Parler de l’immigration reste une exercice dangereux tellement les certitudes prennent le pas sur la volonté de comprendre, d’analyser, de ne pas se contenter de mots de haine et d’exclusion. Dans son film d’animation Alain Ughetto aborde le sujet de l’arrivée des Italiens en France de manière totalement décalée par rapport à la tendance actuelle. Avec légèreté, poésie et un symbolisme sophistiqué il conte sa triste histoire familiale avec un indéniable talent, celui que donne la tendresse pour son passé et l’amour familial. Sans aucune nostalgie il narre la saga de son « nono » Luigi et de son épouse Cesaria avec le soin de ne jamais caricaturer donnant ainsi toute sa valeur au message.
Le poids d’images d’animation extrêmement fluides et maîtrisées combiné à des éclairs de réalité charnelle distille une émotion constante. L’Italie des pauvres, de la misère, de la peur coule dans un récit un tantinet naïf d’un enfant découvrant le monde des adultes. Si l’on ajoute un dialogue entre le petit-fils auteur et sa nonna sans effets de manche ou de style, le résultat prend aux tripes.
La voix envoûtante et lasse mais tellement pudique d’Ariane Asacaride la petite-fille d’immigrés napolitains, ajoute une touche attachante à cette grand-mère ayant traversé l’Histoire avec tant de peines. Le qualificatif de « mémé » démontre que lui attribue son descendant « francisé » résume à lui seul son franchissement définitif des Alpes.
Du Piémont où la misère couvrait la vie quotidienne et où il n’y avait plus de lumière d’espoir, « mémé » Cesaria conserve une seule référence : la qualité de la terre que son Luigi recherchera en vain en France. Pour le reste dans le sillage de son époux qui tentait d’apporter un brin de bien-être à une famille ne cessant de grandir elle va subir les aléas d’une période désespérante. Les guerres d’Ethiopie, celle de 14-18, les affres de la montée du Mussolinisme et pour terminer le conflit ayant ruiné tous leurs perspectives d’installation durable au Paradis marqueront au fer rouge une existence d’un mama italienne accablé par les tâches du quotidien.
Cesaria fait face. Cesaria surmonte tout. Cesaria n’a pas le choix. Elle conte à son petit-fils une histoire inhumaine car ne laissant jamais la place à la sérénité. L’émigration l’ayant déracinée n’a jamais été le choix du confort, la route vers une réussite assurée. La peine dans tous les sens de ce mot envahit chaque plan. Elle couvre le livre de cette fine pellicule similaire à celle de la farine sur la table où se fabrique la maigre et répétitive pitance quotidienne.
Jamais elle ne reviendra surs la trace de ses sabots à Ugheterra après une ultime tentative au creux de la guerre car elle n’y a retrouvé que pauvreté, mort et cruauté du climat et de la société. Elle roule sa pâte à gnocchis des bons jours où laisse son époux partager une patate entre ses cinq enfants quand le sort a été défavorable. La faim l’accompagne, l’insécurité sociale la poursuit, la peur de se retrouver seule face au travail des hommes indispensable à assurer la contraint mais elle franchit les obstacles en laissant chaque fois un peu plus de sa joie de vivre.
Luigi va de chantier en chantier pour survivre. Peu importe les conditions proposées par des recruteurs désemparés face à la pénurie massive d’une main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Après avoir été de la chair à canon il deviendra avec ses frères de la « chair à routes tracée à flanc de montagne », de la matière capable de percer un tunnel ou à construire un barrage. Ce n’est pas pour rien qu’une main immense, puissante, sans lien avec un visage passe souvent la seule véritable richesse de ces ouvriers exploités, des outils dérisoires. La pioche, le pic, la truelle apparaissent sans cesse dans un film célébrant l’effort, la vaillance, la volonté et plus encore la résilience. Les Piémontais ne sont pas résignés ou dociles. ils se construisent un avenir. Ils acceptent les contraintes du présent pour un jour obtenir la revanche de lendemains modestes mais meilleurs.
Des décors d’une stupéfiante imagination offrent un écrin à ces situations dures, éprouvantes mais tellement riches en émotions. La forêt de brocolis, les murs en morceaux de sucre, les maisons citrouilles ou en carton ondulé, le défilé des voitures miniatures de la caravane pourraient être des ersatz artistiques alors qu’ils contribuent à cette atmosphère rappelant sans cesse notre société de l’indifférence.
Le brocolis du pauvre devenu la panacée des régimes des nantis; le sucre que fond les bâtisseurs grâce au savoir-faire d’ouvriers venus d’ailleurs, les abris en cartons des SDF ou la vitrine de la caravane de la consommation rêvée n’ont pas disparu. La réussite d’Alain Ughetto réside dans cette alchimie entre des événements qui dépassent le quotidien et justement la dimension très ordinaire du contexte dans lequel ils se déroulent.
Les neufs vies d’Ezio (1) se retrouvent dans ce qui n’est pas un conte tout fait mais une véritable œuvre de création autour d’existences ordinaires. Les étapes de toute immigration vécue par ceux qui ont été contraints de s’y lancer sont parallèles. L’explication que donne le père à sa progéniture du panonceau proclamant que le café est « interdit aux chiens et aux Italiens » constitue la clé de ce film mémoire. « C’est parce qu’ils veulent nous protéger et que les chiens ne mordent pas les Italiens qui entreraient » explique-t-il pour masquer la triste mais indiscutable réalité du racisme.
Il transpire aussi dans bien des scènes comme le rôle désastreux de la religion abordé de matière directe et forte. Leur dieu protège souvent davantage les Chiens que les Hommes. Il n’y a aucune complaisance dans toutes les situations mais la technique de l’animation image par image donne une douceur aux messages.
Cesaria émouvante et sobre passe le message d’une immigration dernière chance pour celles et ceux qui en empruntent le chemin. En remontant le cours du temps avec son dialogue avec sa grand-mère disparue Ughetto illustre le présent sans en parler et donne la mesure de ce que représente l’immigration sur notre planère secouée par la guerre, la haine, le racismes, les excés du monde du profit et une sophistication néfastes à la simple vie humaine. Les Ritals, les Macaronis, les pipis de cette œuvre faisant de l’éducation civique sans le vouloir, offrent une dimension universelle aux multiples facettes des déplacements de population.
La salle pleine comme un œuf du Cinémax Linder m’a donné du baume au cœur. J’en ai pleuré discrètement dans mon coin avant que la lumière de la raison efface celle des sentiments ressentis. Une centaine de visages me conforte dans la conviction que seuls le dialogue, l’échange, le partage permettront de redonner un sens à la liberté, la solidarité, la fraternité et détruiront l’indifférence. Ce film est fortement recommandé aux chiens racistes et aux Italiens ne souhaitant pas perdre leurs racines.
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Bonjour à tou(te)s. Il ne sera pas dit que J.J. tire plus vite que son hombre… Pas vrai, Laurita? Hombre ou sombre héros.
Ma femme, coordinatrice à la médiathèque d’Eysines est aussi enthousiaste au sujet du film d’Ughetto. J’attends de le voir.
Bon p’tit déj’ les ami(e)s.
@ hola amigo mío…
¡ Hombre que sí ! Y sombrero también…
A +++ car… » j’ai du pain sur la planche à lire ! «
J.J. n’a pas encore eu le temps de lire « Roue Libre » ce matin , juste jeter un œil, il doit être chez le dentiste à 9h 45, et c’est à trente kilomètres.
¡ Salud !
@ à mon ami J.J…
Ay! Ay! Ay!… Madre… ¡ Que pena… ! Et tout ça, au nom des kilomètres et de « l’arracheur de dents » qui, je te le souhaite, n’en arrachera aucune…
La lecture de ce billet, alors que je n’ai pas vu le film, me fait venir les larmes aux yeux. A 6 ans, avec mes parents sans papiers, j’ai connu tout cela et il m’en reste une douleur qui ne peut s’effacer malgré les années. Une partie de ma famille, mon fils, ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas ma radicalité parfois, ma haine des injustices, mon refus du racisme d’où qu’il vienne.
Lorsque je partirai, ma terre d’Italie sera mélangée à celle de France pour ne jamais oublier d’où je viens.
Bonsoir @LAVIGNE Maria !
Si vous avez lu « Les 9 vies d’Ézio », ne vous tourmentez pas: écrit avant ce film, comme l’a reconu l’auteur, l’histoire et bien sùr le but sont les mêmes. Certes, les magnifiques figurines (voir bandeau) et les beaux décors ( maisons en carton, chantiers, montagnes, site de guerre, outils, etc) donnent une autre approche visuelle de l’immigration ou plutôt des immigrations. Un bon film d’animation suivi d’un jeu questions-réponses où l’intervenante nous a apporté » ♪ sa pointe d’accent ♪♪♪ »…très agréable. Quant à l’intervenant, il n’avait retrouvé que sa blouse grise …virtuelle ! ! !
Encore Merci à tous !
Amicalement.
Bonjour,
lorsque je pense à l’Italie je me vois dans ses villes petites et grandes avec partout la présence de l’Art à chaque coin de rue. Le témoignage inscrit sous nos yeux par tous ces artistes et artisans, architectes, peintres, tailleurs de pierre, sculpteurs… Beaucoup d’anonymes et d’inconnus qui ont contribué au rayonnement de ce qui n’était pas encore l’Italie que nous connaissons.
C’est aussi la grande honte du début mars 2020 lorsque débordés par la covid l’Italie appelle à l’aide. L’aide a fini par arriver de … Chine, de Cuba, du Venezuela et aussi de Russie. De France sa voisine RIEN et de l’UE partenaire pas grand chose, la juste colère des Italiens s’est exprimée sans grand résultats immédiats. De France notre grand conducator et sa complice Teutonne répondirent par un refus d’aide et la fermeture des frontières. Bafouant dans le même geste les règles Européennes de libre échange et de soutien mutuel dans les épreuves et aussi le manque de reconnaissance de tout ce que l’Italie a apporté à nos pays.
Pour mémoire, la cartographie interactive du Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises, RETIF a recensé plus de 13 800 tableaux italiens géolocalisés en France. Que seraient nos musées et châteaux sans ces contributions?
viva l’Italia e il suo popolo così simpatico
Bonne soirée
tes larmes étaient déjà dans ta voix