La question apparaîtra dès que la campagne des législatives sera terminée et que l’on aura retrouvé le rythme habituel. Si l’on renverse la phrase célèbre de Tristan Bernard après son arrestation par la Gestapo, à partir de lundi « nous vivions dans l’espoir et maintenant nous vivons dans l’angoisse ». Elle va s’insinuer dans tous les secteurs de la vie sociale comme le ferait un virus. L’angoisse des fins de mois, l’angoisse des conséquences du réchauffement climatique, l’angoisse du conflit ukrainien et le retour de l’angoisse de la Covid… celles et ceux d’un camp ou d’un autre qui pensaient que le scrutin des législatives allait tout régler devront déchanter ! Les problèmes essentiels s’aggravent et il sera bien difficile de les endiguer.
Une vaste crise financière se profile avec des conséquences lourdes sur la vie quotidienne des pays évolués pieds et poings liés avec le boulet de leur endettement faramineux. Les particuliers sont dans le même cas avec des dettes à long terme qui pèsent comme une lourde dépense obligatoire sur leur budget. Comme les bulles qui remontent à la surface de l’eau paisible des étangs, ces engagements pour l’achat du foncier et du bâti va vite secouer les classes moyennes. Souvent les contrats signés pour une construction sont en plus fortement impactés par des surcoûts liés aux matières premières. Et ce n’est pas fini.
Dans la précipitation la Banque centrale européenne a convoqué les doctes gouverneurs des entités nationales pour activer le levier du relèvement des taux. Il n’est plus possible de « gratter » de l’argent bon marché et la fuite en avant pour tenter d’étouffer une inflation galopante. Ces dernières années, la politique de la BCE consistait à pratiquer des taux directeurs très faibles pour stimuler la consommation et l’investissement et essayer de doper cette foutue croissance affaiblie en Europe durant la pandémie. Empruntez ! Empruntez ! Les fameux emprunts du « quoi qu’il en coûte » garantis par l’État qui ont parfois été utilisés pour autre chose que le sauvetage des entreprises vont avoir du mal à retourner en France vers les banques.
La pagaille est venue de l’inflation dont les racine se trouvent dans l’augmentation des tarifs des fournitures en matière d’énergie puis de la guerre en Ukraine. Elle a atteint 8,1% sur un an en mai dans la zone euro et continue à grimper . Du jamais-vu depuis l’instauration de la monnaie unique et un niveau quatre fois supérieur à l’objectif de la BCE, qui doit maintenir l’inflation à 2 % pour éviter une hausse des prix incontrôlable. C’est déjà trop tard. La BCE a donc choisi de relever ses taux d’intérêt, ce qui doit décourager l’emprunt des particuliers et des entreprises, ralentissant de fait l’économie et, in fine, la hausse des prix.
Bref le résultat des législatives connu, quel qu’il soit, il n’y aura plus que quelques semaines avant que les décisions impopulaires arrivent. Beaucoup n’appartiennent pas (et c’est ce que l’on doit regretter) à la gouvernance française et même européenne puisqu’il a suffit hier que la réserve américaine hausse le niveau de ses taux pour que les autres se rallient. Qu’on le veuille ou non la politique se fait encore à la corbeille » puisque la « finance » mondialisée pèse partout sur les décisions politiques.
Dans le contexte actuel et futur de graves interrogations naissent de l’affrontement en Ukraine. Si l’on parle du courage, de la ténacité et de la résistance du peuple de ce pays envahi par les Russes les moyens matériels mis à sa disposition par les Européens risquent vite de s’étioler. D’abord parce que les stocks d’armes disponibles s’amenuisent et risquent d’affaiblir grandement les systèmes de défense nationaux. Il ne fait aucun doute ensuite que financièrement même en fanfaronnant, la hausse des taux d’intérêt de dettes colossales risquent fort de gêner les « donateurs » mis à mal budgétairement. Etranglée par sa dépendance énergétique et écrasée par le poids de ses engagements financiers l’Europe aboie de loin.
Les sanctions contre Poutine ont un effet boomerang. Poutine a dans le fond intérêt à entretenir aussi longtemps que possible ce conflit. Chaque jour qui passe martyrise davantage les Ukrainiens mais aggrave la situation de ses « alliés ». Famine déstabilisatrice potentielle en Afrique et au Moyen-Orient ; pression chinoise sur Taïwan pour ouvrir avec l’accord de la Russie un second front contre les Américains, raréfaction énergétique et surenchère chinoise aux achats de matières premières ; dévaluation du dollar accentuée par la menace de récession, menace réelle de conflit nucléaire localisé, une pandémie sans fin, un réchauffement climatique dévastateur : les lendemains risquent fort de déchanter. Les réactions en chaîne risquent bel et bien d’échapper à la totalité du monde occidental et pendant ce temps la Chine attend son heure…
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Même inversée la citation « … la phrase célèbre de Jules Renard après son arrestation par la Gestapo, … « nous vivions dans l’espoir et maintenant nous vivons dans l’angoisse ». » serait de Tristan Bernard et non pas de Jules Renard (source Wikipédia). Cela n’enlève rien à la véracité de la très belle lettre « Roue libre » du 17/06/2022 de Jean-Marie Darmian et à sa grande capacité de résilience communicative. Encouragements, remerciements et salutations distingués.
Cher Jean-Marie…
Lorsque tu écris » Comme les bulles qui remontent à la surface de l’eau paisible des étangs… » tu parles de la vision bucolique de ce site qui nous appartient et sur lequel nous prenons plaisir à échanger !
Mais voilà que… les nuages noirs s’amoncellent, devenant de monstrueux géants prêts aux combats ! Nous sommes au bord de cette 3e guerre mondiale que je n’aurais jamais voulu connaître ! Lamentable période choisie par Poutine qui nous y conduit tout droit…
Une variante à « les chiens aboient, la caravanes passe »
Comme on disait à la Renaissance en Italie :
« le Titien aboie, le Caravage passe «
Prophète de malheur, babillarde dit on…
Je m’inquiétais depuis longtemps de cette désinvolture avec laquelle on distribuait (sans parcimonie et pas toujours à bon escient, comme dans la blague corse) des crédits à des taux insolitement bas, et j’envisageais avec effroi le jour où les taux se mettraient pour une raison ou une autre inexorablement à remonter.
J’aurais bien aimé me tromper dans mes prévisions (hautement prévisibles).