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Un nouveau petit monde réconfortant

Lorsque vous perdez le contact avec les obligations imposées par une fonction, une mission ou un rôle social, le monde se rétrécit inévitablement. Aller vers les autres, écouter les autres, échanger avec les autres apportent en permanence une bouffée d’air sans cesse renouvelé quelle qu’en soit l’origine. Si en plus les circonstances vous contraignent à réduire vos contacts, la sensation d’évoluer dans un espace plus réduit devient vite prégnante. C’est la grande leçon des mois antérieurs et les dégâts dans le lien entre les gens causés par les périodes de confinement sont toujours d’actualité. Nous sommes nombreux à avoir  inévitablement ressenti une baisse réelle de l’envie de sortir.

La Covid revient et depuis quelques jours, le repli sur les lieux de vie rassurants revient en force. On revoit de manière plus évidente le masque dans l’espace public. Alors quand on peut s’offrir une petite virée permettant de briser le cercle restreint que vous impose votre non-activité le plaisir revient. Certains disent même qu’il s’agit d’une montée brutale de nostalgie. S’enfuir pour une infidélité aux petit écran auquel les événements vous condamne, offre une certaine jubilation. La vraie déception c’est quand, lors de la rencontre que vous espériez originale et distrayante, la conversation porte sur le match des Girondins ou les dernières âneries débitées par Hanouna. Comme l’escargot rencontrant un obstacle imprévu avec l’une de ses « antennes » la repli dans la coquille devient inévitable.

Le « peuple » de ce modèle de nouveau monde réduit offre l’avantage de ne pas comporter de surprises. La seule vient d’une absence imprévue qui génère aussitôt une vague d’inquiétude. C’est fou comme le même trajet conduisant au même lieu rassure. Il faut s’habituer aux horaires, aux manies, aux comportements d’un nombre réduit de personnes devenant peu à peu familières. Les découvrir, les apprivoiser, les comprendre pour finir par les apprécier demande bien plus d’application. Le partage réel naît de la qualité de cette analyse d’une mini-société beaucoup plus attachante que celle que l’on rencontre dans l’action publique.

Le bar reste le lieu idéal pour s’imbiber de ce que sont les autres. Au bout de quelques semaines les repères rassurent. On sait à quelle heure un tel ou un tel va surgir ou avancer à petits pas dans l’encadrure de la porte et mieux il est inutile qu’il commande son verre de rosé, son expresso, son lait fraise, son porto, son galopin ou son blanc sec puisque c’est inévitablement la même demande. Seuls les commentaires sur la santé ou l’actualité, les deux principales préoccupations de cette planète de retraités changent au jour le jour. Une grande part de la conversation initiale résulte pourtant de la plus simple question : « comment vas-tu ? »

A partir de cette interrogation se construit le dialogue. Le vrai problème c’est que si l’on est le premier arrivé il va falloir fournir une réponse à chaque nouveau venu. Les plus laconiques sont alors les meilleures. Les événements les plus énormes glissent sur les échanges comme la pluie sur les plumes du « canard » que certains (de moins en moins nombreux) feuillettent attentivement. En fait s’il n’y avait pas les pages consacrées au sport, aux courses et aux avis d’obsèques personne ne s’intéresserait aux apports du journal. Une preuve supplémentaire que ce monde dans lequel on se réfugie ressemble étrangement à une bulle fragile. On y vit en permanence avec la peur qu’un fait imprévu la fasse éclater et qu’elle se dissolve dans un espace devenu angoissant, horrible et perverti. 

Durant des années dans l’action professionnelle ou publique il fallait parfois s’adapter, se forcer souvent et se méfier toujours. Le vaste monde que l’on parcourt réserve tant de chausse-trappes et de goût pour les apparences que rien ne vaut celui que l’on se choisit et dans lequel on pratique la liberté d’être soi-même, l’égalité face aux aléas de la vie, la fraternité rassurante car simple. Il n’y a vraiment aucune différence politique, raciale, religieuse ou de niveau social dans cette cellule que l’on se bâtit au fil des jours.

Une poignée de mains, une accolade, un mot sympa et l’écoute réciproque en constituent les clés essentielles. Une heure de bain dans cette eau de vie bouillonnante vaut bien des cachetons d’une ordonnance médicale. Le mépris pour ces moments où l’on donne justement du temps au temps, court dans la société des réseaux sociaux instantanés et bavards. Comme Michel Audiard je transmettrai mon constat personnel sur ce monde que j’aime tant : « écoute, j’ai été enfant de chœur, militant socialiste, et bistrot. C’est dire si j’en ai entendu des conneries… » J’avoue : c’est agréable !

 

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Cet article a 3 commentaires

  1. christian grené

    Voilà un papier qui fout du peps dans le contexte actuel. Ce que tu dis là ne suscite pas la moindre contradiction. En tout cas, je m’y retrouve même si on ne se désaltère pas à la même enseigne

  2. Gilles Jeanneau

    Après l’éloge de la lenteur, l’éloge de la vie ordinaire méritait bien cette prose que j’approuve dans son intégralité.
    Sauf à ajouter que l’on peut être proche par la pensée d’êtres qui sont loin géographiquement parlant…
    Suivez mon regard!
    Très bonne journée à toutes et tous

  3. Pierre LASCOURREGES

    Et les gens viennent de loin à Créon pour se désaltérer… Rauzan, Targon…

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