Le centre de la Bretagne tente de résister à l’épreuve de la diminution inexorable de la population active. Toutes les bourgades traversent avec plus ou moins de réussite la crise démographique et économique. Le commerce des centres bourgs débute une lente descente aux enfers. Les façades de granit affichent une solidité historique mais elles dissimulent mal l’absence de leurs propriétaires qui usés par l’âge ou la spirale de l’absence de clientèle ont quitté les lieux. Des places musées, des rues balayées par le vent mauvais du changement des habitudes de vie gardent l’esprit de cette région attachée à ses traditions.
Comme beaucoup de ces bourgades, Rostrenen a choisi de résister en s’accrochant à ses rendez-vous traditionnels. Cultiver son identité devient alors essentiel pour rassemblée toutes les forces qui subsistent. Les jeunes et les moins jeunes se fondent dans des manifestations séculaires attirant un public ravi de se retrouver au village. Les courses de chevaux offrent chaque week-end ou presque sur le territoire, des opportunités de se rassurer en se retrouvant pour partager des joies simples.
Dès le début de l’après-midi familles avec toutes les strates d’âge, jeunes en bandes désorganisées, personnes âgées nostalgiques et spécialistes du cheval de courses convergent vers l’hippodrome aux champs. Rostrenen s’offre deux journées de joie de vivre. Le bénévolat retrouve son efficacité. Les soucis d’organisation mobilise un Président et ses soutiens. Rien n’est simple. Rien n’est facile. Entre ceux qui boivent trop et ceux qui boivent trop peu, le site s’anime avec la vigueur des fourmilières sentant l’arrivée d’un orage.
Comme pour témoigner de l’intérêt du ciel pou ces initiatives le soleil ne se montre pas avare de luminosité méditerranéenne et de chaleur. Tout le monde ne cause que de ce ciel bleu dont les mauvaises langues (et elles sont nombreuses) affirment qu’il fait défaut à la Bretagne. On sent bien une certaine fierté dans les regards comme si cet « événement » clouait le bec à tous les présentateurs de la météo.
Les courses succèdent aux courses. Les résultats important peu car personne ne rêvent de sommes folles. Quelques dizaines d’euros discrètement grappillés après un résultat favorable ou des pièces de deux euros ou un billet de dix suffisent à entretenir le mythe dune possible fortune. Chacun conserve son secret et sollicite à mi-voix ses demandes auprès des caissières du PMU. Il n’y a pas de gros gagnants à l’image de cette contrée rude où on ne connaît pas l’argent facile.
L’hippodrome de Rostrenen s’érige en creuset des espoirs ordinaires. L’essentiel n’est pas là mais dans le partage que génère le seul rendez-vous annuel avec le galop, le trot ou le « steeple-chase ». Le public qui garnit les modestes tribunes affiche une motivation très discrète. Faire ses courses n’a rien de calamiteux ou de vénal : à sa mesure, avec ses moyens et surtout avec l’état d’esprit des gens décontractés heureux de sortir de la spirale infernale d’un quotidien fragmenté et désespérant de grisaille. Tout redonne une séquence de bonheur dont quelques-uns profitent avec une mise en bière démesurée. Évoluer anonymement en tendant l’oreille constitue un plaisir exceptionnel.
Un jockey penaud rentre trempé au paddock après un plongeon forcé sur l’obstacle de la rivière. Son commentaire, alors qu’il ôte des bottes remplis d’eau appartient aux dialogues d’Audiard : « Monsieur le Commissaire, je vous le dis, il y a trop d’eau dans la rivière ! » lâche-t-il comme explication à sa mésaventure. Il lui faut aller s’éponger et vider le trop-plein ramené de la piste avant de monter sur la bascule avec le harnachement de sa monture.
« J’attendais un grand huit dans la course et j’ai eu une piste de vélo-cross » affirme un déçu en jetant son ticket perdant dans l’urne de rattrapage. Des jeunes passablement éméchés tentent de confectionner une roue avec tous les verres qu’ils ont éclusés. « Allez les gars annonce l’un d’entre eux, on va leur montrer que l’on n’est pas complètement ronds ! » ; Un gamin poretur du maillot du Barça floqué du nom et deu 10 de Messi supplie sa mère de ne jouer « que le dix ». Cette dernière lui répon du tac au tac : « Désolé mon garçons mais ton Messi il n’a pas besoin de gagner aux courses. Il est blindé ! »
Condensé de ce monde invisible, les présents se pavanent au soleil comme pour effacer des mois passés d’isolement dans les ténèbres. Le bonheur efface toutes les déceptions. Les Bretons aiment le partage réel, la simplicité granitique et la résistance aux modes. Ils respirent le grand air et le sens de l’accueil. Un bain salutaire que je n’avais pas pris depuis belle lurette.
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« Il n’y a pas de gros gagnants à l’image de cette contrée rude où on ne connaît pas l’argent facile. »
Ça ressemble fort à cette citation d’Alexandre Vialatte(un peu comme le pays, d’ailleurs, la mer mise à part) : « L’auvergne est un pays aride où l’argent coûte cher ».
Mais il y en a d’autres qui sont un vrai plaisir : « En Auvergne, il y a plus de montées que de descentes. »
« L’Auvergne produit des ministres, des fromages et des volcans. »
« Munissez-vous toujours de lainages lorsque vous allez en Auvergne. Tout y est aigrelet : le fond de l’air, le fromage, le vin, le son de la vielle. »