Il faudra bien un jour où l’autre que notre société remette en question un certain nombre des principes qui guident son évolution. Cette remise en cause urgente n’intervient, la plupart du temps, que sous la pression d’événements (le réchauffement climatique par exemple) mettant en cause directement notre confort apparent. Changer les mentalités reste la plus exigeante des philosophies, car elle nécessite des efforts considérables. Alors, pour se donner l’illusion de l’efficacité, les responsables sociaux pondent des milliers de textes, règlements, normes, contraintes, pour s’assurer que leurs certitudes se transformeront en réalités. Les prises de position reposent trop souvent sur des concepts simplistes destinés à satisfaire le plus grand nombre, car ils sont inspirés par une rassurante facilité d’élaboration. C’est ainsi que notre monde se veut celui de la… vitesse.
Il n’existe plus un seul secteur de l’activité humaine où on ne lutte pas frénétiquement pour réduire l’influence du temps. On vante partout les vertus de tout ce qui se fait vite ! Les lignes à grande vitesse (LGV) pour les déplacements ; la restauration dite « rapide » pour la nourriture ; les « primeurs » pour la production ; la réduction constante de la durée des débats, des articles de presse écrite, des reportages radio ou télé, diminution de tous les délais pour els travaux…. et tant d’autres secteurs dénotent l’imminence d’une catastrophe. Tant d’autres facettes du quotidien font que le jugement se fait en fonction de la rapidité des actions et plus jamais sur leur impact sur la vie des femmes et des hommes qui les subissent.
La qualité serait basée sur la réduction de toutes les durées. On ne se pose même pas la question des conséquences réelles de cette propension collective à accélérer tout ce qui peut l’être. Et pourtant… elles sont profondément néfastes pour l’avenir même de l’Homme ! Dégâts sur l’environnement, destruction du lien social, déperdition de la qualité, impact terrible sur la santé, perte de l’identité, valorisation de l’éphémère : combattre ces phénomènes n’a rien de rétrograde. Une nouvelle conception du temps progresse de manière fulgurante dans les esprits : la journée, la vie entière, s’organisent autour du temps de travail subi ou volontaire car il procure un statut social, des revenus, et c’est autour de lui que les autres temps (loisirs, repos, vacances) se composent.
Pourtant, sa part réelle dans la vie de chacun ne cesse de diminuer. Selon l’INSEE, si tous les individus de plus de 18 ans travaillaient, chacun y consacrerait à peine 3 heures par jour. Ce temps, considéré comme dominant, ne l’est plus dans les faits. Mais nous n’avons pas encore adopté une nouvelle valeur pour le remplacer. C’est l’une des causes de la crise actuelle.
L’ère industrielle s’est fondée sur un credo : gagner du temps ! Mais la technologie bouleverse les données : la durée s’efface devant l’instantané. L’informatique permet de communiquer » en temps réel » avec le bout du monde. Nous devenons une société d’insomniaques. Le temps perd sa valeur d’étalon du travail : les contrats où la rémunération dépend du résultat se multiplient. Nous courons en considérant que le salut passe par la maîtrise du temps, grâce à la vitesse.
Nous dépensons des milliards pour gagner des minutes sur un trajet entre Bordeaux et Paris et nous allons en dépenser bien d’autres pour aller de Bordeaux à Toulouse, alors que nous en perdons beaucoup plus au quotidien dans les embouteillages, à quelques kilomètres de notre domicile. Il faut plus de temps matin et soir pour aller de Créon à l’aéroport que de l’aéroport sur le continent africain à la même heure.
Nous comptons les secondes en nous donnant l’impression que notre vie en est…allongée ! En fait, une contestation de ces certitudes, portées par l’opinion dominante, est en train de naître : la lenteur salvatrice ! De plus en plus de décideurs ou de sociologues argumentent sur les vertus de ce qui est considéré comme un handicap, alors que ce peut être un atout dans tous les secteurs de la vie collective. Ce n’est pas un retour en arrière débile mais une adapation de la vie sociale à de nouveaux enjeux raisonnables essentiels pour la qualité de vie.
Un mouvement dit « slowfood » pour la nourriture, a été vite complété par un autre beaucoup moins connu qui a ses origines en Toscane et qui porte le nom de « Cittaslow » (1). Il s’agit d’une conception politique globale, servant de base à toute gouvernance locale. Des villes (2) cultivant la « lenteur » quand d’autres dépensent des sommes folles pour vanter la vitesse devient, non pas une idée réactionnaire, mais un concept révolutionnaire ! Concevoir la vie autrement, hors des schémas traditionnels, refuser la vitesse comme élément de référence, faire de la lenteur organisée une valeur essentielle suppose en effet une forte dose d’indignation permanente, allant à l’encontre des théories portées par la quasi totalité des aménageurs.
(1) Les principes de Cittaslow sont ceux d’un véritable programme politique appliqué par plus de 150 villes de moins de 50 000 habitants dans 25 pays sur les cinq continents. Il a adopté un manifeste qui comprend 70 recommandations et obligations pour les villes candidates comme par exemple :
la mise en valeur du patrimoine bâti existant, la propreté de la ville,
la création d’espaces verts, d’ espaces de loisirs, de voies vertes,
le développement de commerces de proximité,
la participation des citoyens au développement de leur ville,
le développement de la solidarité intergénérationnelle,
la priorité donnée aux infrastructures collectives, avec des équipement adaptés aux handicapés et aux différents âges de la vie,
la préservation et le développement des coutumes locales et des produits régionaux,
la réduction des consommations énergétiques, la promotion des technologies vertes,
la diminution des déchets et le développement de programmes de recyclage,
la priorité donnée aux modes de déplacement non polluants et aux transports en commun.
(2) Créon a été la troisième cité française en 2012 à mon initiative ayant obtenu après un examen serré de sa politique municpale le label Cittaslow
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OK Jean-Marie
Il faudra leur réapprendre : qui veut voyager loin ménage sa monture et, pour notre plaisir : chi va piano, va sano e chi va sano va lontano …
Mon amitié,
Gilbert de Pertuis
Bonjour l’ami Darmian,
Il est bien vu ton billet d’aujourd’hui : c’est bien la « description concrète d’une situation concrète ».
Mais pas assez théorique : quel dommage que plus de 100 ans après le congrès de Tours, et malgré les références marxistes de Guesde, les ex-socialistes (sociaux-démocrates donc) ne soient pas Marxistes.
La « loi de la valeur », qui établit que la valeur d’échange d’un bien ou d’un service est fonction du volume de travail vivant dépensé dans sa fabrication, serait d’une grande utilité dans ton billet pour décrire l’obsession du capital de réduire le temps de travail nécessaire à la production, pour faire plus de profit sur sa vente.
L’obsession de la vitesse se trouve dans cette logique.
Et tant que le capitalisme ne sera pas abattu, l’éloge de la lenteur (que tu présentes comme un nouveau bien commun de l’humanité), ne pourra jamais être suivie d’effet concret, quelle que soit la bonne volonté de la puissance publique.
Car depuis la fin des 30 glorieuses, la marge d’application de l’Etat-Providence (ici la commune-providence), s’est bien trop rétrécie pour permettre ces améliorations (qui, comme dirait sûrement Macron, couteraient un « pognon de dingue »)
@ à nos 2 amis Gilbert et Bernard qui se lèvent tôt…
Bonjour les amis, comme vous le soulignez tous deux : « il est grand temps de remettre la lenteur » à la mode… !
Lorsque je regarde en arrière, ce qu’à mon âge je fais souvent, je me rappelle mes engagements militants passés qui m’avaient orientée vers le PSU, petit parti de gauche où, à l’époque déjà (après mai 68), nous posions l’urgence du problème qu’il y avait à débattre sur « croissance ou décroissance » ? De cette riche période j’ai retenu que « convaincre » n’est pas chose facile et naturelle… Dommage qu’il faille arriver « au pied du mur » pour comprendre l’impérative nécessité de l’effort qu’il nous faudra déployer pour le gravir.
Saint Exupéry avait déjà observé il y a presque 80 ans cette lamentable évolution : gagner du temps, et il l’illustre dans « Le Petit Prince ».
Bonjour « , dit le petit prince.
» Bonjour « , dit le marchand.
C’était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.
» Pourquoi vends-tu ça ? » dit le petit prince.
» C’est une grosse économie de temps « , dit le marchand. » Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine. »
» Et que fait-on des cinquante-trois minutes ? »
» On en fait ce que l’on veut… »
» Moi, se dit le petit prince, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… «
@ à J.J.
Quand la lenteur se fait poésie…
Merci à toi et à ce « petit prince »…
Bien sûr que l’éloge de la lenteur est une forme de contestation très utile, car très subversive. Elle va effectivement à rebours de toute logique capitaliste et c’est très important, aujourd’hui que la planète et l’humanité sont au bord du gouffre, que cette contestation se concrétise dans notre cadre de vie de tous les jours, nos communes.
Mais, selon moi, cette contestation peut et doit s’étendre au travail, dans le sens du travail subordonné à un patron, qui serait, selon beaucoup de politiques, un droit à la vie sociale, collective, bien sûr, mais quasiment à la vie, tout court.
Eh bien, j’ai eu une vie de travail et une vie syndicale, et le retraité que je suis en est arrivé à penser que la contestation de la forme de travail subordonné, que l’on veut toujours plus productif, toujours plus étendu (attaques incessantes sur les retraites et le temps de travail), doit revenir au cœur du combat syndical.
Nous savons tous que nombre « d’importants » vivent comme des princes, comme le play-boy de Dutronc, sans avoir jamais travaillé de leur vie, ni avec leurs mains, ni avec leurs pieds.
Beaucoup de retraités ont le sentiment de n’avoir jamais travaillé autant quf depuis qu’il ont quitté leur activité professionnelle : activités associatives, bénévolat, accompagnement et soins à leurs aînés, enfants ou petits-enfants, entretien maison, bricolage etc.
De même la reconnaissance du travail des mamans (ou papas) au foyer, des épouses d’artisans, tout cela n’est malheureusement pas très nouveau.
La notion de travail, clef de tous les droits (exclusivement pour les petits, bien sûr) doit être revue et contestée… rapidement…
Bonjour Philippe,
Plus le temps de travail se réduit et plus sa réalisation devient ambigue.
Il devient urgent dans le cadre des transports LGV de revoir son financement. La politique de la ville ne peut pas dicter sa loi à la politique des territoires.
@ à Philippe
Bien vu !
La grande différence entre actifs et inactifs (quel mot inapproprié !), c’est que les retraités, quel que soit leur âge, ont enfin le pouvoir de faire le choix du temps qu’ils assignent à leurs investissements et à leurs activités !