La Maison d’Accueil Spécialisée de l’ADAPT est parfaitement silencieuse. L’été n’existe pas en ce lieu d’accueil permanent pour personnes « cérébro-lésées » après un accident, un AVC ou une maladie neurologique, puisque la climatisation maintient une température constante. Les vacances pour les résident.e.s et le personnel qui les accompagne, explique ce calme général. Les soins en cours dans des espaces extrêmement spécialisés et les ateliers individualisés permettent aux présents de continuer à espérer des moments de soulagement ou de distraction dans une vie quotidienne répétitive.
Dans l’une de ces salles, devant un écran d’ordinateur, Stella tape patiemment avec l’index de sa main droite sur un clavier aux grosses touches colorées. A ses cotés l’ergothérapeute l’accompagne dans ce qui constitue pour elle l’un des plaisirs essentiels. Ce geste simple pour n’importe constitue pour cette jeune femme handicapée une performance. Elle ne s’exprime que par un large sourire lumineux qui traduit ses émotions. Stella aime le monde, la visite, l’échange même si tout dialogue et tout mouvement autre que celui de sa main droite, lui est impossible.
Son envie de communiquer avec toutes celles et tous ceux qui l’entourent, fait d’elle une résidente omniprésente de la MAS. Elle profite de sa capacité à lire et à comprendre ce qui lui est dit pour assouvir sa passion : la poésie! Elle recopie sur un cahier d’écolier les textes qu’elle a écrit avant son accident de la vie. Les vers tracés d’une écriture bleue et fine constituent son patrimoine antérieur qu’elle transcrit elle-même lettre après lettre, sur l’écran devant elle. « Elle tient à cette opération qui va lui permettre ensuite d’effectuer la mise en page de son second recueil » explique son accompagnatrice. Le premier publiée sous le titre « Turbulences » (1) lui procure une légitime fierté. Elle l’a juste à coté d’elle comme une preuve de sa réussite.
Dans la présentation Stella raconte en quelques mots le pire moment de sa vie. La farouche volonté qui l’anime perce dans ce sobre résumé : « J’ai passé 8 ans en centre rééducation suite à un traumatisme crânien dû à une gifle que mon compagnon m’a mise. Après 8 ans de rééducation j’ai réussi à passer le cap de l’acceptation. » Un drame qui l’a finalement conduite dans cette Maison d’Accueil Spécialisée. Elle ne pourra plus jamais en dire davantage. Alors elle écrit : « Si je suis ici, c’est à cause d’une simple baffe,/ et surtout parce que je n’ai pas fait gaffe/.Je croyais en l’amour,/ mais ça m’a blessé pour toujours (…) »
Sur l’écran devant elle les mots portent les réalités de l’existence insouciante de la jeune fille qu’elle a été. L’un d’eux, le dernier qu’elle a écrit et qui décrit son caractère interpelle : « chiante ». Quand on attire son attention sur ce qualificatif elle éclate d’un rire silencieux et ses yeux reflètent une joie manifeste. Stella heureuse que l’on souligne cette appréciation qu’elle a portée en d’autres temps sur elle-même, exprime son bonheur sans modération. Les étoiles brillent dans son regard. On le l’entend pas. Elle brise pourtant le monde du silence auquel elle est contrainte par son sourire.
« Cet équipement spécifique a été acquis avec l’aide du conseil départemental . Nous avons aussi un système informatique qui capte le mouvement des yeux. Comme elle sait parfaitement lire elle peut là aussi lettre après lettre écrire des mots correspondant à ce qu’elle pense. » Impressionnante de volonté, Stella ne renonce jamais à ses passions. Elle vit tout et le plus à fond possible. Tout l’enchante. Tout lui paraît important à vivre. Plus rien ne lui fait peur. Elle rentre de vacances en Espagne organisées par la MAS. « Elle a failli ne pas pouvoir partir confie Yannick. La batterie de son fauteuil était d’un niveau plus élevé que la norme autorisée dans un avion. Il a fallu lui trouver un autre fauteuil et la ramener le lendemain à l’aéroport. Et finalement elle a pu effectuer son n séjour. » La jeune femme apprécie et offre « son » éternel sourire en preuve de sa satisfaction.
Léa l’une des résidentes de la MAS la présente ainsi dans le premier recueil de poèmes : « Je peux dire que la rencontre avec « Stella » est ma plus belle rencontre (….). Au quotidien, c’est une personne joyeuse qui m’aide à relativiser dans mes moments difficiles car elle semble avoir accepté son handicap. Je suis admirative de l’évolution qu’elle a pu faire pour l’accepter(…) ». Certes. Mais en tapant lettre après lettre Stella a gravé dans la durée ses espoirs sur une page blanche.
« Il y a maintenant bientôt trois ans j’ai eu un accident. Depuis ma vie est en chantier. Je ne fais plus ce qu’il me plaît Désormais, je ne fais que rêver qu’un jour je remarcherai. Mais au fond de moi Je sais que ça n’arrivera pas. La vie en a décidé ainsi. Tant pis, J’ai beau travailler je ne pourrai plus changer (…) C’est comme ça. Ce n’est pas facile, mais avec de la volonté j’y arriverai. Avec les années je gagnerai ce dur combat que la vie m’impose et seulement après, je prendrai une longue pause. Ma vie reconstruite, je rangerai alors mes outils Je m’en servirai seulement pour bricoler de jolis moments avec les miens. »
Ah ! Qu’il est beau et triste à la fois le sourire de Stella !
(1) https://www.bookelis.com/poesie/43090-Turbulences.html
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Très triste en effet !
mais que Vive Stella.
Gilbert de Pertuis
Merci Jean-Marie pour ce texte-témoignage. Stella est la plume de Katia dont, hélas, l’histoire nous ramène à la trop souvent brutale relation homme-femme.
Merci aussi de rappeler l’implication du Département.
Je ne sais trop quoi dire à la lecture de cette histoire tragique et magnifique à la fois.
Magnifique message à méditer par les acariâtres qui se plaignent de tout, mais surtout de rien…
Impressionnante volonté de surmonter et évoluer. Cette dame mérite le soutien de notre estimable département.
Magnifique et belle Katia Stella ou Stella Katia dont le sourire illumine chacune de mes visites à mon Jean.. Dès que j’arrive, elle vient me saluer et je sais qu’elle vient dire bonjour à Jean tous les jours ou presque.. J’ignorai ton histoire Chère Katia et je suis bouleversée car tu ne laisses rien transparaître sinon ce magnifique sourire.
Réserve moi Turbulences que tu me dédicaceras… Avec toute mon amitié. Maman de Jean.