Depuis des siècles il existe des territoires plus ou moins vastes qui rêvent de prendre leur indépendance. Même si cette ambition se heurte souvent aux principes d’une nation ou d’une collectivité une et indivisible, ils finissent toujours d’une manière ou d’une autre, par trouver des moyens de cultiver ce qu’ils estiment être une identité spécifique. La décentralisation voulue par la Gauche en 1983 a permis d’espérer une avancée en matière de gestion des régions, des départements et des communes… Elle a vite été combattue de là-haut par les exécuteurs des hautes œuvres d’un État se voulant indispensable.
De manière insidieuse les gouvernements successifs incapables de prendre leurs distances avec les conseillers issus de la fonction publique ont lentement coulé la volonté d’émancipation originelle. Toutes les réformes ont été en trompe l’œil puisque si le niveau national se délestait de ses responsabilités vers la base, il avait pris soin de verrouiller la délégation de crédits permettant de les exercer. C’est un peu comme si l’on offrait un véhicule à un transporteur en le privant des moyens pour acquérir le carburant. Des usines à gaz ont été imaginées avec des taxes plus ou moins incertaines pour tenter de masquer la réalité des transferts.
Cette situation n’est pas nouvelle. Au Moyen-Age déjà des quartiers de grandes villes agacés par la pression réglementaire et fiscale des « propriétaires » historiques avaient décidé de ne pas attendre qu’on leur donne leur liberté. Ils l’avaient prises. Parfois ils l’achetaient mais souvent ils leur fallait la conquérir. Ce fut la grande périodes des communes dites libres. Les premières naquirent en Italie et constellèrent le nord de ce qui n’était pas encore une nation. Ces parcelles de territoires s’administraient elles-mêmes, fixant leurs règles, encaissant leurs subsides et assurant tous les pouvoirs régaliens (sauf souvent la défense).
Les fameuses villes neuves créées entre le XII° et le XIV° siècle illustrent cette évolution qui très, très peu démocratique avait le mérite de laisser les échevins décider de leur avenir et de celui des populations « immigrées » venues peupler ces espaces inédits. Chacune des « villefranches» ou des « villeneuves » obtenait une charte des us et coutumes fixant les rapports avec les puissants et leur garantissant les moyens d’exister. C’est ainsi que dans le grand Sud-Ouest mais dans toute l’Europe prospéra une forme d’indépendance embryonnaire mais bien réelle.
Les « quartiers libres » revinrent après l’expérience tellement formidable pars ses valeurs et ses principes de la Commune de Paris. Ouvriers, petits commerçants, artisans, population engagée politiquement effectuèrent des « sécessions » autogestionnaires leur permettant d’exister en démontrant leur capacité à solidariser, à innover, à enthousiasmer, à cultiver le lien social. La période de l’entre-deux guerres vit éclore d’autres créations avec « conseils de quartier », « maires », « fêtes », « repas collectifs », « drapeau », « emblème ». La plus célèbre et la plus durable fut celle de Montmartre qui aura plus tard l’audace de se transformer en République. Fondée le 7 mai 1921, elle est toujours fidèle aux vœux de ses fondateurs Poulbot, Willette, Forain, Neumont et Joë Bridge, et grâce à l’engagement bénévole de ses citoyens, députés, consuls, ambassadeurs et ministres, elle œuvre au profit de l’enfance défavorisée et à la création de liens de solidarité et d’amitié entre artistes plasticiens, musiciens, gens de lettres, de cœur et d’esprit. Gardienne de la tradition montmartroise, elle veille à préserver l’esprit frondeur et humain qui bâtit la légende de Montmartre, en restant fidèle à sa devise : Faire le bien dans la joie !
Créon a eu sa période contestataire émanant du Quartier de la Gare où se trouvait trois coopératives importantes, un « détonateur » engagé le chef de gare et un noyau d’immigrés italiens ravis de démontrer leur capacité à s’intégrer après la douloureuse période de l’Occupation. A leur manière ils pratiquèrent l’autogestion et cultivèrent leur originalité avant de participer à conquête du pouvoir communal et se fondre dans la notabilité. Cette volonté n’habite plus les citoyennes et les citoyens qui s’opposent, critiquent, vitupèrent mais ne se prennent pas en charge pour créer leur propre destin quotidien.
Carottées par le biais des réformes fiscales qu’elles n’ont pas eu le courage de dénoncer car elles ont été endormies par les promesses de compensations illusoires, les collectivités territoriales sont maintenant asphyxiées. L’État recentralisateur n’a plus aucun moyen d’assumer ses responsabilités régaliennes… Il survit. Il agonise mais se durcit dans tous les domaines pour éviter de se retrouver avec des contestations dangereuses pour son existence. Jamais la vie décrite dans « Quartier Libre » (1) n’a constitué un exemple pour sauver ce qui peut l’être encore.
(1) Quartier libre Editions Des auteurs-des Livres 12 € qu’il est possible d’envoyer à ceux qui le souhaitent
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