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Le rocker qui tenait à sa chevelure symbole (4)

La coiffure constitue le signe évident, pour celui qui a été épargné par la calvitie, du sens des relations humaines. Avec un brin d’attention elle permet de mesurer le rapport que peut avoir une personne avec la société dans laquelle elle évolue. Depuis que Dalila a trahi ce pauvre Samson en lui coupant ses sept tresses il est mal vu d’accepter de voir ses cheveux coupés en quatre. Bien des ceux qui furent jeunes quand je l’étais, avaient une idée courte : laisser toute liberté à leur tignasse.

Une forme de révolte visible à l’égard de l’ordre établi et surtout la pression sociétale sur la bienséance. La vogue hippie représenta à cet égard l’illustration parfaite de ce sentiment que la contestation allait de pair avec la longueur et le dédain de l’entretien de la chevelure. Dans bien des familles le « faut-il les couper ou les laisser pousser ! Vas te faire couper les cheveux! » a constitué de vigoureux sujets de discorde. La marginalisation avait un certain charme surtout lorsque les rockers adoptèrent la coupe ondulée ou déstructurée. Le clan des poètes (n’est ce pas Christian ?) s’y mit aussi en adoptant le halo vaporeux à la Léo Ferré. L’indépendance se gagnait à coups de centimètres de cheveux refusés aux ciseaux du coiffeur.

Je n’eus jamais le privilège d’avoir le choix puisque l’entrée dans le monastère laïque de l’Ecole Normale décida pour moi. Un élève instituteur avait des obligations en la matière et tout signe ostentatoire en matière capillaire pouvant relever des catégories ci-dessus, était banni. Il fallait une coupe légèrement moins sévère que celle que l’armée exigeait de ses recrues. Lorsque le jour de la rentrée de 1963 se présenta Serge Coulaud il y eut quelques regards envieux. Il affichait une superbe chevelure blonde conforme aux standards du showbizz d’alors. Un « Johnny » ayant comme pseudonyme celui de Vince Rilway par référence à deux de ses idoles arrivait au château Bourran.

Nous eûmes vite le sentiment que « ça n’allait pas le faire ! » compte tenu des critères en vigueur. Il fut illico convoqué chez le « Benêt » (1). Il expliqua en pure perte que sa carrière artistique exigeait ce look un tantinet subversive en ce lieu austère et dut s’engager à la ramener aux normes exigibles pour un instituteur. Déjà que le port quotidien de la cravate n’avait pas trouvé grâce à ses yeux il s’engagea sur des promesses de raccourcicement avec l’espoir de gagner du temps. Le combat fut rude et s’étira tout au long du premier trimestre avec de multiples convocations chez le « surgé » !

Les négociations portaient sur quelques centimètres retirés à l’opulente toison d’or. Il fut ensuite question de millimètres. Vince Rilway faisait de la résistance capillaire passive en allant tous les 15 jours chez son coiffeur. La lutte était trop inégale. Elle usa le rocker bordelais pris entre sa passion et son devoir. Sacrifier sur l’autel de son avenir dans l’éducation ce qui faisait sa fierté lui parut impossible. Il finit pas démissionner et filer vers un lycée plus indulgent en cours d’année. Il perdait le bénéfice du concours à cause de sa chevelure !

De longues années plus tard je le retrouvais. Le portrait de Johnny Halliday bien en vue sur son tee-shirt, Serge était célèbre à Bordeaux. Après avoir été chanteur de twist, il était devenu encyclopédiste du rock et des rythmes électriques qui se sont développés après la seconde Guerre Mondiale. Sa passion était tellement chevillée à sa guitare qu’une fois sa carrière d’artiste terminée, ce rocker de la première heure avait ouvert une boutique spécialisée à Bordeaux, «Diabolo Menthe», qui devint une référence dans le milieu. Il était passé à quelques cheveux d’une carrière qui aurait probablement était moins fun ! Quelques années plus tard il aurait cependant pas eu autant de problèmes puisque la tolérance de 68 changea bien des repères antérieurs.

La fameuse coupe d’incorporation au service militaire avait un impact similaire puisque bien des soixante-huitards « frais » ou « attardés » y laissèrent leurs illusions. D’ailleurs les plus prudents anticipaient ce moment douloureux en sollicitant de leur « capilliculteur » attitré un débroussaillage préalable afin que la surprise soit moins grande. J’en ai pourtant vu face à la glace des lavabos collectifs s’effondrer en constatant les dégâts ! « Je me sens tout nu ! » me lâcha un habitué des barricades en septembre 1968. Son moral était parti avec sa chevelure qu’il avait amenée sous les drapeaux volontairement comme un acte de résistance.

Désormais l’acceptabilité de la « boule à zéro » a vraiment progressé. Les interprétations de ce choix du « rien » plutôt que du « tout » restent pourtant très diversifiées. Certains « crânes rasés3 ont à juste titre bien mauvaise réputation. Les fameux skinheads de la classe ouvrière anglaise, accoutrés de rangers et bombers, se sont fabriqué une identité à l’opposé des “chevelus” (ou hippies) de la classe moyenne ou intello. Pour beaucoup, ce nouveau look n’était rien moins que menaçant, et le devint pourtant par la suite lorsqu’il fut récupéré par la mouvance raciste et néo-nazis. Alors… on peut contrairement à la chanson d’Antoine avoir les idées et les cheveux très courts.

(1) le Directeur en langage normalot

Le bandeau porte la signature de celui qui avait le nom de scène Vince Rilway… sur ma carte de promotion. 

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Cet article a 13 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Ce « Roue Libre » du jour me replonge dans ce passé où, en mai 68, certains maoïstes faisaient leur révolution en « coupant les cheveux en 4″…

    1. christian grené

      Et moi je roulais en 4 CV.
      Abrazos. Me voy pasar ahora una IRM. Hasta la proxima!

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à Christian
        Et moi… en 2 CV, même que j’ai épousé un mécano qui les répare encore aujourd’hui…
        ¡ Porqué vas a pasar una IRM ? Me lo dices par email… ! Un fuerte abrazo (pronto te mandaré para corregir…)

  2. J.J.

    le « Benêt » : le Directeur en langage normalot. Chez nous c’était le « Pif » ou » Arrrrow ! », avec obligation de rouler les R, et en faisant un mouvement tranchant de la main.
    Il s’en prenait rarement à nos coiffures, qui à cette époque étaient encore « sages », contrairement à l’adjudant de compagnie qui lançait parfois un
    – » Faudra voir à aller au coiffeur. »
    À quoi l’intéressé faisait parfois cette réponse pas toujours appréciée :
    – « Mon adjudant, il faut dire : On va au bordel , mais on va chez le coiffeur ».
    Par contre, le dirlo faisait la chasse au naissantes barbes éventuelles :
    – « Pas plus d’une par promotion. »

    1. Laure Garralaga Lataste

      « avec obligation de rouler les R… » ! ! ! Mais alors, tu parles parfaitement l’espagnol… ? Quant à l’adjudant… il avait oublié que la vache va au taureau…!
      Quant à l’intéressé en question… c’était un intello… nom courant pour désigner un intellectuel !

      1. christian grené

        La vaca va al toro pendant que le torero agite son chiffon rojo?

        1. J.J.

          À propos de vaca, j’avais beaucoup aimé la remarque des vendangeurs espagnols avec lequels nous mangions chez un ami qui les employait, en voyant présenter du bifteck cuit « à la française » : « la vaca va andando » .

          ¿ Que tal con el IRM de esta mañana ?

          1. Laure Garralaga Lataste

            @ à J.J.
            ¡ Lo escribes y lo hablas !

          2. Laure Garralaga Lataste

            @ à J.J.
            pour le bifteck… c’est de l’histoire ancienne car les jeunes se sont francisés…

        2. Laure Garralaga Lataste

          @à Christian
          ¿ Qué tal estás ?

          1. J.J.

            Laure @ pour le bifteck… c’est de l’histoire ancienne car les jeunes se sont francisés…

            Je ne prétends pas que c’est récent, je vous parle du temps où l’on vendangeait à la main, du temps de mon ami Abel qui nous a quittés depuis longtemps …une occasion de se souvenir des vieux amis.

  3. MICHEL DEGRAVE

    Certains qui n’aimaient pas ma coupe de cheveux à cause de la longueur m’avaient surnomé Hector (alias « le chopin du twist »). D’autres m’ont baptisé Leny pour d’autres raisons…
    Mais je voulais juste revenir sur « Benêt » : le Directeur en langage normalien. Un ancien m’avait affirmé que le chafre avait été donné à un prédecesseur qui abusait de la formule « nota bene ».

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Michel
      Être comparé à Chopin… quel honneur !

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