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Zidane l’albatros qui s’est mué en aigle

Hier soir Zinédine Zidane a refoulé la pelouse du parc lescure devenu Stade Jacques Chaban-Delmas. J’ai gardé pour ma part le souvenir indélébile de la soirée du 17 août 1994 et sa première aapparition sous le maillot bleu de celui qui ne quittera plus ensuite l’équipe de France. Voici ce que j’avais écrit il y a 18 ans sur mon premier blog intitulé L’AUTRE QUOTIDIEN, sur ce moment clé de sa carrière.

« En 1992, Zidane est recruté par Rolland Courbis (on peut penser ce que l’on veut de Courbis mais il avait et il a encore le foot dans le sang) pour le compte des Girondins de Bordeaux. C’est durant cette période que j’ai pu le côtoyer, sans pouvoir honnêtement écrire aujourd’hui que j’ai beaucoup échangé ou partagé avec lui. D’abord parce qu’il était d’une forte avarice de mots et d’une retenue maladive avec la presse. Ensuite, il était fort difficile d’entrer dans le triangle bordelais  » Duga-Liza-Zizou «  compact et d’une solidarité à toute épreuve. Il en était médiatiquement le maillon faible, et donc les deux autres le protégeaient avec vigilance. Enfin, le privilège de l’interroger revenait aux professionnels les plus chevronnés du service des Sports de Sud Ouest. Pourtant, j’ai une anecdote le concernant qui m’a marqué à un double titre.

J’avais toujours rêvé, en tant que journaliste, de suivre et d’écrire sur un match de l’équipe de France de football qui n’était pas encore devenue celle des  » Bleus ». Or, le hasard fait que le 17 août 1994 se déroule, à Bordeaux, la rencontre France-Tchéquie. Avec un immense plaisir, je suis  » sélectionné  » pour participer au groupe qui suivra cette rencontre, et je suis chargé du papier sur le jeu et les joueurs. Personne n’est sûrement plus heureux que moi de travailler ce soir-là. Je jubile mais je sais qque je n’ai pas le droit à l’erreur en arrivant avec André Noguès au parc Lescure. 

J’ai déjà eu le privilège d’entrer à La Réserve de Pessac, où logeaient les internationaux. Pour moi, ancien joueur passionné, questionner Aimé Jacquet que je retrouvais après sa période faste aux Girondins,  plaisanter avec des vedettes en devenir, écrire sur leurs états d’âme était un vrai plaisir. Jétais heureux, car cela représentait le nec plus ultra du journalisme. Des instants de rêve. 

Le soir du match,  sur mon bloc, je me lance consciencieusement dans mon papier afin de remplir mon contrat dans les délais. Pas grand chose à se mettre sous la plume, car la déroute menace quand les Tchèques inscrivent à la 45° minute leur? second but. La France hoquète et ne parvient pas à donner un espoir de redressement. Mon papier en sera plus vite bouclé. D’ailleurs, pour ne pas retarder la sortie des premières éditions, je le téléphone aux sténos dans un vacarme critique de plus en plus exigeant. Le boulot est terminé. Zinédine Zidane est entré sur la pelouse (63° minute) pour obtenir sa première sélection, qui l’empêchera d’aller un jour vers la sélection algérienne. Jacquet assure l’avenir sans le savoir véritablement, car, il faut le dire, il ne pressent pas le rôle qu’aura Zidane.

Rien de bien sensationnel jusqu’à ce que le novice place une frappe terrible des 25 mètres dans les cages situées devant un virage sud qui exulte. Il a remplacé Martins et permet au moins de justifier la confiance de Jacquet. Je ne vais tout de même pas rappeler le journal pour changer mon article ? Sauf que le bougre expédie deux minutes plus tard une reprise victorieuse de la tête dans les mêmes filets. Deux buts en deux minutes ! Un coup d’aile gauche et il bouscule le filet. Un envol très au-dessus des hommes chargés de la surveiller lui donne son statut de roi des airs. Deux  exploits qui soulèvent ce qui n’était encore que le Parc Lescure et contribueront à l’installer définitivement au poste de meneur de jeu des Bleus. Celui qui n’est pas encore Zizou sauf pour ses proches survole le commun des joueurs. 

Je reprends vite mon stylo bille et le téléphone pour ajouter quelques lignes sur la prouesse d’un joueur encore plus inquiet qu’à l’habitude lors des retrouvailles dans le paddock avec le presse, avide de tout savoir sur ce qu’il est incapable de dire. Zidane est simplement heureux. Sa femme enceinte de deux mois aura sa première pensée. Pour le reste il ne sait pas.  Il ne sortira rien d’autre car chez lui à cette époque-là . Il n’y a aucun calcul, aucune roublardise, aucune exploitation d’une situation favorable. Il ne saura rien expliquer de ce qu’il avait accompli spontanément, naturellement, honnêtement, sans se poser de questions métaphysiques ou tactiques. Zizou vit le football. il n’en vit pas encore; 

En ce qui le concerne, ce soir là, il est plus terrorisé par les retombées de son doublé que satisfait par sa performance dont il n’a nullement conscience. Je le revois avec son regard de cocker triste, éclairé par un zeste de sourire gêné, dans l’eau froide de sa timidité profonde. J’ai découvert alors, progressivement, que son royaume se limitait à un rectangle plus ou moins vert, et que dès qu’il en franchissait les frontières géométriques blanches, il devenait maladroit, introverti, et peureux. Il n’aimait pas les grands espaces. Le monde lui faisit peur. 

Chaque fois qu’ensuite j’ai croisé sa route, sous le maillot des Girondins, j’ai toujours eu en mémoire cette soirée qui lui avait apporté la notoriété et qui, à moi, m’avait permis de partager un moment exceptionnel. Rencontre fortuite de deux passions qui ne grandiront pas, bien évidemment, de la même manière. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre. Jamais je ne l’ai vu défendre quelqu’un d’autre que son copain Duga, qui lui doit toute sa carrière internationale. Je ne l’ai jamais senti soucieux de devenir le symbole de l’intégration. il jouait d’abord pour son plaisir. Il ne vivait que pour ce ballon rond qui lui avait permis de tourner la page d’une enfance sans grand espoir d’autres réussites. 

Je sais seulement que celui qui  aura le mieux parlé de lui n’est autre que Charles Baudelaire, dont la passion pour le sport n’existait pas. Oui. Charles Baudelaire, car il a génialement transcrit cette opposition extraordinaire entre le poète merveilleux qui nous régale de ses arabesques imprévues et l’homme sans inspiration qui se retrouve tellement gauche sur le sol des mesquineries humaines. Zidane, toi qui ne fut jamais mon ami, mon complice, si je te renontrais à nouveau je me contenterais donc de te lire ceci :

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Toute sa carrière s’y retrouve. L’enchantement d’un instant permet toujours de supporter les désillusions qui suivent.  Il les connaîtra comme les albatros qui dominent le monde pour se retrouver parfois abandonné par les courants d’air porteurs. Je crains beaucoup pour lui quand il quittera le lieu vert de sa seule passion. Seuls celles et ceux qui n’ont jamais eu l’âme d’un poète des stades peuvent en effet le comprendre. Et, par les temps qui courent ils sont rares, très rares. Trop rares. »

Depuis il a effectué un parcours exceptionnel au Real comme entraîneur et ma crainte était infondée. Zidane a appris de la vie patiemment et avec prudence. Il s’est construit un caractère qui lui permet de survoler le monde sans jamais se mettre en avant. Cette modestie n’est plus de la faiblesse mais une force dans un contexte qui manque singulièment de cette vertu. 

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Cette publication a un commentaire

  1. A. Blondinet

    Cher Jean-Marie, tu réveilles là des souvenirs que nous avons en commun. Sauf à dire que tu as retourné le couteau dans la plaie que m’avait faite l’annonce de ce match à Lescure dont je n’ai eu connaissance que le lendemain de son déroulement. Comme toi, j’ai apprécié chez Zizou les qualités de joueur de football mais, surtout, les qualités humaines. Merci d’avoir en même temps évoqué le figure d’André Noguès, celui qui m’avait pris sous son aile en 1974 et dont le goût des jeux de mots dépassait l’entendement. Jusqu’au jour où il m’a regardé les yeux éberlués quand j’avais un jour titré « ZZ Top ». Il découvrait qu’il existait un groupe de rock texan qui portait ce nom. Il n’a pas connu non plus les « Steelers », inventeurs du rock rural… et fierté du Créonnais

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