Avez-vous un instant songé à ce que vous écririez sur votre lettre au Père Noël ? L’exercice n’est pas aussi simple qu’on le croit puisqu’en prenant de l’âge on rêve moins, on invente moins, on se passionne moins et surtout on accumule cette expérience qui fait que l’espoir de voir ses demandes se réaliser, s’amenuise au fil des ans. L’enfance permet tout…puisqu’elle ne vit que sur des promesses d’un avenir meilleur dont on ignore les limites.
A partir d’un certain âge il est difficile voire impossible d’accepter la déception découlant de la réalité. Demander aux autres qu’ils abondent à vos désirs, à vos rêves dans la société actuelle relève vraiment de la plus élémentaire naïveté. Et je ne le ferai pas !
Personnellement je ne veux pas croire que le Père Noël n’existe pas car ce serait me priver de la puissance de l’espérance en des lendemains matins qui chantent. Il y a en effet un plaisir profond de voir briller dans les yeux de celle ou celui qui reçoit la joie de rencontrer ce dont il a parfois profondément souhaité. Ces étincelles qui mettent le feu à un regard durant quelques fractions de secondes devraient nous accompagner toute notre vie.
Malheureusement nous avons bien du mal à défier l’épreuve du temps. Nous avons collectivement perdu l’envie de nous enthousiasmer pour des instants positifs en raison de l’effondrement de la notion même d’espérance. Elle n’appartient plus au quotidien puisqu’elle a été remplacée par la crainte.
Croire dans le Père Noël c’est avant tout avoir gardé une âme d’enfant, celle qui permet de sortir du réel pour se bâtir des légendes ordinaires. Elles portent une vie. Elles restent dans les souvenirs. Elles survivent aux matinées de ce jour particulier quand elles étaient vraiment portées par la simple envie de partager.
Le « passage du Père Noël » n’a rien d’absurde ou d’inutile quand il permet simplement de se parler, de se regarder, de s’aimer. Alors dans le fond même si ce n’est qu’une fois par an, autant en profiter, autant accepter de se se servir d’un subterfuge pour donner tout ce que l’on peut offrir sincèrement aux autres.
Construire sa propre vision du Père Noël reste la condition essentielle pour pouvoir lui écrire. Standardisée, récupérée, marchandisée, exploitée son image n’a aucun sens. Le mien n’a plus de barbe blanche depuis longtemps. Il ne se promène pas sur un traîneau et il évite les cheminées. Il n’existe pas et il ressemble à cette volute de fumée qui sort de la lampe d’Aladin après qu’il l’ait frottée.
Elle porte le caractère immatériel des valeurs auxquelles il ne faut jamais cesser de croire. Y renoncer chaque matin du monde en se levant c’est se condamner à mourir de froid. Et avec l’âge on renonce souvent à simplement exister pour les autres, à se battre pour les autres, à offrir ses idées aux autres, à partager simplement le peu que l’on sait avec les autres.
Dans ma lettre je demanderai à « la force des esprits » de passer distribuer raison, intelligence et tolérance pour réveiller des consciences endormies. Je sais : c’est plus ambitieux que de demander des chocolats que l’on mange en culpabilisant sur leur effet sur notre poids ; des livres qu’on en lit jamais parce que l’on n’a pas le temps ; des pulls que le réchauffement climatique ne vous permettra pas d’exhiber ; des bouteilles qui finiront dans une cave sans jamais être bues ; d’objets « branchés » dont on ne sera pas forcément se servir.
L’immatériel se paye à prix fort puisqu’il est devenu une denrée rare, une sorte de luxe dont nous avons pourtant tant besoin pour justement ne plus croire au Père Noël que l’on nous vend. La consommation colle en effet aux pas de ce vieil homme que l’on présente comme désintéressé.
Dans un paragraphe il me faudrait absolument demander que les dizaines de millions de bâillonnés retrouvent l’envie de parler, que les millions d’aveuglés par la haine reviennent vers la lumière, que les obsédés par la réussite individuelle se fondent dans le collectif, que les marcheurs les plus motivés retrouvent la boussole qui leur fait tant défaut. J’ajouterai, au cas où il en aurait, qu’il n’oublie pas des doses la solidarité car c’est ce qu’il manque le plus dans cette société du fric triomphant.
« Petit papa Noël , je t’écris cette lettre que tu liras peut être si tu en as le temps… Ne passe pas chez moi si tu n’as pas envie de changer le monde. Évite de me rappeler que je n’ai pas été assez sage car je ne l’ai jamais été. Ne cherche pas à me persuader que je dois renoncer à être moi-même. Ne tente pas d’étouffer mon envie de convaincre, d’agir et d’expliquer. Fais simplement moins mal que l’année dernière… Fais seulement comme d’habitude : passe seulement pour les autres car tu as toujours été au rendez-vous dans les yeux brillants de celles et ceux que j’aime, de mes enfants, de mes petits-enfants. Dans le fond je t’aime bien… mais je ne posterai pas ma lettre cette année. » Signé : Jean-Marie
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.