You are currently viewing La dissolution totale de l’élitisme républicain

La dissolution totale de l’élitisme républicain

Il serait intéressant que des sociologues se penchent sur l’évolution de ce que l’on appelle de moins en moins « l’élite » française. En trois ou quatre décennies les critères ont été modifiés sous l’influence d’un modèle américain auquel notre pays n’a pas su résister. La base de l’accession au statut de membre du groupe reconnu comme « au-dessus » de la masse « ordinaire » a été construite dans la première moitié du XX° siècle ; Elle reposait sur ce que l’on appelait « le mérite » essentiellement scolaire. Il s’agissait de confier le pouvoir essentiellement politique et administratif à des personnes ayant parfaitement assimilé le savoir nécessaire et les valeurs garantes de leur loyauté.

Tout le système éducatif nouveau construit contre celui que gérait le pouvoir religieux était certes ouvert à sa base au plus grand nombre avec l’ambition de conduire chacun à ses possibilités maximales dans le cadre de ses capacités. Cette vision restait cependant théorique avec l’ouverture de l’enseignement secondaire à seulement de 3 à 5 % de la population. Parmi cette frange réduite l’essentiel passé en zone urbaine par les petites classes des lycées. Elle était largement constitué par des enfants des milieux « bourgeois », auxquels venaient s’ajouter, via le fameux concours des bourses, une infime minorité d’enfants de l’école publique.

Le principe de l’accession au sommet de la société était celui du filtre des examens successifs déjà très sélectifs auxquels s’ajoutait la nécessité de concourir à des niveaux différenciés mais lui garantissant l’accès à des fonctions stratégiques. L’essentiel de cette élite était fonctionnarisée dans les grands corps de l’État. Le sociologue Dubet aime répéter que tout enseignant avait pour mission de détecter celle ou celui qui finirait un jour étape après étape major de polytechnique. Une autre élite, celle dite des « grandes familles » avec le pouvoir de l’argent et de la domination économique se construisait ailleurs. Il existait un équilibre potentiel reposant sur le partage des responsabilité entre l’État et le Privé.

Lorsque le Conseil national de la résistance envisage le nouveau système il énonce les principes suivants et souhaite : «  La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. » Il faut remarquer la volonté de la promotion « d’une élite véritable ».

Ce concept a parfaitement fonctionné pendant une vingtaine d’années. Tant que le lien entre élite et service public dans tous les secteurs a été respecté dans les domaines des services de l’État, la santé, la sécurité, l’éducation, la mobilité, l’énergie et tant d’autres domaines. La destruction progressive par tous les gouvernements d’après 1968 les services publics a conduit à l’effritement puis à l’effondrement de l’élitisme antérieur. L’accès au sommet ressemble davantage à une course d’obstacles par élimination pouvant prétendre dans tous les domaines à une rentabilisation aussi rapide que possible d’un éventuelle réussite

Quel est la notoriété du ou de la major de Polytechnique ? Quel est celle de la première ou le premier à l’école normale supérieure ? La réussite est celle du fric ! L’État et les collectivités peinent à recruter. Le mélange des genres avec la confusion entre les mondes politiques et du profit a rendu la concept même d’élite totalement flou. Méprisante, déconnectée, concentrée sur Paris, infidèle et souvent prétentieuse l’élite actuelle ne reflète absolument plus l’évolution de la France.

Le système éducatif dans lequel chaque prof pense que si lui a connu une forme de réussite il n’y a aucune raison que toute la classe ne suive pas le même chemin est en plein désarroi car ses repères ont volé en éclats. L’élitisme français actuel a perdu tout son sens puisque non seulement il creuse les inégalités mais qui plus est il les creuse. Au lieu d’une simple sélection antérieure des meilleurs, il disqualifie chaque jour un peu plus ceux qui sont moins performants. Le cheminement au mérite a disparu ou s’est dilué.

Notre élite est celle de la frime, de la Ferrari, des plateaux télé, de la supercherie idéologique, de l’outrance, des gueulards ou des friqués. Il ne viendrait pas à l’esprit d’un gamin sur cent de se référer à Louise Michel, Louis Pasteur, Marie ou Pierre Curie, Albert Camus, Jean Moulin, Alber Schweitzer, Simone Veil, Antoine Blondin ou Michel Rocard…

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    « Elle était largement constitué par des enfants des milieux « bourgeois », auxquels venaient s’ajouter, via le fameux concours des bourses, une infime minorité d’enfants de l’école publique…. »qui n’étaient pas spécialement bien traités et qui avaient souvent de la peine à surnager, le personnel enseignant ne faisant parfois aucune effort pour intégrer ces parasites, à de rares exceptions. Ce qu’un charmant proviseur appelait avec délicatesse : « Cette queue croustillante ».
    « Le fameux concours des bourses », auquel j’avais été reçu, pour mon compte est resté virtuel, » faute de crédits » a-t-on déclaré à l’inspection académique. Les temps étaient parfois déjà durs pour certains.

  2. christian grené

    M’sieur, je vous remercie infiniment d’avoir glissé le nom de mon pote Antoine Blondin au milieu de personnages très estimables. Et à côté de Michel Rocard! Un nom que le papa du « singe en hiver » eût vite transformé, lui qui ne crachait pas sur… LES LITRES.

  3. christian grené

    Hasard! Ce matin, je suis juste à côté de J.J. Antoine eut sans doute choisi J & B.

  4. Laure Garralaga Lataste

    Si le fric pourrit tout, faut-il pour autant rester pauvre pour ne pas pourrir ?
    Autre remarque : si les « grands hommes » se mesurent à leur audience, je comprends mieux « le tombé dans l’oubli » de notre ami Michel Rocard… Et pourtant, un grand homme ! Non par la taille mais par l’esprit !

    Petit rajout pour 2 d’entre-vous… Je pars à ma relecture !

Laisser un commentaire