Le monde du commerce amorce une nouvelle mutation dont les conséquences sont encore imprévisibles. Les enjeux sociaux et économiques sont considérables mais comme le veut le système français on ne s’attache qu’aux apparences alors que le mouvement de fond en cours nécessiterait de véritables décisions politiques. Le département de la Gironde a souhaité lancer une étude pour justement mesurer cette évolution marquée par une prolifération déséquilibrée des surfaces de distribution, la raréfaction des commerces de proximité en les centres des villes moyennes ou les bourgs, la montée exponentielle de la vente en ligne. Ces trois phénomènes imbriqués les uns dans les autres pèsent de plus en plus sur la vie quotidienne des habitants et creusent d’une certaine manière les inégalités. Les collectivités locales ne peuvent dans ce domaine que proposer, atténuer, infléchir mais elles n’ont pas les moyens de changer des courants financiers sur lesquels elles n’ont pas de prise.
Dans l’immédiat il faut avoir des repères concrets et bien mesurer les enjeux. Ainsi si Bordeaux Métropole représente 50 % de la population girondine elle capte plus de 67 % des achats. Cette donne doit être complétée par le fait que durant seulement 3 ans ont été accordés la bagatelle de 325 000 m² de surfaces commerciales alors que les besoins potentiels des consommateurs se limitaient à 175 000 m²… La progression s’est poursuivie et fin 2016 les demandes atteignaient 344 336 m² sur 5 ans soit environ un développement moyen de près de 69 000 m² par an ! En fait la commission départementale d’aménagement commercial a seulement accordé 299 000 m² ce qui représente 1 m² pour 5 habitants de la Gironde en plus de toutes celles qui existaient avant 2012. Il faut pondérer ce constat par le fait que sur cette même période 56 000 m² n’étaient pas réalisées ! En fait la guerre des enseignes dans un département en pleine croissance démographique pousse les grands groupes à proposer des créations essentiellement destinées à bloquer les extensions potentielles des autres.
Le grand paradoxe c’est que les chiffres d’affaires des hypermarchés sont en baisse depuis… 2010. En Gironde Auchan Lac a chuté de 7 % et Carrefour Mérignac de 4 % et on sent une vrai inflexion des supermarchés. Le pouvoir d’achat en baisse sur la période, la captation des ressources par d’autres postes de la vie quotidienne (téléphonie, déplacements, logement, télévision…) font que le décrochage entre la croissance des surfaces de vente et les dépenses de consommation s’accentue chaque jour davantage.
L’emploi commercial ne progresse donc que dans les « centres » que sur Bordeaux métropole alors qu’il régresse partout ailleurs par la destruction des commerces de proximité ou des activités artisanales de production. Si on prend les dossiers présentés en CDAC en 2016 il était prévu en Gironde 1056 créations d’emplois dont 90 % ont été proposés sur l’aire métropolitaine de Bordeaux ! Il serait intéressant de connaître combien d’emplois ont été détruits par l’arrivée de ces grandes surfaces et surtout quel a été le niveau effectif des embauches ! Aucun contrôle réel n’existe sur les écarts entre les promesses des dossiers et la réalité…
L’autre mutation phénoménale est constituée par les ventes en ligne qui ne cessent de croître. Elles représenteront en 2017 l’équivalent de 280 000 commerces de proximité ! Les ventes du secteur ont atteint 72 milliards d’euros en 2016 et devraient s’élever à 80 milliards en 2017. Ce sont elles qui tirent actuellement la consommation en France avec une nouvelle bataille autour de l’implantation des « drive » ou des « points de retrait » qui constituent une réplique aux énormes dispositifs mis en place par les grands distributeurs via internet. Il suffit d’ouvrir ces jours derniers sa radio pour entendre des centaines de spots publicitaires pour cette vaste opération de consommation venue des Etats-Unis et baptisé le « black friday ». C’est parti ! Les records seront pulvérisés sur une seule journée ou sur une période ! Les soldes n’ont plus aucun sens face à ce type d’initiatives.
Originaire des États-Unis, où le lendemain de Thanksgiving donne traditionnellement le coup d’envoi des achats de Noël, le Black Friday est désormais un temps commercial majeur dans le monde entier. En France, en 2016, près d’un consommateur sur deux avait profité des opérations mises en place à à l’origine pour les objets électroniques et plus largement tout ce qui est lié à l’électricité alors que maintenant tous les secteurs sont concernés. Plus largement, Internet est devenu un choix naturel pour réaliser les emplettes avant les fêtes de fin d’année. Près de 9 internautes sur 10 prépareront leurs achats de Noël sur la Toile, et 7 internautes sur 10 achèteront en effet leurs cadeaux en ligne. Les préparatifs du Noël 2017 sont d’ailleurs l’occasion de confirmer la place du mobile dans le commerce en ligne. 44 % des cyberacheteurs ont pris l’habitude d’acheter depuis leur téléphone portable, c’est 10 points de plus qu’en 2016. Le danger est vraiment là ! Et pourtant le commerce de proximité de qualité, de services, d’horaires adaptés, de produits spécifiques a encore de l’avenir si le lien social ne disparaît pas totalement dans un pays où le profit n’a pitié de personne.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Bonjour,
Nous sommes en plein dans le monde des affaires mondialisé avec les chiffres d’affaires. Soit ces chiffres montent ou descendent. C’est le Turn over de l’économie de marché.
Pardonnez les fautes. Selon d’autres études les prix auraient augmenté de 60% depuis le passage à l’euro.
Pour ce qui est des achats,en dehors des 44% de cyberacheteurs par smartphone,est- on loin des 100% de consultations préalables sur internet? Le petit commerce a été balayé par les grandes surfaces ( sauf celui de « dépannage alimentaire » ouvert 7j/7 ou celui qui est dans les galeries marchandes). En dehors de l’ alimentaire et les vêtements (et encore),la grande surface se fait balayer par des vendeurs type Cdiscount qui se font balayer par Amazon qui se trouve concurrencé de plus en plus fortement par le chinois aliexpress. Ce dernier, énorme, avec 9 fois moins de chiffre d’ affaires qu’ Amazon a beaucoup plus de potentiel. Je vois des proches ou autres ne plus acheter que par cette plateforme. On a connu la guerre froide, là c’ est la guerre économique. Comment expliquer sinon qu’ un luminaire avec plusieurs lampes led à 1 euro puisse arriver à ce prix, livré sans frais, entre Langon et Bazas? Ce n’ est qu’ un exemple, mais réel. Même pas le prix du plus ordinaire de nos timbres. Lequel de nos commerces ou laquelle de nos entreprises peut résister à une telle agression (et j’ emploie le mot volontairement)? J’ai eu l’ occasion d’ acheter par ces plateformes ( c’était pour des articles rarissimes voire introuvables) mais de manière générale je me refuse de faire jouer une concurrence sauvage destructrice d’ emplois et créatrice de misère. Commerce de proximité et grandes surfaces sont malades mais je préfère les thérapies (possibles si l’ on étudie la maladie) à une euthanasie crapuleuse. De même que je n’ai jamais envisagé de changer d’ assurance. Même si parfois les sirènes d’ autres assurances se font entendre, elles font rarement dans l’ humanisme et je préfère payer un peu plus cher tout en restant fidèle à mes convictions. C’ est dans la vie de tous les jours que les convictions doivent s’assumer. Combien, au comportement curieux,me disent, si, si, je suis à gauche, je vote Untel! Des voix comme ça, il vaut mieux s’ en passer parce que par leur comportement ils donnent envie aux sincères de fuir.
Je pense que le petit commerce devrait s’approvisionner dans les mêmes centrales d’achat d’Auchan ou Carrefour ou qu’Auchan ou Carrefour leur fasse bénéficier de la même offre d’achat à l’approvisionnement.
S’ approvisionner en centrale suppose de s’ entendre entre adhérents (je n’ ose pas dire coopérateurs), de faire des concessions et de se résoudre à avoir une comptabilité « claire ». La difficulté à tenir n’ incite pas à ce dernier point et je le comprend.
Manger bio 4 fois par jour, acheter local, avec du service et des produits de qualité, voir haut de gamme (mais là aussi les marges sur l’électronique sont effarantes), pas de problème tout un chacun serait d’accord. MAIS, avec quel pouvoir d’achat !
Mais je préfère tout de même la famille se nourrisse à travers l’AMAP, payer plus chère l’électricité 100% renouvelable avec Enercoop, etc. et serrer la ceinture sur le budget vacances.
L’autre jour à la radio, Enki Bilal disait avoir imaginé le retour et le conflit des religions comme dans certains de ses ouvrages. Mais la puissance du « tout numérique » aussi rapidement, non ! D’où son dernier livre « Bug », à lire dans votre bibliothèque communale.
Nos épitaphes pourront être « GAFAM nous ont tuer »