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« Les mots de la mémoire ne sont pas vains »

Michel Caron, autre lecteur « nordiste » de Roue Libre a mis en commentaire de l’un des textes de Jean-Jacques le Charentais ce texte. Un nouveau témoignage d’un ancien professeur de philosophie, élu local et militant associatif, sur le quatre-vingtième anniversaire de la libération de la France. Un nouveau constat : la souffrance de la population durant cette période. Nous allons grâce à lui à Saint Lô (Photo ci-dessus) pour un nouveau témoignage. 

« L’évocation dOradour sur Glane m’a ramené à ce jour de visites des ruines du village: c’était il y a peu de temps,un matin où Jean Marie m’avait rejoint dans mon chemin solitaire au milieu des ruines: le mal absolu peut être l’œuvre des hommes. Car ce sont bien des êtres humains,fussent ils des soldats allemands de la division Das Reich,qui ont encerclé Oradour,et ont tué systématiquement toute sa population.

Je n’oublie pas mon cheminement silencieux dans les rues d’Oradour passant et m’arrêtant devant les granges où les hommes avaient été rassemblés et massacrés. Je n ‘oublie pas ce moment passé dans ce qui reste de l’église où les femmes et les enfants furent rassemblés ,enfermés et brûlés. Leurs cris percent encore le silence infini qui enveloppe ce lieu de pierre.
Le temps de guerre ne saurait abolir la responsabilité de quiconqueet la mémoire ne saurait effacer les crimes de guerre ni les crimes contre l’humanité.

Le général Lammerding avait fait de brillantes études d’ingénieur et c’est bien lui qui commanda la division Das Reich dont le régiment qui procéda au massacre des habitants de Oradour et aussi Tulle. Sa condamnation à mort par contumace au procès de Bordeaux ne l’empêcha pas de poursuivre sa carrière à la tête d’une entreprise et de vivre et de mourir en toute quiétude.

Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité n’en finissent pas de nous rappeler la nécessité de concevoir les instruments d’une justice internationale,universelle,digne de ce nom. Robert Badinter prolongeant l’œuvre de René Cassin ,y a apporté une contribution majeure. Mais les mots de la mémoire portent en eux les traces de souvenirs qui peinent à nous parvenir dans le cours de l’existence familiale. Mais QUEL SIGNE CES TRACES NOUS FONT ELLES?

Je relis la lettre de ma mère à sa mère et à ses frères et sœurs datant du 19 juin 1944. Ma mère venait de faire cent cinquante kilomètres en vélo en deux jours pour aller de Saint Lô à Janzé rejoindre mon frère mis à l’abri chez mes grands parents: « Je suis restée pendant 10 jours sous les bombardements écrivait elle. Mes parents habitaient Saint Lô. Dès le 6 juin,nous nous sommes retrouvés Pierre et moi miraculeusement sortis des décombres de notre maison n’ayant pour tout bagage qu’un manteau et un veston pour Pierre .Une bombe était tombée sur la maison et s’était plantée dans la cave. Ma mère est sortie des décombres et la bombe n’a jamais explosé…  Après ce premier bombardement de six heures à huit heures, le soir nous sommes partis à travers tous les entonnoirs qu’avaient faits les bombes chez Mon sieur.Madeleine, là où nous allions chercher du lait. Dès le 1er soir,nous nous sommes réunis à 90 personnes. C’est vous dire que tous ces gens qui n’avaient pas été tués par ce premier bombardement,s’étaient sauvés dans toutes les fermes avoisinantes à 2 ou 3 kilomètres de la ville. De Saint Lô , il ne reste plus une seule maison. Ce que les bombes n’avaient pas détruit les incendies l’ont fait ».
Mes parents ont ainsi séjourné à la ferme pendant 10 jours en étant « continuellement bombardés et survolés à raz des toits….et chaque fois nous poussions un soup3ir de soulagement en voyant tomber les bombes à quelques mètres de nous sans trop nous éclabousser… » Quel destin que celui de mes parents!

Ma mère écrit encore: « Pierre a comparé les jours que j’ai passés là bas (Saint Lô) avec lui -ne pouvant partir- à Dunkerque en 1940. C’est vous dire si c’est affreux. » Mes parents étaient en effet à Dunkerque vile martyre de 1940 où la maison de la rue Belle rade à Malo les Bains près de la plage a brûlé. Entre ces deux dates , la constitution d’un groupe franc, l’arrestation par les Allemands, l’OFLAG XVII-A, et l’évasion et le parcours de guerre….

Mais au fait ! Je suis né précisément neuf mois après ce 6 juin 1944, après cette bombe tombée sur la maison et ces dix jours à la ferme alors que la mort est partout…La vie est plus forte que la mort

La mémoire et les souvenirs parfois recomposés viennent éclairer nos pas. Les témoignages fournissent la matière au travail des historiens. Nous reste le besoin, sinon la volonté de donner du sens à ce récit toujours ré-écrit pour tenter d’éclaire nos engagements d’aujourd’hui et de demain. Car seul notre ENGAGEMENT nous fera échapper au piège de l’absurde d’un monde dont le sens semble s’absenter.

Michel Caron

Cet article a 6 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    ORADOUR – Souviens-Toi ! Dimanche 18 juillet 2021 dès 9 heures, nous étions conviés au Wagon du Souvenir par la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Education, à l’occasion de la « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat Français et d’hommage aux Justes de France »
    Gilbert de Pertuis

  2. facon jf

    Bonjour,
    une de mes escapades touristiques, lorsque j’habitais en Pays de Caux, a conduit mes pas à saint Lô. Quelle déception en visitant une ville parée du label  » de reconstruction » . Les bombardements alliés ont détruit la ville et la reconstruction des années 48 à 60 a pratiquement effacé le charme de la préfecture de la Manche. Où sont maintenant les vestiges gallo-romains ? la cité s’appelle Briovère (ou Briovera), « le pont sur la Vire » en langue celtique. Occupée par la tribu gauloise des Unelles du Cotentin, la ville est ensuite conquise par les Romains.
    Puis, la région est le théâtre des diverses invasions saxonnes au cours du IIIe siècle. Le christianisme se développe assez tardivement ; on ne compte que quatre évêques de Coutances avant 511. Après la mort de l’évêque LAUD de Coutances, il est béatifié et particulièrement honoré à Briovère, qui aurait abrité son tombeau. Un pèlerinage y est effectué et la ville prend alors le nom de Saint-Laud.
    En 889, les Vikings remontent la Vire et assiègent Saint-Lô. Protégée par des remparts solides construits un siècle auparavant par Charlemagne, la ville ne se rend pas. Les assaillants coupent alors l’approvisionnement en eau, ayant pour conséquence la reddition des habitants. Les Vikings massacrent les habitants, dont l’évêque de Coutances, puis rasent la ville. La guerre toujours la guerre pour effacer le passé qui insulte les nouveaux venus, le vent de folie des envahisseurs qui détruit des siècles de civilisations et doivent laisser place nette pour réécrire le passé par les vainqueurs du moment. Les vestiges des remparts de la ville témoignent encore de cette histoire oubliée.
    À partir du XIe siècle, la cité connaît un fort développement économique sous l’impulsion de Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances et baron de Saint-Lô. L’industrie textile, mais aussi les orfèvres, les tanneurs et les couteliers font la fortune de la ville. Saint-Lô est alors très prospère. Au XIIIe et XIVe siècles, la cité occupe la troisième place du très riche duché de Normandie, derrière Rouen et Caen.
    Puis vinrent les temps obscurs des guerres de religion. Saint-Lô est une des villes pionnières pour le protestantisme en France. Elle subit de plein fouet les guerres de Religion. La Révocation de l’Édit de Nantes entraîne le départ de très nombreux artisans huguenots. Ceci est une des causes du déclin de la ville.
    Les huguenots, tenant Saint-Lô et Carentan, vont piller Coutances en 1562 et se saisissent de l’évêque Artus de Cossé-Brissac qui est traîné dans la ville de Saint-Lô sur un âne. Mais alors que l’édit de pacification d’Amboise a incité la ville à se soumettre à Charles IX, en février 1574, les protestants normands font de Saint-Lô leur quartier général. Les troupes conduites par le Maréchal de Matignon assiégent la ville le 1er mai et montent à l’assaut dix jours après. On compte plus de 500 morts dont le chef Colombières, seigneur de Bricqueville, mais le grand capitaine protestant Gabriel Ier de Montgomery s’échappe par la porte de la Dollée.
    Saint Lô se maintien dans le giron de la France alors qu’elle aurait pu devenir Monégasque. En 1576, la baronnie de Saint-Lô est cédée à Jacques II de Matignon, Comte de Torigni, membre d’une des plus puissantes familles de France. Son descendant, Jacques IV, épouse en 1715 l’héritière des Grimaldi. En 1731, le Comte de Torigni et Baron de Saint-Lô devient donc Prince de Monaco. Aujourd’hui, Albert II conserve ce titre de Baron de Saint-Lô.
    À partir de 1789, Saint-Lô se montre très révolutionnaire. En 1794, elle prend même provisoirement le nom de « Rocher de la Liberté ». Pour récompenser son activisme, la ville devient en 1795 préfecture, honneur initialement échu à Coutances.
    La période napoléonienne voit la création du Haras national.
    La création du canal de Vire et Taute en 1833 permet d’établir la liaison entre Carentan et Saint-Lô.
    Le Baron Alfred Mosselman construit un port à Saint-Lô en recrutant près de 250 détenus militaires et prisonniers espagnols. Plusieurs marchandises sont transportées mais principalement la tangue et la chaux. En 1867, la papeterie de Valvire est construite près du déversoir et fabrique du papier d’emballage. Elle est détruite par un incendie en 1930 et de l’usine il ne reste plus que la cheminée.
    De tout ce passé, aujourd’hui ne subsistent que quelques traces, laissant l’image au touriste pressé d’une ville sans âme et sans histoire. Il faut creuser un peu et s’interroger devant la statue en bronze de la « laitière Normande » pour imaginer son parcours chaotique. Arthur Le Duc (1848 – 1918), artiste originaire de Torigni sur Vire présente en 1887 le plâtre d’une statue, une femme normande marquée par le travail difficile de la terre, sa kanne sur l’épaule. Quelques années plus tard, le bronze arrive à Saint-Lô.
    Apposée devant l´église Notre-Dame, elle est déboulonnée le 8 février 1942 et fondue par les allemands afin d´en faire des canons. En 1984, un commerçant de la ville lance une souscription et le sculpteur Louis Derbré, refaçonne la statue d’après des plans originaux. Plusieurs fois déplacée, on peut la retrouver près des escaliers de la place Général de Gaulle. Le socle et le bassin en granit sont d’origine.
    Comme c’est dommage d’avoir massacré le passé historique de cette ville pour le remplacer par des barres de béton et des immeubles modernes ( il y a 70 ans) qui vieillissent très mal ! Ce que les bombes n’ont pas jeté au sol les engins de chantier sans conscience ont fini par en avoir raison.
    Bon dimanche

  3. J.J.

    Pour répondre au texte émouvant de Michel Caron, je vous livre la conclusion de mes « mémoires de guerre et d’enfance » : il y a toujours plus malheureux que soi.

     » Il faut bien reconnaître que par rapport d’autres lieux : Royan, la Normandie ou l’Alsace par exemple, notre région fut relativement épargnée, mais certains évènements furent cependant assez tragiques pour marquer durablement, de façon même indélébile ceux qui ont vécu à cette époque.
    Même si j’ai eu souvent faim, quelquefois peur, parfois beaucoup de peine, je remercie le sort de m’avoir été favorable : je suis sorti vivant des bombardements, je suis passé sans une égratignure à travers une fusillade meurtrière, et surtout, surtout, je n’ai jamais été obligé de chanter « Maréchal nous voilà »

    La dernière remarque m’avait valu d’ailleurs un réplique acerbe d’un participant à la présentation de mon texte, qu’une société de généalogie m’avait invité à présenter en public. Les organisateurs eurent le bon goût de calmer le jeu, ce qui m’a évité de répliquer vertement à ce malotru.
    Dans la discussion qui avait suivi la présentation de mon texte, une spectatrice, avait fondu en larmes en évoquant la « rafle de la salle Philarmonique » (notre Vel d’Hiv local) où elle avait fait ses adieux à une petite camarade à l’étoile jaune.
    Pour moi ces cérémonies grandiloquentes sont bien vaines et déplacées, par rapport aux souffrances morale ou physique que notre génération a vécu.

  4. François

    Bonjour !
    Mon St Lo, c’est Oradour sur Glane … en visiteur.
    1965: J’avais 18 ans et les 3 jours à Limoges approchaient !
    Par un beau dimanche, nos parents amenèrent leurs quatre fils à un festival de danses folkloriques à St Junien, haut en couleurs et mouvements qui égaya notre matin dominical. Le pique-nique dévoré dans un sous-bois, mon père consulta la Michelin jaune et nous amena en 403 à Oradour. Le parcours fut joyeux et chahuté par les 4 ados … jusqu’à la première vision d’un panneau « Ici, Oradour , village martyr » qui refroidit l’atmosphère.
    La visite des ruines se fit dans un calme non imposé, frappés que nous étions par ces pierres brûlées, ces véhicules et charrettes calcinées, ces plaques émaillées éclatées par les tirs ou la fournaise jusqu’à ce tas de bronze, flaque figée pour l’éternité, de la cloche de l’église. Le maxi fut atteint devant l’ossuaire qui fut caché au dernier de la fratrie.
    Pour compléter le tableau d’enfer, hagarde, le visage livide, marchant sans but telle une somnambule, une femme déambulait parmi les ruines. Très vite, les paroles d’un guide traversèrent la petite foule présente: » C’est la dame rescapée ! Elle vient quasiment tous les jours. »
    Nous reprîmes la route vers notre Gironde et les kilomètres s’additionnèrent jusqu’à l’arrivée … sans un mot , ni une taquinerie.
    Une leçon d’Histoire qui vous marque plus qu’un manuel scolaire !
    Amicalement

  5. Yvon BUGARET

    Il y a une dizaine d’année, lors d’un retour de vacances passées en Alsace, nous avons fait une halte à Oradour Sur Glane, village martyr détruit avec ses habitants par les Nazis, le 10 juin 1944. J’ai évidemment fait de nombreuses photos que j’ai utilisé pour faire un montage vidéo que j’ai mis en ligne sur le site de TCC (Télé-canal-Créonnais). Pour ne pas oublier ce qui s’est passé, je vous conseille de cliquer sur le lien ci-après, publié en 2019 et qui a fait un record de lecture.
    https://www.telecanalcreon.fr/spip.php?article1812

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