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Brassens, le partage du copain, du compagnon et du camarade

Une chronique que j’ai écrite en souvenir 42 ans après la mort de Georges Brassens. Si ça vous plait

« Grâce à un petit coin de parapluie l’ayant préservé des chutes de cette foutue poussière de l’oubli, Georges Brassens se permet de célébrer en grandes pompes une centaine d’années d’existence théorique. Il en aura utilisé qu’une soixantaine avant de casser définitivement sa pipe, compagne fumeuse des moments discrets d’une vie aux épisodes très différents Et sur cette période d’une existence brisée par la camarde il n’en a consacré que la moitié pour déposer des mots qui chantent dans les oreilles des croquantes et des croquants bien intentionnés. Georges est mort avec peu de cheveux blancs, tous derrière et peu devant! 

Les poètes comme les étoiles filantes ne laissent dans le ciel de la chanson qu’une trace parfois fugace car il est rare que leur œuvre résiste aux modes. La sienne peuplée d’images tendres ou incisives ; apaisantes ou révoltées ; légère ou profondes traversera le temps sans une ride puisqu’elle parle des valeurs essentielles que sont l’amour, la tolérance, l’amitié, la modestie, la liberté ou la fraternité. Ses créations résisteront tant qu’il y aura un zeste de sensibilité, d’humour ou de révolte dans le coeur des Hommes. Elles mourront dès que la facilité ou la médiocrité gagneront suffisamment de terrain pour étouffer les jolies fleurs nichées dans des peaux de vache.

Un siècle n’est qu’un grain de sable dans cette éternité souhaitée pour ceux qui entrent dans nos cœurs et donnent un sens à nos vies. Durant un laps de temps trop court, Brassens a en effet guidé nos élans, nos refus et nos engagements. Il a existé pour une génération ayant été libérée par chacune de ses chansons. Le défi d’écouter les images gaillardes d’un marché, le billard à trois bandes de Fernande ou l’éloge d’un endroit précis que, rigoureusement, ma mère me défendrait de nommer ici, avait toujours un caractère excitant. Il osait pour nous.

Beaucoup ont eu en effet besoin de ces refrains impudents pour prendre le chemin d’une certaine émancipation offrant une mauvaise réputation valorisante. En devançant la publication des bans, les amoureux qui se bécotaient sous les regards horrifiés des bien-pensants donnaient à une jeunesse le sentiment que la provocation appartenait aux nécessités de l’accès à l’âge adulte. Brassens est un soixante-huitard avant l’heure et sans jamais afficher une pensée révolutionnaire il annonce la présence de pavés sous la plage des vers qu’il décline d’une voix un tantinet monocorde mais prenante.

Bien que nul ne puisse le soupçonner d’être moralisateur, le chanteur enterré pas très loin de la plage de Sète, joue en contre-point des défauts égoïstes, calculateurs et superficiels d’une société encore figée. L’Auvergnat devient généreux, le bonheur se trouve au pied d’un arbre, l’amour se love sous les modestes sabots d’Hélène : bon nombre de ses chansons porte le partage sous toutes ses formes. Brassens donne avec un soin particulier dans le choix des mots, son soutien à celles et ceux qui souffrent et décoche des flèches humoristiques agaçantes aux dominants ou aux exigeants. Il parvient à une perfection simple mais tellement délicate à obtenir entre des mélodies et des paroles. Dans le fond les jeunes connaissent davantage ses œuvres que son nom ce qui démontrer leur intérêt vrai pour ses textes.

L’ours mal léché, recroquevillé très longtemps dans la tanière des gens peu sûrs d’eux, passe sa grogne, sa hargne ou sa répulsion d’un monde manquant de compassion grâce au miel de ses compositions. Ces dernières coulent et envahissent rapidement l’esprit au point de ne plus le quitter. Des phrases reviennent sans cesse et nous adorons « nous faire petit devant une poupée » ou embarquer sur « ce qui n’était pas le radeau de la Méduse » . Sa force repose sur justement cette capacité donnée aux auditeurs de se positionner au centre d’une histoire déclinée en couplets répétant le message à retenir. Tout est ordinaire chez Brassens, la voix, les mots, les accords mais tout devient exceptionnel quand ces réalités se mettent en synergie.

Dans près de 200 chansons il a recherché une alchimie à la fois sophistiquée et d’une apparente naïveté. Le résultat mériterait une reconnaissance plus large que celle qui lui est réservée. «Je vivais à l’écart de la place publique, serein, contemplatif, ténébreux, bucolique… Refusant d’acquitter la rançon de la gloire (…) » : sans les tambours de la facilité de la valorisation médiatique et sans les trompettes de la renommée, l’enfant de Sète va imposer sa patte sur une chanson sinistrée par la vague yéyé. Il tiendra bon et ne renoncera jamais à rester lui-même. Ce fut sa force !

Elle est donc à toi, cette chronique, toi le Sétois, qui sans façons a réchauffé mon cœur d’adolescent puis d’homme quand dans ma vie la médiocrité me faisait froid. Tu fus mon compagnon rassurant par ton goût le liberté d’être, d’agir, de penser et stimulant pour ton audace. J’ai toujours eu le sentiment profond d’être à tes cotés et que « des bateaux j’en (avais) pris beaucoup, mais le seul qui ait tenu le coup, qui n’ait jamais viré de bord (…) naviguait en père peinard sur la grand-mare des canards, et s’appelait les « Copains d’abord »

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Cet article a 9 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Quand tout est dit, rajouter un seul mot est… pléonasme!
    Merci Jean-Marie de nous inviter à cette belle journée avec l’immense copain, compagnon, camarade… Georges.

  2. J.J.

    Merci pour cette belle et émouvante évocation des œuvres et du grand Georges (du grec, l’homme de la la Terre, comme le Pauvre Martin) , qui fut et qui reste notre jeunesse.

    L’auteur de l’hommage est digne de celui qui est honoré.

  3. Philippe Labansat

    Je pense que tous les français majeurs doivent connaître par cœur au moins un couplet de l’ami Georges. La consécration du poète, qui doit aussi être un de ceux avec le plus grand nombre d’écoles à son nom.
    Ce qui est chouette, c’est que l’on croît connaître son œuvre. Mais en fait, il nous en reste plein à découvrir, parce que les ondes se contentent de ressasser inlassablement les mêmes chansons.
    Exemple : connaissee-vous « Le ricochet », une petite merveille que j’ai découverte il y a peu ? Connaissez-vous Brassens interprétant ses chansons en espagnol ?
    Et sûrement d’autres découvertes à faire…

    1. J.J.

      J’ai entendu un jour « Fernande » chantée en Piémontais, je ne comprenais pas vraiment tout tout, mais le public appréciait. « M’étiro, m’étiro … »

  4. Grene christian

    A bord du bateau « Les copains d’abord » je ne voudrais pas pirater le délicieux papier de J.-M. mais je ne résiste pas à celle-là pour Laure et J.J. au sujet du sinistre con! évoqué récemment ici-même. Marine Le Pen a repris une chanson de Joséphine Baker. Je n’en crois pas mes oreilles. Le titre? « J’aide Zemmour ».
    T’inquiète pas Jojo, c’est une blague… à tabac.
    Merci Jean-Marie!

  5. christian grené

    Plus sérieusement, je reprendrai l’extrait d’une lettre de Jacques Canetti à Jean-Paul Sermonte, poète, éminent biographe et spécialiste de la chanson française: « Georges Brassens est, pour moi, le seul à allier le génie du verbe… à l’humanité du coeur ». Un jugement qui vaut pour mon « copain » Jean-Marie.

  6. Christian René Goga

    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Georges_Brassens,_Bobino_64

    1964 l’année ou je l’ai vu sù la scène de Bobino invité par un de ces amis. J’avais été impressionné par une attitude de fausse timidité quand on constate l’engagement de désir de vie sociale de ses textes.
    Super bon souvenir.

  7. J.J.

    Quand le grand Georges est venu donner un concert à Angoulême, je n’ai pu y assister, j’avais trop de travail en retard et ma p… de classe à préparer. L’occasion ne s’est jamais représentée.
    Je le regretterai toute ma vie, et même peut être après …
    Je suis quand même allé en pèlerinage à Sète et me suis promené entre les roseaux et les vignes, puis sur la Plage de la Corniche.

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