Ils étaient venus ! Ils étaient tous là ! Arrivés par groupes, à pied, en vélo ou en autos vite devenues immobiles, les conquérant.e.s de la place ombragée avec vue directe et lointaine sur le macadam ont progressivement envahi Créon, le temple girondin de la pratique du vélo. Ces sujets de la Petite Reine convergeaient pour un pèlerinage annuel dédié à Saint Tour, celui qui a réussi à réconcilier les masqués et les autres, les vaccinés et les réfractaires. La quête du meilleur lieu pour s’installer en prie-dieux de la pédale a battu son plein en début d’après-midi pour s’intensifier au moment où furent annoncées les « chenilles » processionnaires jusque-là seulement entrevues à la télé.
Les gamin.e.s les plus impatient.e.s précédaient dans des rues désertées par les automobiles, des parents déjà sous pression, tentant de s’approcher au plus vite du ruban gris fraîchement rénové du boulevard Victor Hugo qui constitue partiellement la vaste roue entourant la ville bastide. Tout un symbole puisque c’est lui, le poète révolté qui a le mieux synthétisé l’état d’esprit de cette grande messe du cyclisme avec son vers célèbre : « ceux qui (sur)vivent sont ceux qui luttent» ou au moins ceux qui font semblant de lutter !
La Grande Boucle avait reçu la veille de son passage dans Créon, le Président de la République attiré par les cols laïques et obligatoires permettant des escapades au long cours. Mais au moment où des milliers de « croyants » dans les performances du vainqueur du jeudi de l’ascension en Pyrénées se pressaient entre Morcenx et Libourne, il visitait Lourdes où parait-il l’eau en bidon vainc toutes les défaillances du corps. Le cordon ininterrompu des ouailles du Tour, tout le long du trajet, démontrait que justement le peuple ne se fait jamais prier et ne se soucie guère de la réalité « raisonnable.» Il veut vivre librement un rêve de gloire facile!
Chacun recherche l’emplacement correspondant à des objectifs bien différents les uns des autres. Il suffit de tendre l’oreille pour constater que beaucoup ne sont là que pour les marchands du temple. Les « missionnaires » professionnels de la pratique cycliste ne les préoccupent peu. Tenant le petit-fils ou la petite fille par la main, les papis ou les mamies se placent à partir du critère de la réception potentielle de présents distribués comme du pain béni par les itinérants du spectacle publicitaire. Ils expliquent leur stratégie aux enfants en se répartissant entre la droite et la gauche de la…route. Ils incitent le « petit » à agiter le bras ou à quémander une « friandise » gratuite jetée du haut d’un camion agencé en char de carnaval.
En fait la fameuse caravane qui a horreur du désert signe d’indifférence du public à son message? n’avait plus grand chose à lancer sur les bas-cotés en cette antépénultième étape. Ces « chameaux » de distributrices (ce sont le plus souvent des jeunes filles) d’objets publicitaires semblaient forcément ignorer la boulimie des adultes prêts à tout pour en récupérer le plus grand nombre. Stockés dans une casquette, alignés à même le sol, conservés dans un sac prévu à cet effet ils constituent pourtant de précieux trophées ou des trésors similaires à ceux que les pirates entassaient sur des îles secrètes.
Avant que n’ouvre, au son des klaxons ou des sirènes d’alerte des services de sécurité précédant les plus véloces des fuyards parmi les ex-forçats actuels de la route, la période réputée sportive, les collecteurs comparent leur butin et découvrent son inutilité ou sa maigreur. Dans le fond, les échappés et ses poursuivants restent pour bon nombre d’entre eux la partie subalterne de la journée. Quelques-uns commencent même à replier les tables du pique-nique ou les fauteuils ayant permis de patienter confortablement. Pour eux la communion du jour s’achève quand le peloton publicitaire a tiré sa révérence.
Les plus expérimenté.e;s savent en effet que les avaleurs de kilomètres à près de 50 kilomètres/heure ressemblent à des étoiles filantes que l’on aperçoit que quelques dixièmes de secondes. Impossible de les identifier sauf s’ils possèdent un maillot très voyant. Le jaune évidemment, le vert un peu moins, le blanc pas du tout. Celui à pois rouges reste le plus attractif. D’ailleurs le long des travées massées dans le grand stade du Tour, il se porte avec le plus grand bonheur ne s’adaptant pas à toutes les silhouettes ou à toutes les ambitions d’élégance. On se couvre de pois sans honte! bien au contraire.
Les pustules rouges ont la même renommée que le bob Cochonou, en voie de devenir un collector réservé aux élites du village départ. Le summum de la réussite d’un parcours sur le Tour devient donc, en 2021 le cumul mythique de la chasuble généralisée de Leclerc et le port du couvre-chef d’un charcutier industriel. L’objectif ambitieux s’il en est, peut meubler une journée de dévotion au Tour. Il obsède les maniaques des objets fétiches.
Ah ! J’allais oublier, plus d’une centaine de gars pédalant plus vite que leur ombre ont défilé en un éclair sur le ruban noir de leurs nuits blanches passées à rêver de maillots d’honneur. Dans le fond ces intermittents du spectacle (sauf pour Pogacar : un ange passe…) défilent pour que les télés aient de la sueur, du drame, de la réussite à se mettre sous l’œil de leurs caméras. Ils n’ont même plus l’autorisation de distribuer leurs bidons vides… comme s’ils faisaient de la concurrence déloyale à la caravane. Allez à bientôt car je ne me lasserai jamais du Tour ! J’aime les belles histoires populaires ! La caravane passe… les « chiens » médiatiques aboient mais le plaisir reste inexorablement le même.
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A la télé, ce fut une grande déception, pas une seule image sur Créon, même pas une vue d’hélicoptère, c’était le moment de la Pub avant l’arrivée. Pas un seul commentaire non plus sur la ville.
Snober Créon, ville mythique du vélo !
Quand je vous dis que « tout fout l’ camp »… !
Les cols laïcs et obligatoires, pour l’étape du jour ça vaut vin sur vin.
@ à Christian…
( vin sur vin)… et du bon !
Mais attention à la cuite avant de prendre le vélo !
à Laure…. et celles et ceux que ça peut intéresser, j’ai suivi 3 Tours de France comme journaliste à « Sud-Ouest ». Le premier en 1979, année où j’ai eu la chance de rencontrer Antoine Blondin, dont j’ai gagné l’amitié à la force… du coude qu’il levait plus facilement que le stylo en fin de journée. Tout le monde connait « Un singe en hiver ». Moi j’ai connu « Un père en été ». Il a quitté Le Tour en 1982, cette même année où j’étais en Espagne pour couvrir la Coupe du monde de football. Un jour – je ne veux pas me souvenir de la date – il a quitté ses amis pour rejoindre son père, un certain Lachaise, me laissant orphelin. Depuis, je vis dans son ombre.
@ à Christian…
Tu as vécu une vie intense…
Tu as, et nous avons la chance de pouvoir encore exposer de beaux souvenirs… !
Oublions les (bonnes) dates… ( 79 et 82) … et sachons n’en garder que les meilleurs moments… !
Quant au chemin tracé par nos parents… Je te le et… nous le souhaite le plus tard possible !
Mais lorsque la » Faucheuse » frappera à nos portes, sachons la lui ouvrir… et l’accueillir par ces mots : Bienvenue… !
A Laure (encore!). Je ne résiste pas à te raconter une petite histoire du Tour vécue par mon père « spirituel ». Un jour, une étape traversait la Beauce. A l’arrivée Jacques Goddet, directeur du journal « L’Equipe » et du Tour de France, cherchait désespérément Antoine Blondin qui tenait un édito quotidien à la manière de Jean-Marie dans « Roue Libre ». Mon papa dormait dans les blés quand on l’a retrouvé. Jacques Goddet eut cette réflexion à son endroit: « Antoine, une fois encore, vous étiez épris de moisson »!
Quelques jours auparavant, lors d’une étape déroulée en Bretagne remportée par un régional dénommé Foucher, papa avait intitulé son édito: « Foucher dans le coin ». Une contrepèterie que je n’aurai pas le front d’expliquer. C’est là un jeu de l’été.
@ à Christian
Excellent le papa ! Avec mes excuses pour le retard.
Splendide la photo !
Quand je vois les accoutrements de certains aficionados, du vélo comme du foot, je me dis (méchamment, tenant à ma réputation de vieux râleur professionnel ) qu’il est heureux que le ridicule ne tuât point, sinon la courbe de mortalité serait exponentielle au moment de ces grandes épreuves sportives.
Berni@
@ J.j râler appartient à toutes celles & ceux qui ne sont pas dans le bien-être.
Remarque complétement erronée ! J’ai un grand plaisir à « râler » , ou plutôt à faire des remarques plutôt facétieuses c’est vrai , mais ça me réjouit et me fait surtout rigoler ! Ce que les anciens appelaient » se payer une pinte de bon sang ».
Les « autres » peuvent d’ailleurs avoir la même attitude à mon égard.
Je trouve que ces chaussettes noires montantes « à la Chirac » sont le couronnement de cet accoutrement de supporter.
Dommage pour un spectacle complet qu’on ne voit pas les chaussures.