Terrefort à Ambarés. Regardez comme ça se passe et dites moi. Je suis certain que ça va vous plaire ! » Le ton ne laissait guère de place à la contestation. A peine de retour je me retrouvais réquisitionné pour vérifier si l’avenir que l’on me destinait me convenait. Enfin… Avais-je vraiment le choix ? 

La classe accueillait une vingtaine d’enfants en difficulté sociale ayant des troubles du comportement (on disait alors « caractériels ») et ayant commis le plus souvent des actes les ayant conduits devant la justice. Le collègue qui y officiait bien que doté d’une philosophie naturelle proche du bouddhisme ne m’encouragea pas à le remplacer. Bagarres, insultes, refus de participer à la vie scolaire, intimidations : malgré ma passion pour la pédagogie Freinet je ne voyais pas débuter dans un tel poste ! J’annonçais donc par téléphone le 19 juillet à Ernest Monlau avec des circonvolutions adaptées? que « je ne me sentais pas capable d’assumer un tel rôle » qui ressemblait à celui de garde-chiourme et de psychiatre plus qu’à celui d’instituteur. Il le prit assez mal : « vous le regretterez. C’est un poste pour vous ! » Enfin c’était son avis.

Les vacances furent exceptionnelles car pour la première fois je n’avais pas besoin de travailler pour garnir mon escarcelle estivale. Je ne pensais même plus à ce qui m’attendait le jour où j’effectuerai le 15 septembre 1967 ma première rentrée scolaire d’instit. Ernest Monlau me tira de mon insouciance le lundi 11 septembre. Ma mère me fit sortir du lit vers 10 heures car « le directeur de l’école normale voulait me parler ! » Je descendis en trombe pour m’entendre dire : « Bonjour Darmian, je vous attends demain à 10 h 30 dans mon bureau. C’est pour votre poste. Je vous expliquerai. A demain. » Aïe ! Tous mes copains avaient été nommés en commission administratrice paritaire départementale (CAPD) le vendredi 8 septembre et moi je n’avais rien !

Le lendemain je garais mon carrosse et ses deux chevaux devant le bassin central du Château Bourran. Je grimpais l’escalier monumental situé à droite de la lourde porte d’entrée pour accéder au bureau du directeur. Cravaté, en veston et chemise blanche j’étais prêt à encaisser.. son choix ! Avec les patins sur le parquet ciré comme un sou neuf? j’approchais de sa table Directoire constituant la plate-forme d’où il dirigeait le Monastère d’une main ferme. Il m’accueillit avec le sourire. Bon ou mauvais signe. La discussion débuta sur le voyage de promo et mes activités estivales ! L’essentiel finit par arriver.

« Darmian, Les Écoles normales sont en danger. Un jour où l’autre ils finiront pas les supprimer. En CAPD ils ne trouvaient pas de solution pour une direction d’école à 6 classes. Je leur ai dit que l’EN formait des gens capables d’occuper un tel poste. Et je vous ai imposé. Mon garçon vous êtes nommé directeur de l’école publique de garçons de Castillon la Bataille. Vous devez réussir pour l’École normale ! Vous allez vite rencontrer le maire et chaque mois vous viendrez me rendre compte de ce que vous avez fait et ce qu’il s’est passé ! » Inutile d’utiliser le « je n’en suis pas capable ! » Ca ne marcherait pas ! Cette fois c’était certain. 

(à suivre)

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