Le moment où les anciens élèves d’une école publique d’un village se retrouvent des décennies après avoir posé sur les photos de classe reste un moment privilégié pour celle ou celui qui les observe. La gêne de ne pas pouvoir reconnaître un visage. A l’inverse la joie d’être reconnu(e). L’échange sur des parcours de vie parfois très éloignés dans le temps et surtout déroutant dans leur déroulement prend, alors des allures de confession difficile. Il suffit alors de quelques mots évoquant un souvenir commun pour que tout s’efface et que le sourire revienne. Ces moments quand ils existent sont formidables dans une société qui a la mémoire d’une linotte.
Dans une ruralité où les affrontements entre les « nouveaux » et les « demeurés » s’enveniment chaque jour un peu, l’évocation du creuset commun que fut l’école pour justement toutes les familles installées sur un territoire, a valeur de symbole. Celle de mon village natal a joué un rôle considérable pour une grande majorité des élèves qui l’ont fréquentée. Les retrouvailles permettent justement de mesurer combien la « communale » des années 50 et 60 a apporté à l’éducation au sens large des enfants qu’elle accueillait. La diversité des cheminements individuels en atteste, et sans être exceptionnelle la réussite a été au rendez-vous. Alors que les partants vers le collège se comptaient sur les doigts d’une main, tous les autres ont trouvé un chemin plus ou moins aisé pour se construire un avenir.
Bien évidemment au cours d’une journée de partage des souvenirs, le rappel de la place tenue par les instituteur(trice)s reste essentielle. Pas un(e) seul(e) des présent(e)s quel que soit son âge, n’a oublié le nom des femmes et des hommes qui les ont accompagnés sur la route des apprentissages scolaires. Attachés à leur école dans laquelle elles exerçaient parfois durant une grande partie de leur carrière, ces « personnalités » locales avaient l’avantage considérable de montrer l’exemple. Pour eux la citoyenneté n’était pas un mot abstrait mais en s’investissant dans l’éducation populaire, des amicales laïques, dans des patronages, dans des clubs sportifs et dans le monde syndical pour un grand nombre, ces « instits » montraient la voie sans jamais avoir à en justifier l’intérêt.
En revoyant les clichés de ces moments tellement « ordinaires » tellement désuets, mais tellement précieux, les yeux se sont embués. Entendre par exemple deux copains octogénaires recenser avec jubilation les joueurs d’une équipe évoluant sur un pré réellement dévolu aux vaches dans la semaine paraît irréel ou surréaliste quand on connaît les exigences des temps actuels en matière d’aire d’évolution. « Tu te souviens de la douche ? Un tuyau percé de trous tous les cinquante centimètres pour laisser passer l’eau froide.. » explique en riant aux éclats Gilbert qui partira le dernier après avoir téléphoné soixante années plus tard, à une « ex-copine » immobilisée chez elle avec laquelle il dansait dans les bals des fêtes locales aujourd’hui disparues. Tellement émouvant.
Ce qui serait qualifié de ringard, dépassé, débile rappelle alors que l’essentiel était sur le principe qui motivait ces initiatives : rassembler autour de valeurs communes. Si rien n’était matériellement ou techniquement parfait, la participation à une œuvre collective l’emportait sur tout le reste. Une journée de partage tient de la même veine et s’inscrit dans cette continuité. Arès des semaines de recherche pour retrouver les maximum d’anciens élèves en voir arriver un week-end ensoleillé de Pâques une quarantaine scolarisés à Sadirac il y a au minimum soixante ans auparavant, offre une belle récompense aux organisateurs. Quant une vingtaine d’autres pour des motifs impérieux s’est excusée, l’initiative prend encore plus d’intérêt, démontrant que le passé reste essentiel dans la compréhension du présent et que si on offre des plages pour le laisser s’exprimer sa resurrection satisfait bien des gens.
Rien d’un passéisme forcené. Rien de réactionnaire. Simplement l’envie de sortir du pessimisme ambiant, d’offrir une pause dans la tempête des temps présents, de laisser vagabonder des mémoires que l’on pense souvent défaillantes. L’actualité renforce le sentiment que nous sommes souvent coupables de ne pas vouloir transmettre ce que l’on a vécu, ce que l’on sait, ce que l’on a ressenti. Je suis de ceux qui prétendent que l’expression « autrefois c’était mieux » n’a aucun sens sur le plan matériel mais prend tout son intérêt pour les valeurs qui existaient alors. Sans être idylliques elles étaient au moins concrétisées dans le quotidien quand aujourd’hui ils est dérisoire de les évoquer tellement elles sont méprisées. Dans le fond je partage vraiment l’avis voulant que la nostalgie surgisse quand le présent n’est pas au niveau des souvenirs de notre passé.
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Excellent texte qui reflete bien l’ambiance de cette journée!!! un plaisir de revoir des têtes oubliées mais pas les noms……
Un grand merci à ton frère aussi pour son implication!
Quel beau prénom Manolita !
Très bonne soirée
Bien cordialement
Merci